Fyctia
Chapitre 14.5
L’expression de l’archevêque se modifia, et une lueur fugace brilla dans son regard. Luther était presque sûr qu’il avait peur. Il se surprit à aimer le frisson de puissance que lui procura la réaction du saint homme.
— Vous ne pouvez mener cette guerre, souffla l’archevêque.
— J’ai en effet l’intention de refuser cet honneur.
— Cela signifie, murmura le prêtre, que vous serez accusé de haute trahison. Le tribunal royal pourrait vous condamner à mort.
Luther ne répondit rien. Il savait déjà tout cela. Il voulait maintenant que Boniface exprime ses intentions de manière claire. Ce dernier prit sa tête dans ses mains. Il avait l'air épuisé. Luther en éprouva de la colère : il n'avait pas à faiblir alors que le nœud gordien de leur échange était enfin atteint.
— Sa Majesté a perdu l’esprit, dit Boniface. Tout cela est contraire aux Saintes Ecritures. Notre devoir est d’envoyer des émissaires du Temple aider ces pauvres âmes à trouver le chemin vers l’Ascension. Les tuer alors que leur âme est perdue, c’est les condamner à l’enfer ! C’est un crime injustifiable !
Luther ne dit pas l’ironie qu’il y avait à forcer le peuple autochtone du continent à se convertir à la religion de leurs oppresseurs. Il se contenta d’affirmer avec une assurance à demi feinte :
— Je refuse de plonger le continent dans une guerre meurtrière. Voilà ma vision, votre Excellence. Qu’en dites-vous ?
Boniface le regarda un instant avant de répondre.
— Pardonnez-moi si je vous ai offensé, dit-il d’un ton plus apaisé. Le Seigneur Loren, béni soit Son Nom, nous enjoint à respecter les hommes tels que vous, qui éprouvent les désirs les plus simples. Mon avis personnel n’a pas d’importance en la matière. Lucius a raison sur un point : vous êtes l’héritier légitime. Le Temple vous apportera son soutien par tous les moyens en sa disposition. Je vais réunir les érudits. Nous allons préparer une action en justice, afin de traduire Sa Majesté devant les tribunaux. Elle devra répondre de ses actes.
Le poids sur les épaules de Luther s’allégea un peu à ces paroles. Il ne put s’empêcher de se demander quel sort Boniface allait réserver à son frère. Il paraissait impensable à Luther que Tiago soit au courant de la situation précaire dans laquelle il se trouvait. Son attitude hautaine, son mépris affiché, sa conduite déplorable, tout laissait croire que Tiago était persuadé de la stabilité de son assise. Jamais il n’aurait pu imaginer que son ascendance puisse être mise en doute.
Lorsqu’il apprendra la vérité, songea Luther, son monde s’effondrera. Il pourrait même en perdre la raison.
Mais Luther n’avait pas pour lui la moindre once de pitié. Il voulait détruire Tiago, annihiler ce Prince odieux et débauché. Il sentait au plus profond de son âme que son heure à lui était venue de prendre l'avantage sur son grand frère. Un frère qu'il avait aimé et admiré pendant un temps, avant de se mettre à le haïr.
— Vous aviez raison, continuait Boniface. La reine n’est guère populaire auprès des citoyens. Ils l’accusent de déchéance morale à travers plusieurs pamphlets. Je ne pense pas que quiconque se révoltera si d’aventure nous mettons fin à son règne. Mais il nous reste un problème à résoudre, et il est de taille : celui des gardes royaux…
— Les gardes royaux obéiront à celui qui les paie, répondit Luther, reprenant l’expression de Lucius.
Boniface haussa un sourcil circonspect :
— Aurais-je sous-estimé l’étendue de votre fortune personnelle, Seigneur Lorient ?
— Vous savez bien que je suis sans le sou, répliqua Luther, agacé. Le testament de mon père a été contesté sous votre règne. Je n’ai pas de terres, et par conséquent pas de revenu. La solde de chevalier est bien maigre, et je peine à subvenir à mes besoins. La Reine ne m’accorde aucun titre, aucun privilège. Mais je suis de retour à Myr, et cette fois, j’ai l’intention d’y rester. Je suis le commandant de l’armée royale. Je parviendrai à obtenir mes entrées au conseil. Si certains nobles ne sont pas satisfaits de la Couronne, ils ne tarderont pas à me le faire savoir. Alors, il sera temps d’exiger leur soutien. Un soutien qui devra prendre la forme de pièces sonnantes et trébuchantes...
Comme l’archevêque ne répondait pas, Luther se leva pour mettre fin à l’entretien. Mais Boniface saisit impulsivement son poignet pour le retenir. Sa main, grande et froide comme si elle était faite de pierre, était dotée d’une force étonnante au vu de son âge avancé.
— Vous avez déjà manifesté votre intention à désobéir à la Reine. Luther… Vous êtes en grand danger…
—Je saurai être sur mes gardes, Excellence, dit-il avec un calme est une maîtrise qu’il était loin de ressentir.
Luther se retira. Une fois hors de l’enceinte du temple, sa respiration se fluidifia. C’était comme s’il s’était retenu de respirer tout le long de l’entretien. Il se rendit alors compte qu’il était simplement soulagé d’être encore en vie. Il avait craint que le Temple le poignarde dans le dos à chaque instant. Quand le chevalier saint l’avait saisi par l’épaule pour lui indiquer la sortie dans le dédale de couloirs, son corps avait eu un sursaut enfiévré et il avait presque dégainé son épée.
Bien que l’attitude de l’archevêque eût été en sa faveur, il ne parvenait pas à comprendre pour quelle raison le Temple le soutenait. Sa mère et son frère brisaient certainement un nombre considérable de lois divines, ne serait-ce que par leur pratique de l’esclavage, et par le gout prononcé du prince pour la violence et la souffrance d’autrui. Cependant, lui-même était loin d’être irréprochable. Il réalisa alors que le soutien dont il avait désespérément besoin viendrait avec un prix à payer. Un prix qu’il n’avait pas songé à demander.
Pour l’instant, l’urgence est de rester en vie, songea-t-il avec pragmatisme.
La Reine ne pouvait attenter à sa vie avant le banquet, sous peine de s’attirer les foudres de la noblesse qui voudrait acclamer les héros de l’expédition. Il se demanda quelle sorte de chantage elle comptait utiliser cette fois. Il ne se laisserait plus berner par la possibilité de devenir le Seigneur de Loth, et il était presque sûr que la Reine n’avait pas le pouvoir de s’accaparer ses esclaves. Les contrats établis par Armand étaient solides, il s’en était assuré avant son départ.
Sans moyen à sa disposition pour m’obliger à semer la mort et la désolation au Sud, elle devra trouver autre chose. Il lui deviendra de plus en plus urgent de se débarrasser de moi !
Quel fils encombrant il faisait, en vérité ! Mais pour une fois, il ne voulait pas fuir. Il voulait jouer à faire de cette capitale en putréfaction sa capitale, se l'approprier au nez et à la barbe de la Reine. Lui qui n'avait jamais espéré autre chose qu'un lopin de terre à cultiver, rêvait à présent de dérober une ville entière ! L'incongruité de la situation lui arracha un rire cynique.
18 commentaires
Gottesmann Pascal
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
WildFlower
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
Sand Canavaggia
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
Marie Andree
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
clecle
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an