Fyctia
Chapitre 9.6
La vieille leur désigna deux chaises. Ils s’assirent sans un mot. Luther était soufflé par l’autorité douce qui se dégageait de la femme. Elle remua l’eau brulante du pot et y versa des herbes séchées. Sa main était puissante, avec des articulations larges aux phalanges. C’était une main d’homme, habituée au travail rude. La femme versa une quantité généreuse de miel dans le pot et déclara d’un air important :
— Ce miel provient des ruches personnelles de mon Maitre. Malgré son âge avancé et sa santé fragile, il parvient à entretenir le jardin de manière tout à fait convenable, avec l’aide du jeune Gavin. Oh, un garçon charmant, il est vrai, mais un peu tête en l’air, si vous voyez ce que je veux dire.
—Ce jeune homme m’a paru tout à fait char…, commença Armand.
Luther le fit taire d’un regard. La vieille, qui n’avait rien remarqué, continuait de mélanger le contenu du pot, tout en poursuivant son monologue.
—Le jardin représente une quantité de travail colossale, vous savez. Je pourrai les aider, mais mes rhumatismes me font atrocement souffrir, surtout en cette période de l’année. J’ai déjà bien de la peine à maintenir cette maison en ordre.
Armand pouffa et Luther esquissa un léger sourire. La femme versait à présent le contenu du pot dans des verres dépareillés. Sa main, malgré son poignet enflé, avait un mouvement assuré. Elle n’en renversa pas une goutte.
— Si seulement le Seigneur consentait à nous fournir plus de domestiques. Un jardinier expérimenté ne serait pas de refus, étant donné le travail acharné que doit fournir mon vénérable maître, et l’incompétence du petit Gavin...
Armand ouvrit la bouche, avant de la refermer. Il faisait un effort démesuré pour ne pas éclater de rire. Luther quant à lui ne pouvait détacher son regard de la vieille. Ses cheveux étaient gris et mal peignés. Ses traits étaient tirés. Une fine moustache pendait sur sa lèvre supérieure, comme les branches d'un saule. Ses yeux clairs restaient baissés, mais exprimaient une détermination et une force de la nature qui forçaient son respect.
— Je ne suis pas le maître de Loth, dit-il soudain, mais je vous promets de plaider votre cause auprès du Seigneur Déménor à la première occasion.
La femme releva la tête. A son air ahuri, Luther devina qu’elle ne s’attendait pas à recevoir une réponse. Elle n’eut pas le temps de reprendre ses esprits car un vieil homme apparut dans la pièce. Il avait réussi l’exploit de descendre l’escalier en bois sans faire le moindre bruit.
— Merci Méloé. Tu peux disposer.
— Bien, Maitre, murmura-t-elle d’un ton servile avant de se retirer.
Lucius paraissait en bien meilleure forme que ne l’avait laissé entendre Méloé. Il avait le regard vif, et un sourire pincé étirait sa bouche sévère. Une épaisse chevelure blanche tombait en boucles sur ses épaules. Il portait la traditionnelle soutane verte des hommes du Temple. Luther aperçut une broche en or sur sa poitrine, un ornement peu répandu, réservés aux prêtres de haut rang. Seuls une poignée d’entre eux pouvaient se vanter d’avoir un accès direct à l’archevêque de Myr. Luther espérait que Lucius en faisait partie.
Luther ressentit un effroi soudain face à l’homme à qui il s’apprêtait à confier son secret, et sa propre destinée par la même occasion. Il ne parvenait pas à croire qu’une telle chose allait se produire dans cette vieille maison délabrée, face à un prêtre inconnu et aux côtés d’un homme de loi tremblant de peur. En observant le verre fumant qui dégageait une odeur âcre et peu engageante, il eut une envie irrépressible de quitter cette maison, de fuir loin de Loth, loin de son oncle, et de jeter cette maudite lettre dans le feu qui brûlait dans la cheminée vétuste mais parfaitement entretenue de la maison. Mais lorsque Lucius leva son regard bleu limpide et le fixa sans sourciller, ses craintes retombèrent comme par magie et furent remplacées par un vague malaise.
Pour se donner une contenance, Luther trempa ses lèvres dans le breuvage. Le gout était sans intérêt, mais la chaleur lui fit du bien. Il cherchait le courage de prendre la parole lorsque Lucius lui coupa l’herbe sous le pied.
— Votre oncle m’a informé des raisons de de votre visite, mon seigneur Lorient, ainsi que de sa nature strictement confidentielle. En tant qu’homme du Temple, soyez assuré de ma discrétion. Il s’agit là de votre homme de loi, je présume ?
Son regard interrogateur était dirigé vers Armand.
— C’est le seul homme de loi que j’ai pu trouver dans le temps imparti, répondit Luther.
Il sentit Armand se raidir à sa provocation. Un éclair de satisfaction passa dans le regard de Lucius qui se pencha en avant et prit un ton de conspirateur :
— Votre oncle m’a informé du sujet dont il va être question. Je vous suggère, au nom de la bienséance, de ne pas mentionner les détails de cette sordide affaire à moins que ce ne soit absolument nécessaire.
Luther fut terriblement soulagé de ne pas avoir à évoquer le contenu de la lettre en présence d’un homme du Temple. Lucius se redressa.
— Luther de Lorient, dit-il d'un ton solennel qui arracha à Armand un sourire ironique, vous êtes le prétendant légitime au trône. Une procédure judiciaire est sur le point d’être intentée au nom de Dieu à l’encontre de l’usurpatrice, la Reine Volande, et de Tiago, son fils illégitime.
Luther remarqua que Lucius appelait son frère par son prénom, ce qui constituait un grave manquement à l’étiquette.
Ou alors, pensa-t-il, c’est que tout est décidé. C’est la fin pour Tiago.
—Sa Majesté s’est rendue coupable d’adultère, continua Lucius. Un crime abominable, punissable de mort.
Il avait dit cela avec calme. A l’écouter, Luther avait l’impression d’écouter un prêche, et nullement la sensation qu’il s’apprêtait à commettre une haute trahison. Armand bondit et s’exclama :
— Exécution ? Vous voulez faire exécuter Sa Majesté ? Vous avez perdu l’esprit ? Je connais les textes de loi. L’adultère ne peut être punie de mort. Quelques coups de fouets suffisent dans la plupart des cas. Il n’est pas acceptable que le châtiment de Sa Majesté soit plus sévère.
— Le crime commis par Sa Majesté est bien plus grave, et dépasse votre juridiction, répliqua Lucius sans lui accorder un regard. Nous parlons là d’un crime envers Dieu.
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A l'Encre de mon Sang
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Mary Lev
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