Fyctia

— Je vais lui parler, promit Luther. Je vais faire en sorte qu’il ne t’approche pas.

Aenid s’apaisa un peu à ses paroles. Luther voulu lui toucher l’épaule, mais son bras s’interrompit à mi-chemin et retomba lourdement contre son flanc. Il avait la sensation étrange d’être désarticulé. Il porta la main à son front pour se donner une contenance et grogna :

— Je dois partir.

Aenid hocha la tête. Mais il ne parvint pas à détourner son regard. Le désir de l’attirer à lui pour l’étreindre le saisit. S’il ne s’était pas trouvé dans cette cuisine pleine à craquer, il aurait probablement cédé à son impulsion.

Il se fit violence et tourna les talons pour quitter l’atmosphère devenue étouffante de la cuisine. Il avait très chaud, et son cœur battait la chamade. Il revoyait le visage de cette fille et son regard apeuré. Un désir mêlé de colère bouilla dans ses veines.

Il se dirigea vers la chambre de Tiago. Yvan lui barra la route et lui lança un regard mauvais.

— Je dois m’entretenir avec Son Excellence, dit Luther d’une voix blanche.

Yvan s’écarta à contre cœur. Luther, bien que de rang inférieur à son frère, était tout de même le fils de la Reine, et Yvan ne pouvait désobéir à un ordre direct de sa part.

Luther pénétra dans la pièce. Son frère était allongé sur un divan. A côté de lui se trouvait un plateau chargé de pâtisseries et de fruits exotiques. Il avait une coupe remplie à ras bord d’un liquide mordoré. Une esclave accroupie lui prodiguait un massage vigoureux. La senteur florale de l’huile dont elle lui enduisait les membres embaumait la pièce. Tiago leva la tête et grimaça en le voyant.

— Luther ! Quelle désagréable surprise ! N’ai-je pas été suffisamment clair ? Je ne souhaite pas m’entretenir avec toi en l’absence de Sa Majesté.

— Laisse-nous, ordonna Luther.

La jeune esclave lui jeta un regard reconnaissant avant de fuir par la porte. Juste avant qu'elle ne disparaisse, Luther remarqua que sa joue était rouge. Lorsqu'elle posa la pain sur la porte pour l'ouvrir et disparaitre en courant, il vit les traces sur ses poignets qui indiquaient qu'elle avait été ligotée. Tiago la suivit des yeux et grogna de frustration.

— Ces filles du Sud sont délicieuses, commenta-t-il. Je compte bien mettre à profit le temps que nous passerons ici pour tester notre marchandise durement gagnée.

— Je veux que tu m’accordes ma part du butin. Dès aujourd’hui.

Tiago le fixa du regard quelques instants avant d’éclater d’un rire sardonique.

—Jamais de la vie ! Tu sais bien que seule Sa Majesté en a le pouvoir.

— La guérisseuse et sa famille, insista Luther. Trois esclaves, c’est tout ce que je demande.

Tiago le regarda d’un air suspicieux.

— La vieille ne vaut pas un clou. Une telle retenue m’étonne.

— Je ne veux plus participer à cet odieux commerce, je te l’ai dit. Je suis prêt à renoncer à ma part, en échange de la guérisseuse. Qu’en dis-tu ?

Tiago le fixait en fronçant les sourcils, cherchant à percer à jour ses véritables intentions. Luther se força à demeurer impassible, ignorant son cœur affolé qui cognait contre sa poitrine comme un oiseau fou.

— Je dois d’abord consulter sa Majesté, murmura Tiago. Tu es loin d’être dans ses bonnes grâces. Je doute qu’elle accepte de t’accorder une faveur …

— Ce n’est pas une faveur, coupa Luther. C’est une occasion en or pour toi et pour mère de gagner une somme d’argent considérable. Si Sa Majesté apprend que tu l’as laissée passer…

Sous sa menace à peine voilée laissée en suspens, Tiago accusa le coup. Rien n’avait plus d’importance pour lui que l’affection de la Reine. S’il venait à la perdre… Il préférait ne pas y songer. Tiago haussa les épaules. Trois esclaves ! Ce n’était rien ! Ils étaient plus d’un millier à leur merci.

— Bah, tu as gagné ! lâcha-t-il en haussant les épaules. Je t’accorde la propriété des trois captifs. Je veux qu’ils soient marqués dès aujourd’hui.

Il fit une pause, puis le regarda droit dans les yeux. Une lueur mauvaise y brillait.

— Je sais que tu fais cela pour Déménor. Tout ceci ressemble à une tentative désespérée pour sauver la vie de ce vieux gâteux. Mais si tu veux mon avis, tu as renoncé à une belle somme pour pas grand-chose. Cette vieille épave ne passera pas l’hiver, peu importe les breuvages immondes que ta vieille sorcière lui fait ingurgiter.

Luther serra les poings.

— Comment peux-tu le savoir ? Tu ne t’es même pas donné la peine de lui rendre visite.

— Je n’ai pas besoin de rendre visite à ce vieux bouc. Ses râles d’agonies perturbent déjà mon sommeil ! Pars à présent, avant que je ne change d’avis.