Fyctia
Chapitre 9.2
Grégori se leva d’un bon. Sa main eu un moment de fureur, et d'un geste sec et brutal, elle répandit le contenu de la chope sur le sol.
-Tu n’as rien à dire ? cria-t-il. Bon dieu, je ne te reconnais plus ! Ou es passé l’homme à la morale implacable, l'homme d'honneur, et empli de justice ? L’homme que j’ai entrainé ? L’altercation a ébranlé ton oncle, au point qu’il s’est trouvé mal ! Après cela, il a fallu le soutenir jusqu’à sa chambre. L’esclave l’a veillé toute la nuit. Il est bien mal en point, et ce par ta faute !
Luther cessa de manger et fixa Grégori du regard.
— Ainsi, il ne lui reste plus beaucoup de temps, souffla-t-il.
— Tu as attisé sa colère, Luther, une colère dangereuse. Prends garde que le fiel de ton démon de frère ne te frappe en retour !
Luther fixa le visage de Grégori et décela, derrière la colère, une inquiétude immense. Mais lui-même n’éprouvait pas la moindre culpabilité. Il en savait assez sur la maladie de son oncle, pour ne pas se laisser émouvoir par le ton accusateur de Grégori. Le cœur de Déménor était faible depuis longtemps. Mais le vieil homme était têtu, et n’avait jamais suivi les conseils de ses médecins. Trop attaché aux plaisirs de la vie, il mangeait et buvait à satiété. La quantité astronomique de viande en sauce que ce dernier avait ingurgitée durant le banquet n’était pas étrangère à la dégradation de son état.
— Comment va-t-il ce matin, demanda Luther la gorge serrée ?
— Votre sorcière est demeurée auprès de lui, mais il n’en a plus pour longtemps. Il a demandé à vous voir. Je vous suggère de vous hâter à son chevet une fois que vous aurez terminé…votre repas, acheva-t-il en lançant un regard mauvais en direction de l’assiette de dattes.
Les servantes se pressaient dans la salle presque vide pour débarrasser les restes de nourritures, comme dans un ballet macabre. Luther remarqua que les rares chevaliers encore présents affichaient un air impassible, et faisaient de grands efforts pour donner l'impression qu'ils n'entendaient pas un mot de la conversation qui se déroulait à quelques mètres d'eux.
Grégori fit mine de partir mais Luther lui saisit le bras.
— Calmez votre colère. Voilà plusieurs années que mon oncle est malade. Ce qu'il s’est passé hier soir est regrettable. Mais si Déménor se meurt, je n’en suis pas responsable.
Grégori le fixait sans répondre, les yeux exorbités. Une veine tendait la peau épaisse de sa tempe trempée de sueur. Ses yeux étaient rouges. Luther comprit que Grégori n’avait pas fermé l’œil de la nuit.
— Votre dévouement et votre affection pour mon oncle vous font honneur, reprit Luther avec douceur. Pour cette unique raison, je ne vous tiendrai pas rigueur de vous être emporté. Mais je vous rappelle que je ne suis plus votre écuyer, Grégori. Reprenez vous.
Grégori ferma les yeux. Sa main trembla, et se tendit vers la table comme une araignée rampante. Les doigts épais et boursouflés étaient couverts de plaies mal cicatrisées. La main chercha un instant la chope de bière. Puis, se rendant compte qu’elle était désormais vide, elle abandonna sa quête et s’affaissa dans un mouvement de déception. Au même moment, Grégori s’assit lourdement sur son siège. Son dos était courbé et ses épaules étaient ployés vers l’avant comme sous le poids d’un lourd fardeau. Jamais Luther ne l’avait vu ainsi abattu et faible. Il en ressentit un mélange de pitié et de mépris.
Grégori prit sa tête dans ses mains.
— Mon sentiment importe peu, souffla-t-il d’une voix rauque. Je me soucie seulement de la santé de mon maître, et de l’avenir de Loth. Je pensais que ton retour nous apporterait d’heureux changements. Le Maître les appelait de ses vœux. Nous tous ici, partagions cette vision : toi, recevant enfin cette terre en héritage. Nous nous imaginions te servir, et vivre en paix avec la couronne. De toute évidence, j’avais tort. Ta présence lui fait courir un grave danger. Comme je regrette …
— Je dois vous poser une question. A la mort de votre maître, vers qui vous tournerez-vous ?
Grégori le regarda sans comprendre. Luther insista :
— Loth ne peut se tourner vers ses anciens amis du Sud. Les guerres de purification ont fait naitre un grand ressentiment chez les Nassin. Les rumeurs sur la santé défaillante de mon oncle et sur son absence d’héritier ont probablement déjà circulé parmi les clans. Si j’étais à leur place, je profiterais de sa faiblesse et je ravagerais cette terre à la première occasion.
Grégori écoutait sans répondre. Luther poursuivit :
— Sa Majesté vous a coupé de potentiels alliés au Sud. Déménor va mourir, et je serai de nouveau envoyé de nouveau à la guerre. Ne comprenez-vous pas ?
— Où veux tu en venir ?
— Sa Majesté désire ma mort et celle de tous ceux susceptibles de s’allier à moi.
— Alliés ? balbutia Grégori, perdu. Mais de quoi parles-tu ?
— Sa Majesté est convaincue que je cherche à évincer Tiago du trône. Voilà pourquoi me donner un fief est hors de question. Je le comprends enfin, après toutes ces années vaines à espérer. Je suis une menace, je l’ai toujours été. Me donner une terre, c’est me donner des vassaux. Des hommes, qui pourraient prendre mon parti à la moindre contrariété, et qui pourraient brandir leurs armes sous mon commandement, contre la Couronne. On m’envoie à la mort, Grégori. Et vous périrez avec moi, car votre allégeance à la couronne est des plus douteuses. Notre proximité vous a condamné il y a des années.
Grégori était abasourdi. Il dévisageait Luther comme s’il le voyait pour la première fois. Au bout d’un long moment, il ouvrit la bouche :
— Depuis… depuis quand…
— Depuis quand ma mère souhaite me voir mort ? Depuis la mort de mon père je présume. Mais je l’ai réalisé seulement à mon arrivée ici. Déménor, quant à lui, le sait depuis longtemps.
Luther se leva et posa sa main sur l’épaule de Grégori. La main du vieux chevalier gisait à présent sur la table, sans bouger. La nappe tachée la recouvrait en partie, comme un linceul.
— Mon oncle a choisi son camp, acheva Luther d’un ton lugubre. Nous serons peut-être victorieux. Dans le cas contraire, je vous suggère de quitter Loth dès que possible. A ma mort, ce lieu deviendra un véritable repaire de mercenaires chargés de vous faire la peau.
La main de Grégori reprit vie et trembla légèrement. Grégori demanda :
— Que comptes-tu faire ? Tu ne peux espérer prendre la capitale avec une poignée de chevaliers épuisés par cinq années de guerre civile…
Luther éluda la question d’un geste et se leva :
— L’heure n’est pas à la stratégie militaire. Je dois prendre congé. Mon oncle m’attend et le temps presse.
Grégori acquiesça d’un air mécontent, et Luther quitta la salle de banquet. Il avait toujours le gout sucré de la datte dans sa bouche.
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