Mary Lev La fille du désert Chapitre 15.4

Chapitre 15.4

Soudain, une voix le héla. Il leva les yeux. Basile de Fribourg lui faisait face, un air inhabituellement affable sur le visage.


— Mon Seigneur, m’accorderez-vous quelques minutes de votre temps ?


Luther se contenta de hausser les sourcils. Le sourire de Basile s’élargit.


— Marchons ensemble, voulez-vous ?


Ils se dirigèrent vers les jardins. Les parterres de fleurs, pourtant soigneusement entretenus, paraissaient fades aux yeux de Luther qui se remémorait la clairière parsemée de fleurs sauvages où il avait emmené Aenid quelques heures plus tôt. Après quelques minutes de silence, Basile prit la parole :


— Je tenais à vous transmettre mon soutien en personne avant votre campagne, Seigneur Lorient. Cette guerre n’en finira jamais…


Basile soupira. Luther marmonna un vague remerciement. Il ne comprenait pas ou l’homme voulait en venir et, comme il n’avait pas le moindre talent pour le badinage, il choisit de garder le silence. Basile le toisa d’un air qui se voulait complice :


— Vous rentrez à peine de votre mission. Vous et vos hommes devez être éreintés. J’aimerai me rendre utile, participer à l’effort de guerre. Vous n’êtes pas sans savoir que je possède des établissements renommés à l’écart de la ville, connus pour leur grande discrétion. Peut-être avez-vous déjà eu l’occasion de profiter de nos services ? Un seul mot de votre part, et je mettrai mes employés à votre entière disposition.


Luther le dévisagea. Ses sentiments étaient partagés. La proposition de Basile l'offensait à certains égards, car ce dernier semblait penser que quelques filles suffiraient pour lui attirer ses bonnes grâces. D’un autre côté, le proxénète faisait preuve d’une certaine retenue en feignant d’ignorer qu’il avait fréquenté assidument ses bordels par le passé. Et en payant à chaque fois le prix fort.


Basile se méprit sur son silence. Il s’approcha et posa sa main longue et pâle sur son épaule. Le contact de cette main lui arracha un frisson de dégoût. Basile était si proche qu’il pouvait sentir son haleine fétide, comme s’il s’était nourri de chair crue.


— Je voudrais tant vous être agréable, mon cher seigneur. Mes filles viennent des quatre coins du continent. Certaines viennent même des îles du Nord: je les fais voyager à grands frais et je les réserve à certains clients triés sur le volet. Vous trouverez chez moi une femme à votre goût, je peux vous l’assurer. Je ne suis pas sans connaitre votre gout prononcé pour les filles du Sud. La cargaison que vous avez apportée était particulièrement riche, et la reine m’a permis dans sa grande mansuétude de m’y approvisionner en premier. Il me parait juste de vous en faire profiter…Après tout, c'est à vous que je dois en partie ma fortune et mon succès !


Luther s’écarta soudain, révulsé, et jeta à Basile un regard de haine. Les paroles de l’homme, loin de lui être agréables, étaient devenues insoutenables. Il s’imagina Aenid aux mains de cet être avide et méprisable — et il ne faisait nul doute qu’elle aurait attiré son attention. S’il ne l’avait pas protégée, que serait-elle devenue ? L’idée même qu’elle pût être à sa merci le mettait dans une rage folle. Il mit toute sa force pour contrôler ses poings qui ne demandaient qu’à s’abattre sur le visage plat de Basile. Ce dernier, qui avait enfin compris son erreur, recula, l'air quelque peu décontenancé. Luther eut un sourire glacial :


— Je vois quel genre d’homme je suis à vos yeux. Un vulgaire soldat, un être vide et aux désirs inassouvis, prêt à tout pour une nuit de débauche. J’ai été cet homme, il est vrai. Il fut un temps où votre proposition m’aurait grandement intéressé. Mais je ne suis plus ainsi. Les choses ont changé, Basile.


Le regard de Basile sur lui était si insistant qu’il le mit mal à l’aise. C’était comme s’il chercher à percer les secrets de son âme.


— Les choses sont bien différentes, en effet, finit-il par dire.


Son visage s'éclaira. Il eut alors un air étonnamment satisfait. Luther s’approcha, saisi d’une impulsion soudaine.


— Je n’ai pas besoin de femme. On vous a mal informé. Mais il y a quelque chose que vous pouvez faire pour moi. Je crois, seigneur Basile, que vous avez bien plus à offrir qu’une simple fille de joie.


—Ah oui, tiens donc…dit Basile. Je me demande de quoi un homme tel que vous pourrait avoir besoin.


—Tout homme a besoin de quelque chose.


—Cela je le sais, dit Basile avec un sourire carnassier. Savez-vous ce qui différencie un bon d’un mauvais proxénète? Ce n’est pas celui qui possède les plus belles filles, ou les plus dociles. Ce n’est pas celui qui reçoit avec le plus faste ou qui sert le meilleur vin. Ce n’est pas non plus celui qui coupe la langue de ses domestiques pour garantir à ses clients la plus extrême discrétion. Beaucoup de mes confrères ont misé sur ces choses futiles et sans importance. Tous ont mis la clé sous la porte, ou peu s’en faut. En revanche, celui qui est capable, en voyant entrer son client, en l’observant retirer son manteau et ses bottes, en remarquant le pli de ses lèvres lorsqu’il commande à boire, en analysant le mouvement de ses doigts, en croisant son regard enfiévré ou froid, celui qui peut en quelques minutes ou parfois même, en quelques secondes, deviner la teneur de son désir le plus profond, le plus retors, le plus inavoué, souvent ignoré de lui-même, et le lui livrer comme cela, facilement et sans ambages, celui là est le maitre incontesté de notre profession. Il nous faut en réalité lire l’âme humaine, être capable d’en déchiffrer la volonté démoniaque et de la contenter vite, sans jugement, et avec le meilleur rapport qualité-prix bien entendu. Faites-cela, et les hommes seront à vous pour l’éternité.


—Alors, vous avez pu lire en moi ?


—Oui, je crois que oui, je le sais à présent. Je le devine, je le sais, et je vous le livrerai le moment voulu. Vous aurez d’ici peu de temps la preuve de mon exceptionnel discernement, et, par extension de ma loyauté. Et vous aurez tout cela sans dire un mot, sans prononcer une parole qui pourrait vous nuire ou vous incriminer. Que dites-vous de cela ?


—Je dis qu’avec un proxénète plus qu’avec un autre, tout a un prix.


Basile eut un rire si vif qu'il le secoua des pieds à la tête. Ses yeux brillèrent d’une lueur méchante que Luther ne comprit pas. Ce n’était pas une méchanceté dirigée contre lui, il en avait la certitude, car jamais un homme tel que Basile ne lui aurait permis de l’apercevoir si cela avait été le cas.


—Laissez-moi vous faire ce cadeau, mon cher seigneur. J'ai échoué à assouvir les désirs charnels de votre corps, mais je peux assouvir ce désir là, et avec une grande facilité. Vous voir contenté et rassasié, tel sera mon prix.


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21 commentaires

Cécile Marsan

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Il y a un an

Vraiment bizarre ce Basile....

Mary Lev

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Il y a un an

Basile est particulier !

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

J'aime pas Basile. Il m'a l'air trop mielleux pour être honnête. Heureusement que Luther s'en méfie.

Mary Lev

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Il y a un an

Clairement c’est pas le mec le plus honnête de la terre !

clecle

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Il y a un an

Luther est de plus en plus en décalage avec tout ce monde sournois et sans coeur, mais il reste assez stratège pour éviter de le crier sur tous les toits.

Mary Lev

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Il y a un an

Oui il a quand même un instinct de survie !

WildFlower

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Il y a un an

Il me fait penser à Littlefinger ce Basile XD blague à part ça donne bien l'impression qu'il a voulu tester Luther... Et qu'il serait plutôt un allié (même si selon moi il sert avant tout ses propres intérêts bien sûr ^^)

Mary Lev

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Il y a un an

Tu as entièrement raison pour littlefinger !

Sand Canavaggia

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Il y a un an

Bon, mon avis tu sais où...clarté, pour moi, de mon #fandelire ton écrit👏✍😍👏

Mary Lev

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Il y a un an

Merci ♥️♥️
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