Fyctia
Chapitre 12.4
Son chuchotement contre son oreille lui arracha un doux frisson. Il sourit. Madinia, la cité blanche. Tel était le nom que les Nassin donnaient à la capitale.
—Nous arriverons à la tombée du jour.
On n’apercevait pas encore la forteresse de la ville à cause de l’épaisseur du sous-bois. Le soleil achevait presque sa course dans le ciel. Sa lumière traversait les buis dans une éclatante teinte orangée. Luther grogna. L’attaque surprise des vagabonds leur avait fait perdre de précieuses heures. Chevaucher la nuit était dangereux, mais camper quelque part dans cette forêt l’était tout autant. Un vent frais se leva. Les cheveux d’Aenid volèrent et chatouillèrent son visage. Son bras s’agrippa à lui avec plus de force. Il pouvait voir les muscles saillir sous la peau fine et bronzée.
— As-tu déjà visité la capitale ? demanda-t-il brusquement.
— Non, Dabi ne m’a jamais permis de l’accompagner.
Pour une raison obscure, il fut déçu. Il n’avait aucune idée de la manière dont les jeunes filles étaient traitées dans le désert. Il lui plaisait de se l’imaginer aux côtés de son père, parée de ses plus beaux atours, séjournant dans des luxueuses auberges Il s’était souvent demandé de quelle façon elle l’aurait traité s’il lui avait été présenté dans d’autres circonstances. Peut-être aurait-elle réagi comme toutes les autres, le méprisant de sa condition peu enviable. Peut-être l’aurait appelée le chien derrière son dos, le fils maudit, tout juste bon à exécuter les basses besognes pour le compte de la Reine qui tolérait à peine son existence. Il savait que c’était de loin l’hypothèse la plus probable. Les femmes aimaient penser et agir en meute. Bien peu se démarquaient par leur singularité. Mais peut-être n’en aurait-il pas été ainsi. Et ce peut-être faisait enfler en lui un espoir démesuré.
Aenid poursuivit d’une voix emplie de regret.
— J’ai toujours rêvé de séjourner à Amundir, poursuivait Aenid. Aussi loin que je me souvienne. Mon père promettait à chaque fois que je pourrai l’accompagner, mais il n’a jamais tenu parole. La dernière fois, nous avons eu une terrible dispute. Dans ma colère, je lui ai dit des mots terribles.
— Ton père savait que tu ne pensais pas tes paroles.
— Il n’est jamais revenu de son dernier voyage. Il a été tué pendant une émeute de la faim, peu après la Grande Rébellion.
Sa voix se brisa. Luther se rappela ces épisodes douloureux qui avaient accueilli le début du règne de sa mère. Suite à l’insurrection de la famille Téloré, les dépenses engagées pour la guerre avaient nécessité une levée d’impôt faramineuse. Beaucoup d’hommes avaient été tués, et les récoltes avaient été mauvaises. Le cours du blé s’était envolé. La population affamée s’était soulevée. La guerre civile avait rongé la capitale durant un an malgré une répression sanglante. On pendait jusqu’à cent hommes par jour.
Luther ne sut quoi lui répondre. Il se contenta de toucher le bras qui lui enserrait la taille. Il la sentit se pencher un peu plus contre son dos. Sa tête se lova contre son épaule. A ce simple contact, son cœur manqua plusieurs battements.
Ils arrivèrent en vue des chevaliers. Thomas poussa un soupir de soulagement.
— Commandant, te revoilà enfin ! Je commençais à penser que ces enragés t’avaient tendu une
embuscade...
Il s’interrompit. Jared lui donna un coup de coude en désignant Aenid d’un regard interrogateur. Luther se contenta d’un geste vague de la main et demanda :
— Combien de morts ?
— Dix-huit captifs, commandant, répondit Jared, le regard toujours fixé sur Aenid.
Luther la sentit tressaillir contre lui, mais il ne pouvait la réconforter en présence de ses hommes. Il descendit de cheval et la fit glisser sur le sol. Il croisa son regard chargé d’inquiétude. Raina et Iaonid faisaient-il partie des dix-huit victimes ? Il pouvait lire son angoisse sur son visage et il y répondit par une pression discrète sur son bras. Il apostropha Arthus.
— Raccompagne-la et assure-toi que mes esclaves sont sains et saufs.
Tandis qu’Aenid s’éloignait en compagnie d’Arthus, Luther donna sans plus tarder le signal de départ.
— La nuit sera bientôt là, marmonna Jared qui chevauchait à ses côtés.
— Il est trop dangereux de camper près d’ici, trancha Luther.
— Et les hommes sont pressés d’arriver, renchérit Thomas, le regard vide.
Le silence s’installa.
Luther observa Jared qui lui lançait des regards gênés. Ce dernier était issu d’une famille de serfs. Ses origines modestes n’avaient pas empêché Luther d’apprécier ses tactiques militaires et sa robuste condition physique. Jared lui en avait été reconnaissant. Luther sourit à son officier avec confiance. Ce dernier retrouva aussitôt sa bonne humeur habituelle.
— J’ai juré à Thomas de te suivre dans cette vie et dans la suivante, commandant ! Mais ne va pas t’imaginer que je sois prêt à prendre ta place sur la potence pour autant ! Je n’ai pas l’étoffe d’un martyr.
— Ton optimisme m’honore ! ricana Luther.
— J’ai foi en toi, commandant, repris Jared d’un ton plus soucieux. Mais voilà un an que nous sommes partis loin de la cour et de ses manigances. Tu n’as pas d’allié puissant.
— Tu as sans doute raison …
Luther jeta un bref regard en direction d’Urbain. Ce dernier avait été mis en sureté pendant l’attaque. Il jetait de temps en temps des regards nerveux derrière lui. Il le vit serrer contre lui la sacoche de cuir qui contenait le précieux ouvrage destiné à Sa Sainteté.
Un seul faux pas, songea-t-il, et nous sommes perdus.
Il se demanda non sans ironie combien de temps le prêtre grassouillet tiendrait en cas d’interrogatoire. Il devinait sans peine la réponse à cette question. Il porta sa main à son front, essuya quelques gouttes de sueur qui mouillaient des mèches de cheveux, les collant sur son front.
Le soleil se couchait, illuminant le ciel d'une lumière rougeoyante. Les arbres brillaient, comme s'ils prenaient soudain feu. Un rapace rompit le ciel en deux, fonça vers l'horizon comme une flèche dans un cri perçant. Soudain, la voix gracile d'Urbain résonna à ses oreilles :
— La cité de Myr ! Droit devant !
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A l'Encre de mon Sang
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Il y a un an
clecle
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Mary Lev
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Marie Andree
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Cécile Marsan
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