Mary Lev La fille du désert Chapitre15.3

Chapitre15.3

— Milles excuses, Altesse, répliqua Hallister sans se laisser impressionner. Permettez-moi alors de tourner la question d’un point de vue financier. Jamais le budget de l’Etat n’a été à ce point déficitaire. Nous croulons sous les dettes. Nous ne pouvons pas nous permettre une guerre couteuse à l’issue incertaine. Ce serait la ruine, assurément !


La reine ne se souciait plus de cacher ses sentiments à présent. Ses narines blanchirent et palpitèrent comme des éventails en furie. Elle jeta un regard meurtrier à Hallister. Ce dernier sourit et Luther ne put s'empêcher d'être impressionné par son assurance.


— Vous êtes tous des lâches, lâcha Tiago. Mère a raison, nous ne pouvons laisser cette vermine envahir notre espace vital impunément ! Il en va de la grandeur de la Couronne!


— Si vous le permettez, votre Excellence, je puis suggérer une alternative.


L’homme qui venait de parler n’était autre que Liam, le commandant de la garde Royale, celui-là même qui l’avait accueilli et moqué à son arrivée. La lumière pâle de l’après-midi donnait à son visage une expression sépulcrale, qui s’accordait à merveille avec le ton grave et macabre de sa voix.


— Suggérez, Liam, suggérez, dit Tiago en souriant.


— Nous devons reprendre Loth dès que possible. Seigneur Lorient, il vous faudrait prendre le départ dès demain à l’aube. Cela vous parait-il faisable ?


Liam darda sur lui son regard sombre et dur. Ce n’était pas une question, c’était un ordre déguisé. Luther acquiesça sans dire un mot, et Liam parut satisfait. Il poursuivit :


— Une fois sur place, et la ville entre vos mains, vous adresserez au palais un rapport de la situation. Nous aurons envoyé entre temps une armada de géographes pour enfin cartographier ce désert de malheur. Vous demeurerez à Loth le temps que cette formalité soit achevée. Une fois les cartes à votre disposition, vous fomenterez un plan, mobiliserez vos troupes et exterminerez les Nassins jusqu’au dernier. Ils devront tous être tués ou réduits en esclavage. C’est à cette seule condition que nous serons en mesure d’assurer la sécurité des citoyens du continent.


Luther fixa le visage froid de Liam. Sa peau était craquelée, comme une terre asséchée sur laquelle ondoient des crevures profondes et sombres. Il portait une barbe fournie qui ne suffisait pas à cacher les ravages de ce qui semblait être une vérole ancienne. Liam était un homme placide, un guerrier redoutable et un garde fidèle à la Couronne. C'était la Reine elle même qui l’avait élevé à la position qui était la sienne ; sans son appui, jamais ce fils de fermier désargenté et sans noblesse n 'aurait pu siéger au conseil. Ce qu’il avait dû accomplir, ce que la reine avait exigé de lui, Luther l’ignorait, mais il savait que Liam ne reculait devant rien. Le massacre d’un peuple entier, de femmes, et d’enfants innocents était loin de peser un quelconque poids sur sa conscience, si tenté qu’il en possédât une. Mais lui-même, qui n’avait pas fait don de son être à la couronne et qui se targuait d’avoir conservé un semblant d’humanité était passablement dérangé par cette idée.


L’idée de vengeance ne le répugnait pas. Elle lui semblait au contraire naturelle, d’essence presque divine. Le peu qu’il avait retenu des enseignements du Temple l’encourageait dans cette voie qui lui paraissait juste et nécessaire. Mais il était un être mesuré, et il ne voulait pas faire couler plus de sang qui n’en avait été répandu. Il voyait clair dans la volonté de la Reine : le simple fait de naitre Nassin constituerait un crime, et aucune sorte d’existence ne leur serait permise. Il fallait pourchasser les coupables qui avaient sévi à Loth—et cela, il l’aurait fait avec la joie au coeur—, mais aller les tuer dans le désert où ils s’étaient réfugiés depuis la venue de Loren, et où ils peinaient à survivre dans des conditions extrêmes, le répugnait profondément. Pour la cour, les Nassins n’étaient pas des hommes. Plus proches des bêtes, leur vie n’était pas considérée comme un don sacré de Dieu. Tout dans leur culture, leur langue, jusqu'à leur aspect physique, était vilipendé et moqué par les gens de biens.


Pas un conseiller ne s’insurgea de ce massacre à venir, des vies innocentes qui seraient prises inutilement, des pauvres âmes qui seraient perdues avant d’être sauvées. Et il n’y avait dans leurs yeux que le pragmatisme froid et factuel du comment : comment les atteindre dans leurs forteresses de roche ? comment s’assurer la victoire ? Comment faire en sorte que pas un n’en réchappe vivant ?


Luther n’était pas un être de charité ; jamais de sa vie il n’avait donné un centime aux pauvres. L’étranger, cet autre que lui, ne l’avait jamais vraiment intéressé. Mais cette expédition de mort qu’on le chargeait de mener le dérangeait car elle atteignait une limite, une zone de tension dont il n'avait jamais encore pris conscience. Il la voyait à présent, comme une minuscule flamme dorée et dansante, qui rassemblait tout ce qu’il y avait de bon, de tendre, de joyeux, de précieux en lui, et qu’il avait jalousement gardée enfouie, bien à l’abri. A chaque vie innocente qu'il prendrait, la flamme s'essoufflerait de plus en plus, au risque de s'éteindre. Et il savait quel monstre il pourrait devenir si cela se produisait.


— Et bien mon frère, qu’en dis-tu ? s'impatienta Tiago. La proposition de ce bon Liam me parait raisonnable.


— M’accompagneras-tu, Excellence ?


Dès que les mots franchirent le seuil de sa bouche, il regretta sa question. Liam s’étouffa avec une gorgée de vin, tandis que les yeux de son frère lui lancèrent des éclairs.


— Certainement pas, s’offusqua la Reine. Risquer la vie du prince héritier, as-tu perdu l’esprit ? Le continent tout entier serait plongé dans le chaos !


Luther ricana en son for intérieur. Sa propre survie ne semblait préoccuper personne. Il se rendit alors compte qu’il n’avait pas répondu à la question de son frère.


—J’accepte la proposition de Liam.


— A la bonne heure ! s'écria Tiago en lui lançant un regard mauvais. Puisses-tu revenir victorieux, mon frère.


— Agis avec honneur, dit Volande d'un ton soulagé. Tache de ne pas faire honte à notre famille.

Tous se levèrent et quittèrent la pièce en le saluant. Luther leur emboîta le pas. Des images de la ville de Loth mise à sac par des Goumis sanguinaires envahirent soudain son esprit en feu. Mais quelque chose s'insinua comme un serpent, dérangeant la montée de sa colère légitime, un interrogation lancinante, que personne au conseil n'avait soulevé. Loth était de loin la ville la plus favorable à la cause des Nassin. Les esclaves y étaient bien traités et rapidement libérés. Certains s'y étaient même établis, et avaient ouvert des commerces prospères. Il imaginait mal les cavaliers Goumis égorger les leurs sans distinction.

Et pourtant … Le chevalier de Loth était formel. Il songea à Grégori. Son cœur se serra.

— Je leur rendrai la monnaie de leur pièce, murmura-t-il d’un ton sombre.


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20 commentaires

Cécile Marsan

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Il y a un an

Punaise ils sont tous vicieux dans ce conseil ! Je suis sûre que du coup la position de la reine ne va pas pouvoir être renversée et ça m'énerve !

Mary Lev

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Il y a un an

Et oui léger contretemps …

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Luther est décidé à se battre mais je connais une certaine Aenid qui ne sera certainement pas ravie de voir celui qu'elle aime prêt à massacrer son peuple.

Mary Lev

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Il y a un an

Ça c’est le moins qu’on puisse dire !

Sand Canavaggia

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Il y a un an

Que dire, en smileys, ce sera mieux : 🤩✍🤩🌈🥳😍💗 Tu as compris j'espère 😁

Mary Lev

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Il y a un an

Reçu 5/5 !

Marie Andree

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Il y a un an

Ca sent le traquenard tout ça... pour éloigner Luther de la capitale, non ?

Mary Lev

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Il y a un an

Tu sens bien Marie !
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