Mary Lev La fille du désert Chapitre 11.1

Chapitre 11.1



Si ta vie est misérable, homme du désert, prends en ton parti ! C’est que tu as péché dans la précédente.


Proverbe Nassin


Voilà plusieurs jours que l’expédition avait quitté le château de Loth. Le froid glacial arrivé plus tôt que prévu les prit par surprise. Les températures chutaient de jour en jour. Luther craignait chaque soir qu’une tempête de neige ravage leur campement de fortune. Il s’était assuré de fournir aux esclaves des vêtements chauds. Malgré ces précautions, chaque jour de marche était fatal aux plus fragiles d’entre eux.


La mort de Déménor avait précipité leur départ. Mais il avait eu le temps de rendre visite à Roderick dans leur modeste demeure. Il avait joué avec ses filles. Deneb, son épouse, avait cuisiné des plats aux parfums exotiques. Elle parlait la langue commune avec un fort accent qui lui faisait rouler les « r ». Il ne put s’empêcher d’envier son ami. A son retour, son lit lui avait paru plus froid qu’à l’accoutumée. Il s’était allongé, les yeux grands ouverts, en se demandant qu’elle aurait été sa vie s’il avait été un autre.


Il se sentait misérable dans sa solitude. Il songea avec ironie aux richesses accumulées par sa famille aux cours des siècles. Des monceaux d’or, des hectares de terres arables à travers le continent, et les pierres précieuses extraites des mines de Navagoth, quelques km à l’ouest de la capitale. Même la flotte des iles du Nord, gracieusement laissée à disposition du Duc de Téloré qui était chargé de son entretien, était en réalité la propriété de la Couronne depuis la Grande Rébellion. Et pourtant, Luther ne possédait rien, même pas sa propre vie. Roderick, malgré son origine modeste, était libre de mener sa vie comme il l’entendait. Il repensa aux fillettes rondelettes et brunes, à l’image de leur mère, et soupira. Il se maudit d’éprouver une telle jalousie envers un ami qui lui avait ouvert les portes de sa maison et l’avait reçu comme un roi.


Tiago, par son mariage avec la princesse Telleria, deviendrait le roi le plus puissant ayant jamais régné sur le continent. La famille Téloré avait certes perdu son prédicat Royal depuis la Grande Rébellion, mais leur prestige ne s’était pas terni. Ils avaient amassé avec patience un patrimoine considérable et formé une armée de fantassins de plusieurs milliers d’hommes. Luther se rappelait avoir visité leur camp d’entrainement. Il les avait observé se battre, leur armure argentée l’avaient aveuglé pendant de longues minutes. Les mouvements étranges de leur danse de combat l’avait stupéfait, tout comme l’étrange rituel qui imposait aux fantassins de boire du sang ennemi mêlé à de l’eau de mer avant d’intégrer les troupes du Duc.


Il se rappela aussi de la timide Telleria, et revit ses grands yeux clairs comme l’océan qui lui mangeaient tout le haut du visage, et ses cheveux de lin. Elle ressemblait à un animal apeuré. Son séjour sur les îles avait duré plusieurs semaines, mais il n’avait jamais entendu le son de sa voix. Elle baissait les yeux avec effroi à chaque fois qu’elle croisait son chemin. Mais il n’en avait pas été offusqué. Telleria faisait preuve de la même attitude envers Tiago. Ce dernier, en revanche, ne s’était guère privé de moquer sa future épouse, et avait imité avec cruauté son allure gauche et empruntée.


Un avenir bien sombre se dessinait, à moins que …


Il jeta un regard à l’homme qui chevauchait tant bien que mal à quelques mètres de lui. L’épaisseur de son manteau de fourrure accentuait son embonpoint. Le prêtre mandaté par Lucius ne s’était jamais rendu à Myr de toute sa vie, et lorsqu’on lui avait expliqué ce qu’on attendait de lui, il s’était montré enjoué par la perspective de visiter le temple de la capitale et de rencontrer sa sainteté. Mais Luther le voyait déchanter chaque jour un peu plus. La rudesse du voyage et la piètre nourriture avaient eu raison de son enthousiasme. Il affichait désormais un air sombre et abattu. Lorsque Luther s’approchait de lui pour s’enquérir de son bien-être, il se hâtait de modifier l’expression de son visage et de lui assurait d’un air faussement enjoué que tout allait pour le mieux. Il n’était du reste pas très bavard, et tout ce que Luther avait pu tirer de lui était son prénom : Urbain.


Le regard de Luther se posa sur son frère qui avait été contraint d’abandonner sa chaise à porteur pour voyager à cheval. Les sentiers de montagnes n’autorisaient aucun luxe. Luther éprouva un plaisir malsain à le voir grelotter malgré son épais manteau d’hermine et de velours, tout en se plaignant des mauvaises conditions du voyage à ses hommes mortifiés.


Derrière Tiago, les chevaliers marchaient en files désordonnées, les chevaux ployait sous le poids des hommes lourdement armés. Le sentier était pentu et rocailleux. Ils avançaient lentement. Autour d’eux, l’épaisse forêt empêchait les quelques rayons de soleil de réchauffer leurs corps frigorifiés.


Jared s’avança à sa hauteur :


— Commandant, il faut trouver un endroit pour camper. La lumière baisse.


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29 commentaires

cedemro

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Il y a un an

Et tous les prisonniers, ils font comment pour suivre des cavaliers ?

Mary Lev

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Il y a un an

À pied dans le froid et dans la souffrance …

clecle

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Il y a un an

Tiago est vraiment méprisable comme personnage. Le voir dans le froid le ramène à sa condition d'humain et à sa vulnérabilité. Ce n'est pas plus mal. Je me demande si ce personnage peut encore cacher quelques choses de positif, s'il serait capable de susciter à un moment ou à un autre de l'empathie chez le lecteur. Pour le moment, il est vrai qu'on ne peut que le détester.

Mary Lev

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Il y a un an

Il aura un arc positif mais très tardivement dans l’histoire … pour l’instant il continue de creuser !

Marie Andree

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Il y a un an

Ça fait un peu plaisir de voir Tiago frigorifié. Bon, très plaisir, en fait. 😅

Mary Lev

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Il y a un an

Haha marie tu as un côté sadique !

WildFlower

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Il y a un an

Ce voyage parait vraiment rude... mais on a le petit plaisir de voir Tiago se peler les miches :p Je me demande comment ça va se passer à leur arrivée !!

Mary Lev

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Il y a un an

Attend attend ils sont pas encore arrivés 😉

mariecolley

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Il y a un an

Pauvre Luther... vivre une vie qu'il n à pas choisi, j'ai de la peine pour lui.

Mary Lev

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Il y a un an

Oui c’est assez triste mais j’essaie de le sortir de la promis 😅
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