Fyctia
Chapitre 10.4
— Que veux-tu dire ?
Luther était trop épuisé pour la sermonner sur le caractère païen de ses paroles. Encouragée par sa réaction, elle poursuivit :
— Les croyances anciennes de notre peuple disent que l’âme voyage de corps en corps à travers les âges. La mort est le seul moyen d’accéder à l’étape qui vient.
— Ainsi, tu crois à une vie après la mort ?
— Peu importe ce que je crois, murmura Aenid en baissant les yeux.
Luther eut un rictus.
— Vos croyances sont bien étranges. Combien de Dieux avez-vous ?
— Nous vénérons Amaan, le Soleil, et Idraed, la Lune, répliqua Aenid piquée au vif. Leur union a donné naissance à la Terre.
— Certains mercenaires racontent que les Nassin vénèrent l’eau, est-ce vrai ?
Certaines rumeurs avaient autrefois attisé sa curiosité. Il avait entendu parler de clans entiers décimés par un esprit de l’eau. Certains étaient devenus fous, et s’étaient laissés mourir de soif, refusant catégoriquement de boire la moindre goutte salvatrice.
—La plupart des Nassin considèrent ajoua comme un bien précieux, confirma Aenid. Nous l’économisons et nous la buvons en petites quantité tout au long de la journée. Mais certains clans croient en un esprit maléfique, le Sadoun, réputé pour conduire les hommes à la folie. Leur plus grande peur est de tomber dans la dépendance à l’eau.
— Cette peur de l’eau, depuis quand existe-t-elle parmi les clans ? demanda Luther tout en devinant la réponse.
— Depuis la Sadraa, répondit Aenid avec calme. La catastrophe qui a conduit notre peuple à quitter le continent pour se réfugier dans le désert.
La catastrophe. C'est ainsi que les Nassin nomment la venue de Loren sur leurs terres, songea Luther, accablé. Le fait que Loren était son ancêtre direct ne faisait qu'ajouter au poids qui l'étouffait.
Un silence s’installa. Aenid examina le pain de savon intact et la fiole d’huile qui trainaient par terre; intacts.
— Puis-je vous laver mon Seigneur ?
Luther la regarda, ébahi par sa suggestion.
— La d’où je viens, précisa-t-elle à la hâte, il est de coutume que les femmes baignent les hommes, afin de purifier leur esprit et leur cœur. Je le faisais pour mon père…
Elle baissa les yeux.
— Où est ton père à présent ?
— Il est mort voilà plusieurs années.
Luther pouvait voir qu’une forte émotion l’avait saisie. Elle s’essuya les yeux.
— Laissez-moi faire cela pour vous. En paiement de ma dette.
Luther avait très envie de céder, mais il était aussi un peu gêné à l’idée qu’une femme étrangère lui prodigue un soin aussi intime. Aenid s'approcha. Elle saisit le savon d'un geste assuré et retroussa les manches de sa robe. Elle trempa le savon dans l'eau du main et le fit mousser d'un geste énergique. Ses mouvements étaient naturels, et elle affichait une expression d'innocence presque enfantine. Son visage confiant et tranquille le fit se sentir honteux d'avoir imaginé que sa proposition comportait une quelconque sensualité. Et plus honteux encore quand il comprit qu'il en était profondément attristé.
— Fermez les yeux.
Il obéit. Il sentit alors les mains d’Aenid se poser sur sa nuque. Elle promena ses doigts sur ses épaules, jusqu’à ses bras. Il soupira d'aise. Il ne pouvait cacher l’agréable sensation que lui prodiguait le contact de ses doigts sur sa peau.
— Détendez-vous, murmura-t-elle.
Luther colla son dos la baignoire et laissa pendre ses bras de chaque côté comme un épouvantail. Satisfaite, Aenid se mit au travail avec l'aisance que confère l'habitude. Ses mouvements se succédaient dans un ordre précis. La nuque, les épaules, puis les bras et les mains. Toujours, des mouvements circulaires, ni trop appuyés, ni pas assez. Juste ce qu'il fallait. Sa peau avide de contact se moulait sous les doigts d’Aenid. Les deux peaux faisaient comme un dialogue, se répondaient, négociaient, pour finalement échanger un peu de chaleur contre une promesse.
Les paumes d'Aenid, qui irradiaient de chaleur, arrivaient à créer une fêlure dans la glace qui avait figé son cœur. Peu à peu, il sentait qu'il reprenait pied, qu'il s'ancrait à nouveau dans sa réalité.
Lorsqu’elle Aenid frôla son visage, il sourit.
— Je vais exiger cela de toi chaque soir désormais…, murmura-t-il.
— Si tel est votre désir, qu'il en soit ainsi ! Je vous dois la vie, après tout.
Il quitta la baignoire et se sécha. Puis il s’allongea sur le lit, fourbu. Aenid saisit la fiole d’huile et la frotta entre ses mains pendant de longues minutes. Ses doigts firent ensuite sauter le bouchon et elle versa une quantité généreuse de liquide visqueux et parfumé sur ses paumes. Elle s’approcha de lui les mains levées, embaumant la pièce d'un lourd parfum de musc. Il surprit son regard dirigé sur le côté, où il avait jeté négligemment son épée.
— Vous ne craignez pas de laisser votre arme ainsi, sans surveillance ?
— Pourquoi cette question ? Tu comptes t’en servir pour essayer de me tuer à nouveau ?
Aenid le regarda. Ses paumes se rejoignirent comme dans un mouvement de prière. Ses lèvres s’étirèrent, creusant des fossettes sur ses joues. C’était la première fois qu’elle souriait en sa présence.
— Peut-être serai-je victorieuse cette fois ! dit-elle.
— Peut-être te laisserai-je avoir le dessus…
Il songea alors que la mort lui serait douce, si elle lui était donnée par elle. Sa main se posait à présent sur son dos. Il fut surpris par la vigueur de ses gestes. Elle n’avait pas menti, il sentait son aisance tandis qu’elle s’affairait au-dessus de lui. Il ne voyait pas son beau visage, mais il pouvait sentir son souffle chaud sur son dos lorsqu’elle se penchait un peu trop près.
— Parle-moi de toi, demanda-t-il brusquement.
Les mains s’interrompirent.
— Que voulez-vous savoir ?
59 commentaires
cedemro
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
Micael M.
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
Micael M.
-
Il y a un an
A l'Encre de mon Sang
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
Micael M.
-
Il y a un an
Mary Lev
-
Il y a un an
clecle
-
Il y a un an