Fyctia
Chapitre 9.8
Luther regarda les yeux calculateurs du prêtre, et se demanda soudain pour quelle raison un tel homme s’était retrouvé si loin de la capitale. Quel affront la Reine avait-elle commis pour se faire un tel ennemi ?
— Si ce procès a lieu, croyez bien qu’il ne se fera pas sans effusion de sang, prévint Luther d’un ton macabre.
— Il n’est pas interdit de verser du sang ennemi. Ce qui compte, c’est l’équilibre des forces en présence. Et je crois que le sort vous est favorable, mon seigneur.
— Votre prétention vous aveugle Lucius ! aboya Armand, agacé. Luther ne passera pas les portes de la cité de Myr en possession de la lettre. Notre expédition sera fouillée par les gardes. Les chevaliers seront tous passés au crible. Nous n’avons aucun moyen de transmettre cette maudite lettre à l’archevêque.
Lucius continuait à regarder Luther, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Je ne peux qu’approuver vos paroles, Armand. Et cela me coute de le dire, croyez-moi.
—Les chances qu’un messager arrive sans encombre sont minces, dit Luther.
— En effet, acquiesça Lucius. Je ne vois qu’une seule solution pour faire parvenir cette lettre à Boniface sans prendre le risque d’être découvert.
Armand prit une profonde inspiration.
— Vous ne songez tout de même pas à faire porter ce message d’une importance capitale par un prêtre de bas étage ?
— Voyez-vous une autre solution ? rétorqua sèchement Lucius. Les hommes du Temple sont les seuls à pouvoir pénétrer la cité par la porte de Saint Loren. Ils sont accueillis par les chevaliers du Temple. Il semblera parfaitement naturel que le Seigneur de Lorient dote son expédition d’un prêtre, afin de s’assurer des bonnes grâces de Dieu durant la traversée des montagnes. Je fournirai à ce prêtre un exemplaire recherché des Saintes Ecritures, qu’il sera chargé de transmettre en mains propres à Sa Sainteté. J’en informerai moi-même les chevaliers du Temple.
Luther sentit son cœur s’accélérer. Il essuya ses mains devenues moites sur son pantalon en toile usée. Il réalisa l’immense danger que ce plan impliquait. Lorsque sa mère serait avertie de la tenue prochaine du procès, elle serait comme une bête furieuse, prise au piège, et prête à tout. Luther était bien placé pour connaître l’étendue de sa cruauté. L’idée que Tiago, son précieux fils, puisse être dépouillé de son trône lui serait insupportable. S’il lui en laissait l’occasion, sa riposte serait terrible et sans pitié.
Armand de son côté, semblait réfléchir intensément. Ils restèrent tous les trois silencieux un long moment. Le feu crépitait dans la cheminée et Méloé pénétra dans la pièce pour débarrasser les verres vides. Personne ne lui prêta la moindre attention.
Luther fut le premier à rompre le silence.
— Et si je refuse de vous donner cette lettre ? Serai-je moi aussi considéré comme un traitre à la foi divine ?
Le regard de Luther se perdit dans les flammes. La tentation d’y jeter la lettre était grande. En la faisant disparaître, il redeviendrait le frère cadet, et resterait dans l’ombre. Lucius lut dans son esprit ses intention et parla d’une voix douce :
— Mon Seigneur, quel autre choix avez-vous ?
Luther leva les yeux vers lui.
— Retourner auprès de Sa Majesté et exiger ce qui me revient de droit. Une terre, des serfs. Je n'ai que faire de ces intrigues ! Je ne veux pas être mêlé à tout cela ! Je veux seulement m’établir le plus loin possible de la capitale. N’importe quelle masure délabrée fera l’affaire.
— Mon cher Seigneur, dit doucement Lucius en secouant la tête, vous vous méprenez. Sa Majesté ne vous confiera jamais la moindre parcelle de terre. Je suis bien placé pour le savoir, car j’ai pu examiner le testament de feu votre père.
— Que voulez-vous dire ? demanda Luther, interloqué.
— Votre père vous a cité dans son testament à de multiples reprises, vous léguant richesses et terres en abondance. Cependant, le testament a été rédigé sans l’aval d’un homme du Temple. Votre mère en a profité pour l’invalider.
— Pour quelle raison ?
— Vous confier une terre, mon Seigneur, c’est vous confier une armée. Vous avez été fait chevalier par votre oncle, et Sa Majesté n’a pu vous empêcher de prendre le commandement des chevaliers Royaux. Vous l'avez gagné à la sueur de votre front, par le fer et par le sang. Vous avez réussi l'impensable : vous vous êtes élevé par vous même, vous avez conquis vos hommes par votre habilité au combat et votre puissance. Sa Majesté le sait : il serait pure folie de vous octroyer une terre. Les vassaux pourraient vouloir faire de vous leur Roi. Jamais elle ne prendra ce risque.
Ainsi Lucius confirmait ses craintes. Le soleil mourait lentement, s’écrasant sur l’horizon dans une lueur dorée éclatante. Le ciel était d’un indigo pur, sans le moindre nuage. Alors que son existence prenait un tournant décisif, et qu’il risquait sa vie en complotant en compagnie d’ennemis de la couronne, il ressentit une sensation étrange en fixant du regard le ciel limpide. La douceur de la décision prise s’infiltrait en lui, coulait dans sa gorge comme la boisson chaude préparée par Méloé. Il soupira d’aise. Tout faisait sens. Tout était d’une simplicité risible : il donnerait la Lettre à Boniface II, déclencherait le procès, ferait tomber les usurpateurs, ainsi que Dieu le lui demandait. Cela n'était rien, et cela était tout à la fois. Une voie nouvelle s’ouvrait à lui. Pleine de dangers, et d’incertitudes, et pourtant faite de lumière et d’or pur, elle l’appelait de toutes ses forces. Il n’avait qu’un désir, s’y engouffrer avec fureur et lutter au nom de la Vie.
Tout à coup, ils entendirent un bruit de cheval au galop. La porte s’ouvrit à la volée et Jared apparut sur le pas de la porte, essoufflé et le teint rouge. Il dit sans ménagement :
— Commandant ! Ton oncle est mort !
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cedemro
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Il y a un an
Mary Lev
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A l'Encre de mon Sang
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WildFlower
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LuizEsc
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Marie Andree
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