Mary Lev La fille du désert Chapitre 11.2

Chapitre 11.2

Luther acquiesça sans répondre. Jared partit transmettre l’information aux officiers.


Quelques heures plus tard, le campement fut dressé, et les hommes grelottaient près des feux allumés à la hâte. Pour tenter de se réchauffer, ils engloutissaient des litres de vin. Le bouillon sans viande qui avait été servi fut aussitôt suivi d’une rasade de liqueur, avec cette fois l’objectif de tromper la faim.


Luther savait que les rations des soldats étaient à la limite du supportable, mais il fallait économiser les vivres à tout prix. S’ils étaient pour une raison ou pour une autre bloqués dans la montagne, ils n’auraient aucun moyen de trouver de la nourriture. Ses hommes étaient conscients du danger et acceptaient ses ordres sans rechigner. Luther serra son bol fumant dans ses mains engourdies par le froid, avant de le porter à sa bouche. Ses officiers installés près de lui grimacèrent de concert.


— Que Dieu me pardonne, marmonna Calhoum, mais ce ragout est infâme. Si je ne mourais pas de faim, je serais tenté d’en balancer le contenu au visage de cet individu qui nous sert de cuisinier.


— Un homme aussi noble et raffiné que toi ne se rabaisserait tout de même pas à faire une telle chose ? ricana Thomas tout en ingurgitant son repas.


Thomas faisait peu de cas de la nourriture. Luther n’en était pas surpris. Sa famille était ancienne, mais avait été déchue depuis qu’elle avait apporté son soutien à la famille Téloré lors de la Grande Rébellion. Le Roi avait pardonné. Mais la répression financière avait été si forte que la famille avait été décimée. Thomas avait survécu en exerçant en tant que mercenaire. Il maitrisait si bien le maniement des armes qu’il avait été remarqué par le Roi Magnus au cours d’un tournoi. Ce dernier lui avait alors accordé l’honneur de servir au sein des chevaliers royaux. Luther considéra le visage pâle de Thomas, ses traits fins et ses grand yeux marrons qui brillaient d’intelligence. Les femmes adoraient ses boucles cuivrées. Il était bien bâti, presqu’aussi grand que Luther. Du fait de son ascension fulgurante, il commençait à redorer le blason familial, et à faire oublier par la même occasion la trahison des siens.


— Je ne sais pas trop, maugréa Calhoum. Il n’y a plus de distinction entre noblesse et homme de basse naissance dans un endroit tel que celui-ci. Hormis ce bon vieil Arthus, nous avons tous le même aspect crasseux.


— Je ne te donne pas tort, confirma Jared. Si la faim n’a pas raison de nous, le froid s’en chargera d’ici peu.


Thomas donna une tape amicale sur l’épaule de Jared. Les trois hommes se turent. Ils étaient d’humeur maussade, et finirent leur bouillon en silence. Luther leva la tête et demanda :


—Quelles sont nos pertes ?


— Treize ont succombé à la marche aujourd’hui, récita Jared. Ne te tracasse pas. Depuis notre départ, ce sont les vieillard et les malades qui passent l’arme à gauche. Ils n’avaient que peu de valeur de toute façon. Je ne crois pas que leur sort importera à Sa Majesté.


— Les préceptes du Temple nous enseignent l’empathie. Tu n’as donc pas de cœur, Jared ? demanda Calhoum, désapprobateur.


— De quoi tu parles ? Ces gens ne valent rien. C’est une bonne chose que les faibles succombent, nos réserves de nourritures ne s’en porteront que mieux.


— Toutes les hommes ont une valeur, peu importe leur naissance, grommela Calhoum. C’est l’enseignement de Loren, béni soit-il.


— Et Dieu sait que Loren était réputé pour sa bienveillance à l’égard des Nassin, ironisa Thomas.


Calhoum fronça les sourcils. Malgré ses doigts raidis par le froid, il parvint à saisir la chaine autour de son coup et fit rouler l’heptagramme en argent entre ses doigts, ainsi qu’il le faisait chaque fois que Thomas blasphémait en sa présence.


—La ferme Thomas, intervint Jared, un sourire en coin. Tu connais l'enfance de ce bon vieux Calhoum. Il a passé plus de temps dans le giron des prêtres des îles du Nord que pendu au sein de sa mère. Il était tout le temps fourré chez les Téloré. L'évêque des îles est sa deuxième maman.


Les yeux de Calhoum lancèrent des éclairs, tandis que Thomas éclata de rire.


—Et on ne mord pas le sein qui vous nourris ! Est-ce également ce qu’on t’a enseigné, Calhoum ? C’est pour cette raison qu’on doit se farcir ta bigoterie même dans cet enfer ?


—C’est le prix à payer en effet, lorsqu’on a eu la chance de bénéficier d’une éducation digne de ce nom, répliqua Calhoum qui commençait à s'agacer sérieusement. Une chance, Thomas, que tu ne peux connaître. Il parait que ton père ne sait même pas lire ?


Un rictus de mépris déformait sa bouche, mais Thomas ne sembla pas se formaliser. Il haussa les épaules et prit le temps d’avaler une longue rasade de vin avant de répondre :


—Laisse mon vieux père où il est, tu veux bien ? Je suis aussi bien né que toi. Seulement, on ne m’a pas farci la tête de l’enseignement du Temple, vois-tu. Pas le temps pour ces conneries. Il fallait en abattre du travail à la ferme, pour se nourrir, et se chauffer. Pas de serviteurs, personne pour allumer ton feu, chasser à ta place ou te torcher. Fallait tout faire soit même. Mais ça doit être dur à comprendre, Calhoum, quand on a grandi dans l’opulence du château du Duc ?


—Détrompe-toi, Thomas. Je comprends parfaitement cela. Si tu avais pris la peine ne serait-ce que de feuilleter les saintes écritures, tu y aurais trouvé la parfaite illustration de ta famille. Attends, ne bouge pas, ça va me revenir …


Il plissa les yeux. Ses sourcils sombres et broussailleux se rejoignirent presque au-dessus de son nez en trompette. Puis, il se rappela et récita, triomphant :


Plus la lignée est illustre, plus dure est la chute ! Tu pourras le lire à ton père la prochaine fois, ça lui rappellera des souvenirs de famille ! Enfin, si tu as eu le temps d’apprendre à lire entre deux séances de jardinage !


Thomas lui adressa un geste extrêmement grossier de la main, avant de s’interrompre, réalisant la présence de Luther juste à côté de lui.


— Pardonne-moi, commandant, marmonna-t-il dans sa barbe. Les provocations de cet idiot m’ont fait oublier les bonnes manières.


— Ce n’est rien, murmura distraitement Luther.


Son regard était accaparé par Yvan. Ce dernier se déplaçait en direction de la tente de Tiago, les mains chargées de sacs dont on pouvait aisément deviner le contenu. Plusieurs de ses hommes lui avaient rapporté que Son Excellence ne se soumettait pas au régime drastique imposé à tous les autres. La réserve était régulièrement pillée par les hommes de la garde. Luther était furieux, mais impuissant. Tiago le punissait de l’humiliation qu’il lui avait infligée en sapant son autorité au su et à la vue de tous.


Jared avait suivi son regard. Il gratta sa barbe fournie d’un air furieux.


— Quelle raclure ! A la prochaine expédition, ce maudit garde ne pourra pas s’en tirer à si bon compte.


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27 commentaires

Marion_B

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Il y a un an

Hey! je viens d'avoir un flasch! Voici ma théorie ultra alambiquée :) : - Luther = homme bon, respectueux, humble, ouvert d'esprit. Il a bénéficié du désamour de sa folle mère pour se construire et trouver une solide béquille auprès de son oncle - Tiago = homme fourbe, colérique, enfant gâté pourris, ne supporte pas la frustration probablement complètement brisé par le "mal"amour de sa folle de mère BILAN 1: vaut mieux ne pas être aimé par une folle surtout quand il s'agit de sa mère! BILAN 2: évidemment pour le moment on adore Luther et on déteste Tiago mais...perso je commence à prendre Tiago en pitié et avoir envie qu'il évolue puisque c'est un homme et forcément il ne peux pas être QUE mauvais? si? BILAN 3 :Bon se flash est super bizarre car il me vient juste maintenant alors que j'attends avec impatience le prochain chapitre feu flamme Luther Anaeid Vivement la suite!!!

Mary Lev

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Il y a un an

Mais c’est une super analyse ! Tiago est mon chouchou. Il va avoir un arc qui évolue mais pas tout de suite ! Pour l’instant il creuse … bientôt la suite :) je suis contente que ça te plaise :)

Marion_B

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Il y a un an

Ah trop contente de ta réponse..en plus je sais plus si je t'avais dit mais j'adore ce prénom...ma seule crainte...je vais pas pouvoir lire ton roman en entier..tu me diras si tu publies!

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Très bon chapitre, j'aime beaucoup la conversation entre eux, cela dévoile beaucoup. Ce sont des dialogues utiles !

Mary Lev

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Il y a un an

Merci beaucoup pour ton mot ! Et ta lecture 🥰

Micael M.

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Il y a un an

Super ce côté de survival de ton livre où on doit gérer les ressources et l'environnement. Ca donne encore des points de réalisme a ton histoire.

Mary Lev

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Il y a un an

Merci ! La bouffe c’est la vie 😂

WildFlower

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Il y a un an

Le froid et l'alcool, c'est pas très bon pour les relations humaines ^^ Quelle plaie ce Tiago XD

Mary Lev

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Il y a un an

Ce n’est pas très cosy en effet ! Ça fait ressortir le meilleur chez chacun deux comme tu peux le constater 😂

Marie Andree

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Il y a un an

J'aime beaucoup cette discussion autour du feu du camp. Bon et bien sûr Tiago se distingue encore par son altruisme. ;-)
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