Fyctia
Chapitre 14.1
La rondeur de la lune – de Chiraz notre mère – éclaire la beauté des femmes. L'éclat du soleil franc–celui d'Amaan, notre père– en révèle le caractère.
Proverbe Nassin.
Luther se réveilla aux premières lueurs de l’aube. Par la fenêtre entrouverte, les clameurs de la rue se faisaient de plus en plus fortes. Certains marchands profitaient de la fraîcheur matinale pour étaler leurs denrées.
Il prit un instant pour se remémorer les évènements de la veille : l'entrevue avec la Reine, la menace de Tiago, le regard envoutant d'Aenid, et enfin, le mot de Boniface dont les restes calcinés se trouvaient encore dans la cheminée éteinte.
Il se leva d’un bond, s’habilla et sortit d’un pas vif.
Le palais était encore plongé dans le sommeil. Luther déambula dans les corridors déserts. Les rares domestiques qu’il croisait s’inclinèrent à sa vue sans lui poser de question. Il passa devant les cuisines du palais au rez-de-chaussée. Il y régnait une agitation inhabituelle. Les préparatifs pour le banquet avaient déjà commencé, et la reine avait visiblement exigé un faste au-delà de toute raison.
Il ne s’attarda pas davantage et sortit du palais en direction des écuries. Il aperçut un jeune garçon aux cheveux roux qui se tenait à proximité d’Aslan. Il approchait l’animal avec milles précautions, une brosse dans sa main tremblante. Il s’écartait précipitamment au moindre mouvement du cheval, une expression terrifiée sur le visage, comme s'il avait été menacé d'un couteau. Luther eut un sourire. Le jeune nassin lui rappelait ses débuts à Loth.
— Il sent ta peur, mon garçon.
De peur, Iaonid laissa tomber la brosse qui vint rouler aux pieds de Luther. Ce dernier se pencha pour la ramasser. Il se mit à brosser énergiquement la croupe de son cheval.
— Tu es bien matinal, remarqua Luther en jetant un regard en biais au jeune garçon qui semblait pétrifié sur place.
Ianod marmonna quelque chose d’incompréhensible. Luther tendit la brosse dans sa direction et murmura :
— Ne crains rien.
Iaonid saisit la brosse en lui jetant un regard perplexe.
— Je vous en prie Siddi, supplia-t-il, ne dites rien au Seigneur Logas.
Logas était le maitre des écuries. C’était un homme sévère, mais juste. Son cœur sec n’était amadoué que par l’amour qu’il portait aux chevaux, dont il s’occupait avec dévotion.
— Logas t’a demandé de t’occuper d’Aslan ? s’étonna Luther.
Il lui paraissait inconcevable de demander à un enfant de s’occuper d’un cheval aussi imposant. Mais Iaonid hochait la tête d’un air apeuré.
— Il m’a chargé de brosser les chevaux et de les nourrir. Mais je n’ai pu me résoudre à approcher Aslan. Il m’a ordonné de m’en occuper dès l’aube, avant que vous ne vous en rendiez compte.
— Je vais m’occuper moi-même de mon cheval, dit Luther. Retourne te coucher.
Iaonid recula, sans partir pour autant. Il le regarda avec fascination soulever les sabots du cheval pour les nettoyer. Aslan s’ébroua soudain et le jeune garçon sursauta, arrachant un sourire à Luther.
— Savez-vous, Siddi, que votre cheval porte un nom Nassin ?
Luther haussa les sourcils.
— Non, je l’ignorais.
Iaonid bomba le torse. Ses joues rosirent de plaisir.
— Aslan signifie puissance en Rimi, expliqua-t-il d’un air important.
— C’est un nom qui lui va bien, dit Luther.
Iaonid sourit. Luther détailla les taches de rousseur qui parsemaient le teint clair. Les yeux clairs fixés sur lui lui empirent le coeur d'une tendresse étrange.
— Tu ne ressembles pas aux autres Nassin.
Iaonid ne fut pas surpris par sa remarque. Il répondit sans hésiter, comme il l'avait probablement fait de nombreuses fois auparavant :
— Ah Siddi, c’est que notre mère avait de longs cheveux roux et ses yeux étaient plus clairs que le ciel d’été. Du moins, c'est ce qu'on ma dit. Je ne l'ai jamais connue. Elle est morte en me mettant au monde...
L’expression du jeune garçon se fit plus grave. Il baissa le regard pour cacher son émotion. Luther posa brièvement sa main sur l'épaule du jeune garçon avant d'enfourcher son cheval. Il adressa un petit salut à Ianonid. Ce dernier s’inclina à son départ avec une maladresse touchante. Luther le vit ensuite détaler comme une flèche.
Luther quitta l’enceinte du palais. L’odeur familière du marché le saisit de plein fouet, lui ouvrant aussitôt l’appétit. Un appétit vorace, oublié, qui le surpris. Tout entier pris dans les dangers de l'expédition, et habitué à se nourrir de choses informes au gout inidentifiable, il en avait oublié l'existence de choses aussi futiles et merveilleuses que le plaisir de mordre dans un bon pain frais et chaud. A présent, ces plaisirs se rappelaient à lui presque douloureusement, comme on se rappelle les bienfaits d'une caresse ou d'une étreinte après des années de solitude aride.
Résistant à la tentation qui s'offrait à lui, il traversa le marché. Les marchands haranguaient les quelques passants matinaux avec un ardeur proche du harcèlement. Les étals débordaient. Les clients avides échangeaient des poignées de pièces contre des sacs en toile fumants. Les marchants criaient, suaient à grosses gouttes. Les tintements des pièces se mêlaient aux bruits de mastication des acheteurs pressés par le temps. La ville s'éveillait, et réveillait en lui le souvenir vivace des plaisirs qu'elle avait à offrir. La capitale était bruyante, surpeuplée, et exaltait une aura de richesse qui le faisait sentir plus misérable qu'il ne l'était en réalité. Mais elle était aussi pleine de boutiques, de gargotes, de maisons de plaisir, de salles de jeu. On pouvait s'y souler jusqu'à perdre connaissance, se plonger dans le stupre, dans les méandres infâmes des jeux de hasards qui vous prenaient jusqu'à votre chemise. On pouvait y laisser toute sa fortune pour passer une nuit en compagnie des plus belles courtisanes, de celles qui ont leurs entrées au palais Royal et que des Ducs présentent à leurs bras.
Luther était en proie à des sentiments contradictoires. Il haïssait cette ville qui l'avait vilipendé, méprisé, moqué, et chassé. Mais il était obligé de lui reconnaître ceci : lorsqu'on souffrait d'un désir inassouvi, Myr était un paradis. Et Luther se rendait compte, au milieu de ces odeurs délicieuses et de cet étalage de victuailles, qu'une faim terrible lui dévorait l'âme.
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WildFlower
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Il y a un an
Mary Lev
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clecle
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Cécile Marsan
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Gottesmann Pascal
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