Mary Lev La fille du désert Chapitre 15.2

Chapitre 15.2

Luther accusa le coup violemment. Il revit le visage accablé de Grégori après leur dernière entrevue, suite à la mort de Déménor. Il repensa à son ami Roderick, et aux familles qu’il avait laissées derrière lui, sans protection. La vérité glaçante le percuta alors de plein fouet. Les cinq années de guerre qu’il avait menées dans les plaines, le peuple qu’il avait attaqué et asservi, tout cela se retournait contre lui pour le poignarder dans ce qu’il avait de plus cher. Il se revit au chevet de son oncle mourant, lui jurant fidélité, lui promettant de protéger sa terre. Il s’était à l’évidence parjuré. Il porta son poing à sa bouche pour étouffer un cri de rage.

— Pourquoi ne pas avoir fait envoyer un messager au seigneur de Lorient, afin qu’il rebrousse chemin et vous porte secours ?


La question, par sa justesse, réussit à l'arracher à ses tourments intérieurs. Luther détailla l’homme qui l'avait prononcée. Il reconnut l’allure sèche et raide du Seigneur Basile de Fribourg. Sa tenue simple et sans chichis était loin de refléter sa fortune, qui était aussi immense que le mépris qu’il inspirait par sa fonction, jugée indigne. Basile possédait la plupart des bordels de la ville. La reine ne pouvait se passer de lui. Les informations qu’il recueillait par ses filles étaient inestimables. Avec force manipulation et tromperie, il s’était hissé au sommet du pouvoir. Luther ne pouvait s’empêcher d’admirer son habileté et son intelligence. Mais s'il avait fréquenté certains de ses établissements, il s'était toujours sur ses gardes. Basile lui inspirait une méfiance sourde qu'il ne pouvait pas expliquer, mais que le tenaillait dans son être dès lors qu'il se trouvait en sa présence.


Comme le chevalier ne répondait pas à la question de Basile, ce dernier fronça les sourcils. La reine prit alors la parole :


— Les sentinelles Nassin ont tué tous les messagers qui tentaient de quitter Loth.


Basile eut une expression étrange sur le visage. Ses yeux brillèrent d’un éclat métallique. Il porta ses longues mains fines et pâles à son menton imberbe et son regard se fixa sur Luther un instant. Puis il reporta son attention sur le chevalier qui semblait mal à l’aise :


— Les Nassin occupent-t-ils toujours la cité ?

— Je l’ignore mon seigneur, je n’ai reçu aucune nouvelle depuis mon départ.

—Comment avez-vous pu échapper à leurs sentinelles ?


Le chevalier lui jeta un regard courroucé. Les questions de Basile lui étaient visiblement pénibles.


— On m’a tendu une embuscade, mais j’ai été victorieux.


Basile haussa les sourcils, visiblement surpris. Le chevalier se raidit sous l’insulte et renifla de dédain.


— Si ces sauvages occupent toujours la ville, il faut riposter immédiatement ! intervint Tiago.


Volande posa une main gantée de soie sur l’épaule de son fils. Elle murmura en direction du chevalier :


— Tu nous as dit tout ce que tu savais. Retire-toi à présent.


Le chevalier s’inclina et sortit. Volande se tourna en direction de Luther et s’adressa à lui pour la première fois depuis son arrivée.


— Mon enfant, tu rentres à peine d’une éprouvante expédition. Mais les terres de ton oncle sont à feu et à sang. Tu dois faire ton devoir.

Ses paroles lui firent l'impression d'une main de fer s'enroulant autour de sa gorge. Le regard glacé de la reine et les mines graves des conseillers tournés vers lui lui donnèrent le vertige. Il n’avait plus le choix, il n'y avait pas d'issue. Il devait s’incliner.


— Je ferai ce que vous m’ordonnerez, Majesté, s’entendit-il répondre.


Il avait l’impression en cet instant de n’être pas lui-même. Ses oreilles bourdonnaient, son cœur glacé était inerte, comme mort. Il était acculé comme une proie dans une partie de chasse à courre. Des images de son oncle mourant sur ses terres saccagées dansaient devant ses yeux.


Quelle déception il avait été pour lui ! Quel mauvais héritier il aurait fait en fin de compte !


La Reine avait eu raison d’affirmer qu’il ne méritait pas le moindre lopin de terre. Et tout cela, à cause d’un peuple de sauvages sanguinaires qui avaient jugé opportun de massacrer des innocents. Une colère meurtrière lui dévora soudain le cœur. Un désir inouï de vengeance et de destruction s’empara de son être.


— Je mènerai les chevaliers Royaux à Loth sous votre bannière Majesté. Je reprendrai la ville. Je vous le jure, sur mon honneur.


Son serment arracha à la Reine un vague sourire, mais il ne vit nulle chaleur dans ses yeux froid. Il était évident que la passion de la vengeance n'y habitait pas.


— Ce n’est pas assez, rétorqua-t-elle. Quand le comprendras-tu ? Il faut éradiquer cette vermine une bonne fois pour toute. Loth a été détruite. Jusqu’où iront-ils la prochaine fois ? Tu dois assurer notre sécurité et celle des citoyens de la capitale.


— Majesté, intervint Basile, je crains qu’une action précipitée ne cause notre perte et celle de votre armée. La guerre est certainement inévitable. Mais sans une bonne préparation, le seigneur Lorient et ses hommes courront à la défaite.


Une brève contrariété passa sur le visage de la Reine. Un homme assis à proximité de Basile que Luther ne connaissait pas renchérit :


—Basile a raison, votre Altesse Royale, dit-il d’un ton mielleux. Sauf votre respect, le désert est vaste et nos connaissances géographiques de cette région pratiquement nulles. Le rapport du seigneur Luther suite aux premières expéditions est très parlant en la matière. Le plus sage serait de limiter notre action au territoire de Loth dans un premier temps. Ensuite, je suggère d’envoyer des géomètres dans le désert rouge afin de fournir au commandant des informations plus précises.


Luther était ébahi de la logique implacable dont les membres du conseil faisaient preuve. Lui-même s’était vu ignorer par sa mère et son frère, il avait fini par penser que personne au palais ne se souciait de l’armée en charge de la défense du continent. Il constatait à présent que la position de la reine était loin de faire l’unanimité. Il s’adressa à l’homme qui venait de parler :


— Pardonnez-moi, j’ignore votre nom…


— Seigneur Hallister Ducas, pour vous servir, mon seigneur, dit l’homme en inclinant la tête. J’ai l’honneur de présider le ministère des finances de Sa Majesté.


Luther considéra le petit homme frêle aux yeux pétillants d’intelligence. Sa moustache fournie contribuait à son apparence sympathique. La reine lui jeta un regard furieux.


— Mon cher Hallister, vos piètres connaissances dans les choses de la guerre ne vous autorisent pas à donner votre opinion dans cette affaire.



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23 commentaires

Sand Canavaggia

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Il y a un an

🤩Toujours délice de suivre ton texte et hors petits points que les copains-auteurs-lecteurs te donnent, mon avis est...tu sais. Bravo pour cette suite, tu sais égrener toujours une belle émotion entre tes lignes et moi ça m'emporte tjrs autant🌺🌹

Mary Lev

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Il y a un an

Merci ♥️🤩

clecle

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Il y a un an

Donc a priori, Luther s'apprête à partir en guerre contre les Nassin, ce qui va créer un sacré dilemme avec Aenid.

Mary Lev

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Il y a un an

C’est globalement ça ! Mais tout n’est pas forcément ce qu’il semble au premier abord !

WildFlower

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Il y a un an

BON ça sent pas bon du tout tout ça.... Boniface va devoir se bouger s'il veut qu'il reste encore quelque chose de Luther et de ses éventuels alliés quand il parviendra à ses fins XD

Mary Lev

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Il y a un an

Non ça pue c’est clair ! Et c’est que le début !

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Pauvre Luther. Tu le laisse dans un bien triste état

Mary Lev

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Il y a un an

Oui … et c’est pas près de s’arranger
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