Fyctia
Chapitre 13.5
Aenid se tenait dans l’encadrement de la porte, un plateau chargé de nourriture dans les bras. Le soldat qui se tenait derrière elle la poussa en avant sans ménagement.
— C’est elle ? aboya-t-il.
— C’est elle. Laisse-nous.
Lorsqu’il fut parti, Luther attrapa le bras d’Aenid et la tira vers lui avant de refermer la porte. Sa robe de coton blanc, identique à celle portée par toutes les servantes du palais, donnait un éclat somptueux à sa peau et à ses cheveux sombres. Il l’observa d’un air soucieux.
— Comment vont-ils ?
— Mon frère et ma grand-mère vont bien. Nous avons été conduits dans les quartiers des serviteurs sur votre ordre, mon seigneur.
Elle baissa les yeux et posa le plateau sur le lit. Elle voulut ensuite sortir mais Luther la retint.
— Attends. Tu as diné ?
Une gêne intense apparut sur son visage, que Luther ne comprit pas.
— Un peu, murmura-t-elle.
Luther lui fit signe de s’assoir et lui tendit un morceau de pain. Elle recula d’un bond en secouant la tête d’un mouvement si vif que des mèches de cheveux battirent ses tempes.
— Mon seigneur, je ne peux accepter …
— Je veux que tu partages mon repas, insista-t-il.
Elle rougit de plus belle. Ses mains se tordirent, et ses yeux refusèrent de croiser son regard.
— Vous ne comprenez pas. Les femmes Nassin ne peuvent partager le repas d’un homme qui n’est pas de leur famille, c’est interdit.
Luther haussa les sourcils.
— Que veux-tu dire ?
—Les femmes prennent leur repas séparément des hommes. Il est inconvenant pour un homme de voir une femme manger.
Luther éclata franchement de rire. Aenid afficha alors une moue offensée.
— Nos coutumes vous font-elles rire mon seigneur ?
— Je n’ai jamais entendu de coutume aussi ridicule.
Il n’avait pas ri ainsi depuis longtemps. Il poussa le plateau de nourriture dans sa direction et ordonna avec douceur mais fermeté.
— Mange. Je ne suis pas un Nassin. Je sais que tu es affamée.
Elle hésitait encore mais une lueur d’envie traversa son regard. Cela ne lui échappa pas. Il saisit le pain et le rompit en deux. Il lui tendit le fragment le plus gros et lui sourit :
— Je te promets de ne pas m’évanouir de dégout en te regardant.
Elle saisit timidement le morceau de pain du bout des doigts. Elle prit ensuite soin de détourner son visage pour lui tourner le dos à moitié avant de le porter à sa bouche. Luther se retint de rire à nouveau et ils mangèrent en silence. Elle lui jetait de temps à autre des regards chargés de curiosité. Lorsqu’il poussa un fruit dans sa direction, sa main frôla la sienne, déclenchant un fourmillement le long de son bras.
— Pourquoi faites-vous cela ?
— Faire quoi ?
— Partager votre repas. Pourquoi ?
— Parce que tel est mon désir.
Elle lui jeta un regard décontenancé. Il eut un léger soupir et expliqua :
— Je ne suis qu’un chien de garde, Aenid. Et nous autres, chiens de garde, nous faisons ce qui nous plait, sans nous poser de questions.
Elle un léger mouvement de recul qui ne lui échappa pas.
— Tu n’as pas à avoir peur de moi, ajouta-t-il avec toute la douceur dont il était capable. Je ne te veux aucun mal.
Rassurée par ses paroles, elle saisit le fruit et le dévora à pleines dents. Elle cherchait à se dérober à son regard du mieux qu’elle pouvait, mais il vit malgré tout ses lèvres s’humidifier, et du jus couler sur son menton. Elle l’essuya d’un geste si sensuel qu’il du prendre la parole pour cacher son trouble.
— De quelle manière les Nassin traitent leurs femmes ? Tu m’as dit qu’ils refusent de diner en leur compagnie, je veux en savoir plus.
— Les femmes n’ont pas beaucoup de valeur aux yeux des hommes, répondit-elle les yeux dans le vague. Leur rôle se limite à engendrer une descendance en bonne santé. C’est le gouverneur de chaque cité qui choisit une femme pour les hommes de la cité. Une femme a moins de valeur qu’un cheval.
—Tu as des paroles bien sévères pour les hommes de ton peuple. Je suis sûr que tous ne pensent pas ainsi.
—Je vous parle de ce que j‘ai toujours connu. J’ignore si les mœurs de certains hommes sont différentes de ce que j’ai pu observer. Toutes les femmes mariées ou promises à des hommes tenaient ce discours.
— Et toi, étais-tu promise à quelqu’un ?
Il ne put s’empêcher de poser la question qui, il devait bien se l’avouer, le taraudait depuis plusieurs semaines. Pour la première fois, ses beaux yeux noirs comme la nuit se fixèrent sur les siens, lui arrachant un frisson.
— Non.
— Je m’étonne qu’à la mort de ton père, le gouverneur ne t’ai pas donnée en mariage à l’un de ses hommes.
Son attitude changea. Ses doigts maniaient le trognon avec nervosité. Elle semblait hésiter. Luther la pressa :
— Je veux savoir, parle.
— Le gouverneur a bien essayé, balbutia-t-elle, c’est pourquoi nous sommes partis.
Ses yeux s’embuèrent de larmes. Elle réprima un sanglot et poursuivit :
— Le gouverneur voulait me prendre pour femme depuis longtemps. Cet affreux crapaud s’est réjoui de la mort de mon père et allait profiter de l’occasion pour s’imposer comme mon mari. C’est pourquoi nous nous sommes enfuis. Je ne voulais pas devenir sa femme, j’ai supplié ma grand-mère de quitter la ville. Tout ce qui nous est arrivé est de ma faute. Je suis coupable de tout.
Emu par son discours, Luther lui saisit la main. A son grand soulagement, elle ne se déroba pas.
— Quel âge as-tu ? murmura-t-il.
— Dix-huit ans, mon Seigneur.
— Pourquoi tu ne voulais l’épouser ?
Elle lui sourit à travers ses larmes.
— Si seulement vous l’aviez rencontré, vous ne poseriez pas cette question.
Luther lui sourit en retour et serra sa main dans la sienne. Il sentait une boule de chaleur grandir dans sa poitrine à mesure que leur contact se prolongeait. Les yeux d’Aenid se posèrent sur sa poitrine. Une petite trace de sang maculait le tissu de sa tunique. Elle libéra sa main et saisit un petit flacon caché dans les pans de sa robe.
— Mani m’a confié un onguent pour votre blessure. Puis-je … ?
Luther acquiesça sans un mot. Elle s’approcha, et il sentit ses doigts habiles déboutonner le haut de sa chemise et étaler la pâte odorante sur la plaie. Il ferma les yeux un instant.
— Tu n’es pas en sécurité ici.
Les mots avaient traversé ses lèvres sans qu’il puisse les retenir. Elle s’interrompit, et ses yeux brillèrent de peur.
Il tira de sa ceinture le Serpi. Les yeux d’Aenid observèrent la lame briller sous l’éclat de la lune.
—Reprends ton arme, et cache la sous ta jupe.
Elle regardait tour à tour l’arme et son visage sévère d’un air épouvanté. Elle referma ses mains tremblantes sur le manche du Serpi avant de le glisser sous sa robe.
— Que se passe-t-il, seigneur ?
Luther hésita. Mais il ne pouvait rien lui révéler. Il se contenta de lui adresser un sourire qu’il voulait confiant.
— Pars à présent. Je te verrai demain.
Elle n’insista pas. Avant de quitter la pièce, elle se retourna vers lui :
— Merci pour le repas.
Il voulut admirer son expression grave une dernière fois, mais elle avait déjà disparu derrière la porte close.
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