Fyctia
Chapitre 6.4
Luther eut le souffle coupé. Ce qu’il entendait était insensé. Il crut pendant un instant que son oncle était devenu fou. Déménor ferma les yeux.
— Ma sœur a eu une aventure avec mon maître d’arme. Elle est tombée enceinte. Notre père l’a mariée à la hâte en échange d’une dot prodigieuse. Magnus, ton père, l’aimait si fort qu’il a accepté de la prendre pour épouse malgré sa condition. Il était le troisième fils du roi et n’avait que peu de chances d’accéder au trône un jour. Mais ses deux frères aînés sont tombés au cours de la grande rébellion des îles du Nord, et Magnus fut couronné Roi…
— Cela ne se peut, balbutia Luther…
—Songe un instant à la figure de Tiago ! Il est brun comme un cafard et sournois comme un homme du peuple ! Il n’a rien de la noblesse de ton père ! La vérité est nichée au fond de toi depuis toujours !
—Vous n’avez aucune preuve…
— Détrompes toi ! J’ai une preuve irréfutable.
Déménor tira de sa chemise un vieux morceau de parchemin plié et soupira.
— Dès que je t’aurai remis ce document, tu courras un danger mortel. Je l’aurais brulé si je n’avais pas eu la certitude que la Reine souhaite ta perte. Et cela, je ne puis le supporter. Pardonne moi…
Sa main tremblait, serrant le morceau de parchemin. Luther s’en saisit. Il le déplia et lut fébrilement.
Mon vieil ami,
Voilà longtemps que nous ne sommes vus. Je tenais cependant à te faire part moi-même de l’heureuse nouvelle. Volande a donné naissance à un fils ! Je suis comblé. Il n’a que quelques mois, mais son regard vif sous ses boucles blondes me rappelle celui d’un ange. Par Loren, je jure n’avoir jamais vu un enfant aussi beau. J’espère qu’un jour il te sera permis de connaître ce bonheur.
Le temps des serments est désormais passé. Mais ne te fais aucune inquiétude. La naissance de Luther ne sera en rien une menace pour Tiago. J’ai appris à aimer ce petit, de la même façon que j’aime sa mère, bien qu’aucune goutte de mon sang ne coule dans ses veines. Ce lourd secret sera préservé jusqu’à notre mort à tous les deux.
Tu es bien entendu convié à la cérémonie de purification de Luther au Temple. T’y voir me réchauffera le cœur, mon ami.
Que Loren t’accorde sa bénédiction.
Magnus
Luther relit la lettre encore et encore, jusqu’à ce les mots se mêlent les uns aux autres et perdent toute signification. Il leva la tête vers son oncle, et demanda d’une voix blanche.
—Pourquoi n’avoir jamais rien révélé ? Mon frère est un usurpateur !
Luther éprouvait une colère sourde mêlée d’incompréhension. La lettre tremblait dans ses mains. Son oncle leva le bras et voulut lui effleurer le visage. Luther fit un mouvement brusque. Déménor eut une expression peinée, et Luther regretta aussitôt son geste.
—Je t’ai observé, toutes ces années où tu as trouvé refuge chez moi à la mort de ton père. J’ai vu quel homme tu allais devenir, avec quelle volonté tu apprenais à manier l’épée. Si tu avais manifesté la moindre volonté d’accéder au trône en lieu et place de ton frère, je t’aurais fait part de cette information. Mais tu n’as jamais voulu vivre dans la capitale. Je voulais faire de toi mon fils, mon héritier… J’ai été égoïste… Puisses-tu un jour me pardonner !
Sa voix se brisa. Il regarda droit devant lui, perdu dans ses pensées. Luther ne dit rien, se contenta de serrer à nouveau la main de son oncle dans le sienne.
—J’étais le témoin de leur union, murmura-t-il, perdu dans ses souvenirs. Le mariage a été organisé à la hâte. Peu y ont assisté. L’état de Volande était déjà visible à cette époque. La naissance de Tiago a provoqué quelques remous au sein de la cour, mais le maître d’arme avait été mis à mort peu après le mariage et les commérages à l’encontre de ton père n’intéressaient personne. Certains ont vaguement accusé Volande d’avoir convolé avec son mari avant le mariage, mais la rumeur s’est vite essoufflée. Personne n’a jamais osé remettre en question la paternité de Magnus.
Luther ne disait toujours rien. Son cœur battait à tout rompre. Il se remémorait le regard anxieux de son père lorsqu’il avait été couronné Roi. Lorsque le grand prêtre de Myr avait posé l’opulente couronne ornée de joyaux au sommet de sa tête, il avait fixé Luther de ses yeux gris clair, presque transparents. Sa mère affichait un air triomphant. Elle tenait Tiago devant elle avec fermeté dans ses bras. Luther pouvait deviner son excitation, malgré son expression hautaine et dédaigneuse. Luther quant à lui, trépignait d’impatience. Il priait pour que le prêtre termine sa litanie au plus vite, afin que son père l’autorise à reprendre sa partie d’osselet en compagnie des garçons de cuisine.
— J’ai exigé de Magnus la promesse de protéger le secret de ma sœur. Il n’a jamais manqué à sa parole. C’était un homme d’honneur.
— Est-elle au courant de l’existence de cette lettre ? demanda Luther.
Déménor réfléchit.
— Je n’en suis pas certain. Mais si quelqu’un au palais en découvrait l’existence...
Un silence s’installa. Il faisait nuit noire, et seule la lumière tremblante d’une bougie éclairait la pièce. Il en résultait des ombres ondulantes sur leur visage, dont l’effet était presque comique.
— Que décides tu ? demanda enfin Déménor.
— Je ne sais pas. Je dois y réfléchir.
— Bien entendu.
Déménor se laissa tomber en arrière.
— Retire toi à présent, dit-il en grimaçant. Je suis las.
— Bien, mon oncle.
Luther se releva et se dirigea vers la porte. Au moment où il posa sa main sur la poignée, il se retourna.
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