Fyctia
Chapitre 14.2
A quelques mètres de là, un homme à la démarche hasardeuse titubait, soutenu par deux femmes. Elles étaient si peu vêtues que leur poitrine débordait de leur robe échancrée, accrochant les regards à la fois désapprobateurs et allumés des marchands. Elles gloussaient à l’oreille de l’homme. Ce dernier leva la tête et posa un baiser langoureux sur la joue de l’une d'entre elles. Luther reconnut alors Thomas.
Quelle irritation que de voir son officier se donner ainsi en spectacle ! Cet incorrigible coureur de jupons jetait l’opprobre sur l'ensemble de la chevalerie en se mêlant ainsi à la vermine ! Lorsqu’ils disparurent tous les trois dans une ruelle peu fréquentée, Luther se précipita à leur suite. Mais la foule qui avait peu à peu envahit le marché à mesure que le jour s'élevait ralentit la progression d’Aslan, et il les perdit de vue.
Luther avança un peu en scrutant les alentours pour tenter de le retrouver. Un vieillard avançait comme un insecte rampant, le dos courbé et la jambe tendue en arrière de manière grotesque. L’homme n’utilisait pas de canne, sans doute par fierté. Sa jambe morte était comme un boulet qu’il trainait à la force de sa jambe valide. Au bout d’un temps considérable, le vieillard pénétra dans une boutique. Luther hésita. Le soleil commençait à peine sa course dans le ciel encore chargé de la moiteur de l’aube. Il avait encore un peu de temps.
Il descendit de cheval et s’approcha de la façade de la boutique, intrigué. De grandes fenêtres se découpaient dans les murs d’un blanc usé. Elles étaient ternies par la poussière que le soleil faisait cruellement briller. Une plaque en métal était vissée à côté de la porte d’entrée.
Angulus Larcher, bijoutier de père en fils, lut Luther.
Luther se souvint alors des boutons de chemise qu’Armand portait avec coquetterie. En effet, des bijoux exposés sur un tapis de velours rouge correspondaient au style emprunté de l’homme de loi Lothien. Tout était fait d’argent et de pierre de lune. Les motifs étaient étranges. Il n'en avait encore jamais vu de pareil. Il n'y avait pas le moindre heptagramme, pas de représentation classique de Saint Loren, pas de gravure d’extraits des Saintes Ecritures. A la place, des motifs fins et légers comme des fils de soie, tout en rondeur, comme des couronnes de fleurs sauvages. Luther ne voyait dans cette boutique désuète que des objets passés de mode, dont aucune dame digne de ce nom n’oserait parer sa toilette raffinée. Et pourtant, il demeurait la, subjugué.
Une voix le tira de sa contemplation :
— Soyez le bienvenu dans mon humble boutique, noble Seigneur. Vous souhaitez acquérir un bijou pour votre dame ? Entrez donc ! Vous trouverez ici des pièces de belle facture à des prix tout à fait raisonnables.
Le vieil homme le toisait, un large sourire édenté aux lèvres. Luther voulut décliner poliment sa proposition, lorsque son regard fut attiré par un objet placé dans un coin de la vitrine.
Un collier se démarquait des autres. Il n'en était pas moins étrange et démodé, mais il le trouvait d’une délicatesse folle, avec ses petites perles nacrées disposées à intervalles réguliers le long d’une fine chaîne argentée. Un pendentif en forme de lune était pendu au milieu. Il entra dans la boutique et s’approcha. Angulus qui, en bon vendeur, avait saisi son intérêt, en profita aussitôt :
— Je vois que Mon Seigneur a un gout sûr ! Votre dame sera ravie de ce cadeau. La pierre de lune est très convoitée en ce moment ! Tout le monde à la cour se l’arrache, je vous le garantis ! Rares sont les bijoutiers qui en vendent, et de cette qualité par-dessus le marché !
Angulus lui tendit le collier, les yeux avides. Le bijou s’enroula autour de ses doigts, glissa et ondoya comme s’il était fait de liquide. Il était si léger qu’il le sentait à peine effleurer sa peau.
— Une pierre si pure ! continuait Angulus avec emphase. Admirez comme il scintille au soleil.
Le vieillard le regardait manier avec ravissement. Il sentait la vente presque conclue. Il lui suffisait d’appuyer un tout petit plus afin d’ébranler les dernières barrières qui empêchaient Luther de lui confier le contenu de sa bourse.
— Ce collier est différent des autres … dit Luther, pensif.
— Certainement ! Je l’ai conçu moi-même, lors de mon séjour dans le désert rouge.
Les yeux d’Angulus brillèrent de fierté. Luther sentit que le vendeur ne mentait pas. Ce séjour dans le désert expliquait probablement l’aspect étrange de sa marchandise, ainsi que sa boutique déserte. Il reporta son attention sur le collier, et il l’imagina orner le cou d’une jeune fille. Le cou d’Aenid. Il vit les pierres de lune briller comme des étoiles, brodées sur sa peau de velours. Il se représenta le pendentif tendu sur sa poitrine juvénile, bougeant au rythme de sa respiration. La pensée que quelque chose qu’il avait tenu dans sa main puisse reposer si près de son cœur à elle le brula.
Il sortit sa bourse dans un mouvement machinal et tendit quelques pièces au vieillard.
— C’est assez ?
Le vieil homme écarquilla les yeux.
—Attendez, je dois avoir la monnaie quelque part.
Mais Luther avait déjà quitté la boutique d’un pas précipité. Ses oreilles battaient, et un feu consumait ses joues mal rasées. Il fourra le bijou dans la poche de son manteau et se remit en selle avant qu’Angulus ne puisse le rattraper. Le poids léger du collier lui rappela la folie qu’il venait de commettre. Il ne disposait pas d’une grande fortune, et il venait d’en dépenser une partie pour s’attirer les bonnes grâces d’une esclave. Mais il ne regrettait pas son geste. Il se réjouissait par avance de voir sa réaction lorsqu’il lui ferait ce cadeau.
Il arriva en quelques minutes dans le quartier saint de la capitale. C’était une zone à part, qui fermait ses portes au public pour ne les ouvrir que pour l’office une fois par semaine, et pour les fêtes religieuses. Sa Sainteté ne recevait que sur rendez-vous, et personne ne pouvait déroger à cette règle, pas même la Couronne. Derrière les hauts murs austères, des centaines d’érudits venus des quatre coins du continent passaient des années, parfois une vie entière à étudier les deux volumes des Saintes Ecritures et tentaient de percer le mystère de l’Ascension. A sa connaissance, personne n’y était encore parvenu, mais les hommes de Dieu gardaient jalousement leurs secrets. Seul le premier volume des Ecritures était donné en lecture au peuple d’Amundir. Le contenu du second était jugé trop élevé, ou trop dangereux. Il était soigneusement conservé à l’abri des regards profanes. Luther n'avait jamais éprouvé un intérêt quelconque à étudier ces obscurs gribouillages. Il espérait que ce manquement ne lui ferait pas défaut à présent qu'il avait désespérément besoin du soutien du Temple.
Luther ralentit. Deux chevaliers de l’ordre du Temple étaient postés devant l’imposante porte en métal et lui barraient la route. Ils lui jetèrent un regard hostile :
— Qui va la ?
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Gottesmann Pascal
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