Mary Lev La fille du désert Chapitre 8.3

Chapitre 8.3

Luther sourit. Le discours blasphématoire de son oncle lui rappela quelques épisodes savoureux de sa propre enfance passée dans le château. Il revit Déménor ronfler durant les sermons du prêtre, et contraint d’assister aux célébrations religieuses par son épouse, très croyante. Les relations entre Déménor et le temple n’étaient pas au beau fixe, et seul l’éloignement géographique de Loth empêchait les hommes de Dieu d’y assoir leur autorité.


Les hommes étaient de plus en plus souls. Luther commençait à éprouver une délicieuse sensation de flottement. Son oncle et lui partageaient d’anciens souvenirs et éclataient d’un rire sans retenue. Tiago se comportait de manière inconvenante avec les servantes, laissant trainer ses mains avec nonchalance sur leur corps à chaque passage. Repérant son manège, Déménor tenta de prendre la défense de son personnel.


— Votre Excellence a les mains baladeuses, lança-t-il d’un ton moqueur. L’expédition était longue je présume ? Je peux vous indiquer à vous et à vos hommes une adresse bien connue. La gérante choisit ses filles avec le plus grand soin…


—Vos vulgaires servantes ne m’intéressent pas, coupa Tiago. Il est évident que vous ignorez tout ce qu’un homme raffiné peut désirer…


Il regarda les murs en pierre nue de la salle de banquet et toucha du bout des doigts la vaisselle peu couteuse. Il eut un rictus de dédain.


— Vraiment, ne vous donnez pas cette peine, j’ai déjà des projets pour ce soir, poursuivit-il.


Un affreux sourire laissa voir ses petites dents pointues. Déménor répondit d’un air joyeux :


— Voilà bien le fils de Magnus. Peu importe le trou à rat où il se trouvait, cet enfant de putain était capable de trouver une femme pour combler ses désirs !


Un silence gêné accueillit cette révélation. Tous avaient le regard rivé sur le Prince pour jauger sa réaction. Luther était effaré de l'audace de son oncle, même s'ils étaient les seuls à saisir l'allusion derrière les paroles de Déménor.


Tiago plissa les yeux un instant avant d’éclater de rire.


— Ma mère m’a dit bien des choses sur votre compte, mon oncle. Mais elle a omis de me parler de votre sens de l’humour.


— A la bonne heure, mon garçon.


L’alcool faisait oublier l’étiquette à Déménor, mais Tiago ne semblait pas le remarquer. Il riait à gorge déployée aux plaisanteries de son oncle. Tout semblait aller pour le mieux, comme un instant de grâce. Luther ne l’avait jamais vu dans d’aussi bonnes dispositions. Il se sentit presque coupable de l’information qu’il détenait et qui allait radicalement changer la vie de son frère. Il hésitait, en cet instant, à en faire usage. Il n’avait jamais désiré occuper le trône, et Tiago avait été formé dès le plus jeune âge aux affaires de la cour. Il songea qu’il vaudrait peut-être mieux l’échanger contre la promesse de faire de lui l’héritier de Déménor. Tout ce qu’il désirait se trouvait sur ces terres, aussi loin que possible de la capitale. Il pourrait garder Aenid et sa famille près de lui, en sécurité. L’idée le séduisait tellement qu’il était sur le point de signifier à son oncle qu’il n’avait aucunement l’intention de rencontrer le prêtre en fin de compte.


Soudain, quelqu’un posa la main sur son épaule, interrompant ses pensées. Il se retourna. Un visage vaguement familier lui souriait. L’homme avait la trentaine. Il était grand, bien bâti et sa peau était bronzée, témoignant qu’il passait la plupart de son temps dehors. Il avait une épaisse barbe brune, striée de rares cheveux blancs. Son crâne était entièrement chauve et si lisse qu’il reflétait les lueurs des chandeliers. Il avait un large sourire aux lèvres, qui révélait quelques dents manquantes.


— Mon Seigneur, voilà bien longtemps que je ne vous ai vu ! Vous n’étiez alors qu’un enfant à cette époque, et moi un obscur garçon d’écurie.


Sa main trembla un peu, trahissant son émotion.


— Je m’appelle Roderick Montrouge, ajouta-t-il avec appréhension.


Aussitôt, le souvenir du jeune garçon d’écurie du même âge que lui revint en mémoire. A Myr, il était interdit à un homme de basse naissance de s’adresser à un noble sous peine de mort. Les règles à Loth n’étaient pas aussi strictes. Bien que les apprentis issus du peuple étaient peu nombreux au sein de la chevalerie, Roderick en avait fait partie. Luther et lui s’étaient progressivement liés d’amitiés.


Il se leva et donna une accolade à son vieil ami, qu’il n’avait pas revu depuis qu’il avait été chevalier par la Reine une dizaine d’années plus tôt.


— Rod ! bien sûr que je me souviens que toi. Où est passée ta belle chevelure brune ? Je crois me souvenir que tu adorais passer la main dedans à chaque fois qu’une fille était dans le coin.


— Mon Seigneur a une bonne mémoire.


— Ne sois pas si formel. Puisque nous avons été battus ensemble culs nus par ce bon Luis, tu as gagné le droit de m’appeler par mon prénom.


Les yeux de Roderick brillèrent et un soulagement visible détendit ses épaules. Luther lui sourit.


— Allons parler. Je veux savoir ce qui t’es arrivé depuis mon départ.


— Ma vie ne présente pas d’intérêt particulier mon Seigneur…


— Luther, coupa Luther. Appelle moi Luther.


Le sourire de Rod s’élargit.


— A ton départ, j’ai été tenté de suivre la voie de la chevalerie. J’étais sur le point de prêter serment à ce bon Grégori, mais ...


Il jaugea Luther du regard pour évaluer son intérêt avant de reprendre.


— La confrérie des mercenaires m’a fait une proposition des plus alléchante.


— Une confrérie ?


Luther fronça les sourcils.


— Oui, reprit Rod en haussant les épaules. un nom bien pompeux pour désigner une bande de gaillards mal dégrossis, qui vagabondent dans les plaines du Sud pour gagner de l’or aussitôt dépensés dans les bordels.


Luther éclata de rire.


— Je vois que tu as choisi la voie de l’honneur et de la probité !


Le regard de Rod brilla tandis qu'il levait les bras en signe d'impuissance.


— Que veux-tu? Je n’ai pas le profil du bon samaritain ! De plus, la solde de chevalier est misérable. Les activités des mercenaires rapportent gros.


— Que fais-tu exactement ?


— Je ne sais pas trop si je dois t’en parler, hésita Rod en triturant une volumineuse bague en métal noir à son majeur. Ce n’est pas vraiment légal.



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42 commentaires

CirceTheWitch

-

Il y a un an

Je sens que ce nouveau personnage va me plaire...

cedemro

-

Il y a un an

Cette confrérie voudrait elle un commandant ? 😅

Mary Lev

-

Il y a un an

😂😂 luther sort ton CV !!!!

WildFlower

-

Il y a un an

Tiens tiens, intéressant cette confrérie 🧐

LuizEsc

-

Il y a un an

Bon sang, il existe des mercenaires qui font des trucs pire que les chevaliers esclavagistes qui génocident un peuple ? Est-ce que je veux savoir ? 🙈

Mary Lev

-

Il y a un an

Non c’est pas si pire 😂

Cécile Marsan

-

Il y a un an

Je me demande ce que Tiago magnigance ! Car il a quelque chose en tête c'est sur !

Mary Lev

-

Il y a un an

C’est sur il est pas du genre à se laisser faire

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Hâte de découvrir la suite de la conversation. Rod a aiguisé ma curiosité. C'est toujours chouette les retrouvailles de vieux camarades après des années.

Mary Lev

-

Il y a un an

Oui j’ai adoré écrire les répliques de ce dialogue entre vieux amis ! Merci pascal :)
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