Fyctia
Chapitre 6.5
— Me permettez-vous de faire venir une guérisseuse du Sud à votre chevet ?
— Comme tu voudras. J’ai fait venir des médecins des quatre coins du continent. Ils ont tous pris mon or, mais se sont contentés de débiner des âneries au sujet de ma mort imminente. Un charlatan de plus ne changera rien à mon funeste destin.
—Les peuples du Sud ont une vision différente. Peut-être aura-t-elle un remède. Je ne laisserai pas passer cette chance.
Déménor acquiesça. Il était à bout de forces. Après un bref salut, Luther quitta la pièce.
Il déambula quelques minutes dans les couloirs sombres du château. Il ne croisa personne, et se sentit soulagé. La lettre qu’il avait caché dans sa chemise le brûlait comme un fer rouge.
Il se maudit de n’avoir jamais deviné la vérité. Quel idiot il faisait ! Il revoyait l’apparence de son frère Tiago, si éloignée de la sienne et de celle de ses parents. Il se rappela l’indifférence de sa mère à l’égard de son père, et le soulagement visible de celle-ci à sa mort. Son père avait toujours traité Tiago avec douceur et affection, mais il se remémorait à présent la tendre attention de son père à son égard, contrastant avec l’indifférence glaciale que lui avait toujours manifesté sa mère. Il était le fils de l’homme qu’elle méprisait, celui qui l’avait arrachée à son amant. Elle avait aimé cet homme au point de lui faire don de sa vertu, et de concevoir un enfant avec lui. Elle avait risqué son honneur par amour pour lui, et Tiago était le symbole vivant de cet amour perdu. Il représentait un danger mortel pour Tiago, et sa mère ne pouvait le laisser vivre plus longtemps. Elle l’avait poussé à la guerre à de nombreuses reprises, mais il était toujours revenu victorieux. Le temps était désormais venu d’accélérer sa fin. Il n’avait jamais aussi bien compris sa mère qu’en cet instant précis où il déambulait, hagard et seul, dans les couloirs obscurs de l’austère château de Loth. Ce même château, réalisa-t-il soudain, où elle avait grandi.
Luther n’avait aucun désir de monter sur le trône. Il songea un instant à solliciter un entretien avec sa mère, pour lui jurer qu’il n’avait pas l’intention de barrer la route à son frère. Il pensa s’exiler quelque part ; disparaître à jamais, et errer comme un vagabond. Mais il savait que Sa Majesté ne laissait rien au hasard. Même si elle faisait mine d’accepter, elle enverrait des assassins pour s’assurer qu’il ne soit plus jamais une nuisance.
Luther se retrouva dans la cour du château, qui était déserte. Il s’assit près des écuries, et prit sa tête entre ses mains. Il ne voyait pas d’issue. Son cœur battait à tout rompre, et l’angoisse enserrait sa poitrine, l’empêchant de respirer. Il avait les mains moites. Il réalisa le danger qu’il avait encouru, toutes ces années où il avait vécu au palais. Il se demanda combien de coupes de vin empoisonnées il avait refusé de boire, et combien d’assassins s’étaient égarés sur le chemin de sa chambre.
Il entendit un bruit de pas dans sa direction qui le fit sursauter. C’était Jared.
— Que fais-tu ici Luther ? Je te croyais avec ton oncle.
Luther porta involontairement la main à sa poitrine, vérifiant que la lettre était hors de portée de Jared. Ses sens étaient à l’affut. Il lui jeta un regard suspicieux.
— Nous en avons terminés. Je suis venu ici pour chercher la guérisseuse. Elle pourra peut-être faire quelque chose pour lui.
Jared hocha la tête.
— Nous avons installé les esclaves à côté des écuries. Ils dorment tous à l’heure qu’il est. Je t’accompagne.
Ils marchèrent côte à côte en direction des écuries. Ils pénétrèrent dans un vaste bâtiment, fait de bois, gardé par une dizaine de soldats. Grégori n’était pas parmi eux. Les soldats les saluèrent et s’écartèrent pour les laisser passer. Ils marchèrent au milieu des corps endormis. Les respirations soulevaient les poitrines, les mères étaient étendues à côté de leurs enfants. Luther vit que Grégori avait fourni aux esclaves des couvertures et des chaussures fermées. Jared conduit Luther au fond du bâtiment. Sur une botte de paille était étendu un corps frêle. La vieille femme respirait bruyamment. Jared s’accroupit et secoua son épaule sans ménagement.
— Réveille-toi ! Debout la vieille !
La vieille femme hoqueta de terreur avant d’ouvrir les yeux. Luther prit aussitôt la parole, voulant éviter un vent de panique.
— N’aies crainte. Je veux simplement que tu soignes mon oncle, qui est souffrant. Si tu acceptes, tu auras une récompense.
Le regard de la vieille se posa sur lui. D’innombrables rides parcouraient son visage, tanné par le soleil. Ses sourcils et ses cils étaient blancs. Malgré la peur qui lui tordait les traits, on pouvait deviner une bienveillance certaine dans son expression.
— Pourquoi accepterai-je de t’aider, toi qui as massacré mon peuple et fouetté ma petite fille jusqu’au sang ?
Sa réponse fut lancée sans hésitation, d’un air plein de défi. Luther sentit les derniers fragments de patience qui demeuraient en lui voler en éclat.
— Si tu refuses de m’obéir, je te ferai noyer dans les douves du château. Quant à ta petite fille que tu sembles tant chérir, je la livrerai à mes soldats. Je les ai déjà privés de ce plaisir il y a quelques jours. Mais je ne suis plus d’humeur miséricordieuse. Mes hommes n’ont pas touché une femme depuis plusieurs mois. Que crois-tu que ta petite fille préfère, mon fouet ou les assauts répétés d’une dizaine d’hommes d’armes en rut ?
Le visage de la vieille femme pâlit. Elle baissa la tête, vaincue. Jared la saisit par le bras pour la relever et ils se dirigèrent tous les deux vers la sortie. Luther s’apprêtait à les suivre lorsque son regard fut attiré par deux corps qui dormaient côte à côte dans l’obscurité. Les respirations étaient douces et sereines, comparables à celles d’enfants en bas âge. Une chevelure rousse brillait à la lumière de la lune. Il était lové contre un autre corps, plus grand. Il pouvait distinguer la soyeuse chevelure brune qui s’étalait par terre. A travers les mèches de cheveux, le haut du dos était visible, zébré de marques rouges de tailles différentes. Le cœur de Luther s’apaisa instantanément à cette vision. Il n’était plus si certain de pouvoir mettre sa menace à exécution. La seule pensée que ses hommes puissent faire du mal à cette pauvre fille lui tordait les boyaux. Imaginer leurs mains crasseuses farfouiller da manière malhabile sous sa tunique lui provoquait une douleur presque physique. Il regarda encore le corps paisible d’Aenid quelques instants. Puis il tourna les talons, et se dirigea vers la sortie.
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Mary Lev
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