Fyctia
Chapitre 14.8
Il avait parlé sans réfléchir. Les grands yeux sombres d’Aenid le dévisagèrent avec une profonde tristesse.
— Je ne suis qu’une esclave, dit-elle, d'humeur sombre. Que pourrais-je bien faire d’un cheval ?
Il saisit sa main. Elle était douce et tendre, comme une pétale de fleur.
— Tu ne resteras pas esclave très longtemps, murmura-t-il. Dans quelques semaines…
Il s’interrompit. Son air interrogateur l'incita à poursuivre avec prudence :
—Lorsque mon frère ne sera plus une menace, ta famille et toi serez libres. Tu as ma parole.
— Que comptez-vous faire ?
Luther pouvait lire la peur dans ses yeux. Il se demanda si elle avait peur pour sa vie, ou peur pour lui.
Ton sort est lié au mien, songea-t-il. Pour ton malheur.
— Je ne peux t’en dire plus. Mais tu n’auras plus à craindre pour ta vie. Tu dois me faire confiance.
Aenid n’avait pas l’air rassurée par ses paroles. Il tenta alors d’imiter le mouvement présomptueux de Thomas, et passa la main négligemment dans ses cheveux. Mais il n’obtint pas le résultat escompté. Il regarda autour de lui et soupira :
— Que penses-tu de cet endroit ? Je n’aurai probablement pas du…
— C’est très beau. Je n’en avais jamais vu de semblable.
— Le désert où tu es née, de quoi a-t-il l’air ?
Elle ferma les yeux et un léger sourire étira ses lèvres.
— C’est une mer de sable ocre, des dunes brillantes au soleil qui tremblent lorsque l’air est trop chaud. Quand le soleil se couche, le désert devient rouge, et le froid glacé envahit tout une fois la nuit tombée. Malgré cela, j’aime dormir dehors, pour admirer le ciel étoilé.
Luther buvait ses paroles, ensorcelé. Aenid le regarda et ajouta :
— Nous avons séjourné dans un clan qui vénérait Idraed, notre mère. Une nuit, ils nous ont réveillés à cors et à cris, nous pressant de sortir de notre tente. Le ciel brillait plus que de coutume dans la nuit noire, et des centaines d’étoiles filaient à travers le ciel.
— Tu as vu des étoiles filantes ?
Aenid lui jeta un regard surpris.
— J’ignorais le nom de ce phénomène.
—Les hommes du Temple disent que c’est un signe de Dieu. Une bénédiction. Que lorsqu’on y assiste, on voit en réalité s’accomplir le début d’une nouvelle ère.
—Avez-vous déjà observé quelque chose de similaire, mon Seigneur ?
— Quand j’étais dans les iles du Nord, j’ai vu dans le ciel noir des lueurs vertes étincelantes qui se mouvaient comme une danse macabre. C’était un beau spectacle.
Les yeux d’Aenid brillèrent de curiosité. Luther, qui avait toujours sa main dans la sienne, s'approcha et murmura :
— Mais toi… Tes cheveux sombres qui rougeoient au soleil. Tes yeux de pierre de feu. Et ton sourire, si beau, qui m'embrase… J’aime comme il creuse tes joues et éclaire ton visage…J’en ai à chaque fois le souffle coupé.
Il tendit la main vers sa joue, rapprocha son visage et déposa un baiser sur ses lèvres entrouvertes. Une chaleur agréable l’envahit, réchauffant son être. Il l’embrassa encore avec une grande douceur. Chaque baiser qu’elle lui donnait faisait pulser la chaleur plus loin dans sa poitrine, jusque dans ses muscles.
Il l'emprisonna de ses bras pour la tenir tout contre lui. La proximité de son corps lui donna une sensation de plénitude, comme une douce ivresse. Hébété par tant de bonheur, il sentit ses cheveux se glisser sous ses paumes comme des rubans de soie. Son visage était contre sa poitrine, il était sûr qu'elle entendait son cœur battre d'affolement. Il écarta ses cheveux et déposa des baisers dans son cou. Comme elle se laissait faire sans réagir, il fut pris d’un doute atroce. Il saisit son visage et l’obligea à le regarder.
— Oh Aenid, dit-il d’une voix rendue rauque par le désir qui lui tordait le ventre. Pardonne-moi de t’avoir repoussée dans les montagnes. Je sais pourquoi tu es venue me trouver … Et je voulais te préserver de moi. Mais je ne peux plus ignorer mon tourment. Tu as toutes les raisons de me haïr. Je ne peux t’en blâmer. Mais mon cœur saigne à la pensée du mépris que je t’inspire. Et je suis là à ta merci, à espérer ! Je suis à l’agonie, et fou d’espoir en même temps. C’est moi l’esclave ! C’est moi qui suis enchainé ! Je pourrais me trainer à tes pieds pour avoir ne serait-ce qu’un regard de toi. Si je pouvais seulement obtenir ton pardon ! Pardonne-moi, je t’en prie, de t’avoir arrachée à ton désert, de t’avoir fait battre…
Aenid semblait bouleversée par ses paroles, tandis qu'il balbutiait des excuses. Sa voix tremblait d'amour et de regret. Brusquement, il se tut. Le cri d’une fauvette déchira l’air, tandis qu’Aenid promenait sur lui son regard grave. Puis, doucement, en prenant son temps, elle posa sa main sur son épaule et s’approcha de lui pour chuchoter à son oreille :
—Mon seigneur bien aimé... Vous vous trompez, il n’y avait point de calcul… Seulement le désir d’être près de vous, de sentir vos bras autour de moi, ces bras qui m’avaient arraché à la mort glacée des montagnes. Je voulais vous sentir encore. Vous m’avez réchauffée, vous m’avez fait revivre, et vous avez allumé quelque chose en moi cette nuit-là, l’étincelle de la vie. Je l'ai senti dans mon corps de jeune fille. Elle brule depuis, comme une plaie qui ne veut pas guérir.
Elle s'enroula autour de lui comme une liane, le figeant de stupéfaction. Il n’arrivait pas à croire en sa bonne fortune. Ils échangèrent un baiser passionné. Il glissa ses mains sous le tissu de sa robe pour caresser la peau tiède. Il disait son prénom encore et encore. Le corps qu’il serrait contre lui ne le fuyait pas, les lèvres qu’il dévorait de baisers ne se refusaient pas à lui, et les mains timides qu’il sentait sur lui l’attiraient dans un tourbillon de plaisir et de douleur. Il plongeait son regard dans celui de la jeune fille, et y lisait le même désir, la même folie hors du temps. Il aurait voulu ne jamais en sortir de ce regard, de ce bonheur d'être perdu avec elle.
— Oh Aenid, pars avec moi.
Dans sa passion, les mots lui avaient échappé. Elle le dévisagea, interdite. Il prit ses mains dans les siennes et les porta à ses lèvres sans la quitter des yeux.
— Laisse-moi t’emmener loin d’ici, dit-il d'un ton suppliant. J’ai assez d’or pour nous faire traverser le détroit d’Altar, et rejoindre les îles du Nord. Je pourrai convaincre un seigneur de m’engager comme vassal. Je nous construirai une petite maison…
Il se tut en réalisant l’absurdité de sa requête. Aucune femme au monde ne pourrait se contenter d’une telle vie de misère. Il l’avait déjà expérimenté avec la jeune Aricie, qui s’était détournée de lui sans un regard après avoir reçu une proposition plus avantageuse. Il réalisa que la déception et l’amertume qu’il avait alors ressenties n’étaient pas grand-chose. Aenid avait un tel empire sur lui qu’il lui suffirait d’un petit sourire narquois, d’un regard de mépris, et d’un hochement négatif de la tête pour broyer son cœur à tout jamais.
—Toutes ces choses que vous dites… C’est comme un rêve.
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Sand Canavaggia
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Mary Lev
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