Fyctia

— Ce n’est qu’une correction sans importance, dit Luther. Le campement des esclaves n’est un pas un lieu digne de toi. Notre mère n’approuverait pas de t’y voir.

—Tss tss, ne dis pas de sottises. Je ne refuse jamais d’assister à la correction d’un esclave quand l’occasion se présente. De plus, moi seul peut juger si un lieu est digne de m’accueillir.

Il lui jeta un regard en biais. Il avait l’air de s’amuser follement.

— Tu outrepasses ton autorité, mon frère. Prend garde à toi, je pourrais m’en plaindre à notre mère, et tu pourrais dire adieu à ton rêve d’aller jouer les bouseux à Loth.

Luther ne répondit rien. Il gardait les yeux fixés sur son frère, dont l’amusement grandissait à chaque instant. Était-ce le plaisir de le tourmenter ou bien la perspective d’assister au châtiment d’Aenid ? Luther ne pouvait le dire. Tiago avait toujours manifesté un grand intérêt vis-à-vis des châtiments corporels. Enfant, il ne ratait jamais les séances de flagellations infligées aux esclaves qui tentaient de fuir ou qui volaient quelque chose dans les cuisines. En grandissant, son gout du sang avait augmenté et il fallait des tortures plus longues, des châtiments plus cruels et une souffrance toujours plus grande pour le satisfaire.

C’est comme une maladie, songea Luther. Une soif de sang insatiable.

— Pourquoi Sa Majesté ne m’accorde-t-elle pas le titre de Seigneur de Loth ? Le sais-tu ? demanda soudain Luther, désespéré.

Tiago eut l’air surpris par sa question.

— Mon cher frère, dit-il d’un ton mielleux, notre mère ne demande qu’à t’obliger. Notre oncle se meurt sans héritier, et la terre de Loth doit rester dans la famille. Cependant, tu dois d’abord te montrer digne de l’obtenir.

—J’ai accompli bien des choses sur ordre de Sa Majesté, plaida Luther. J’ai mené plusieurs expéditions dans les terres du Sud. Des milliers d’esclaves ont été capturés et acheminés à Myr sous mon commandement.

—Certes. Toutefois, Sa Majesté a besoin de plus de main d’œuvre. Tu n’imagines pas à quel point les mines et les sites de constructions de route consomment les hommes rapidement. Myr doit devenir une grande capitale, à l’image de la gloire de sa souveraine. Nous devons construire des routes et de quoi loger les nouveaux citoyens venus des campagnes chercher fortune.

— Je ne veux plus le faire.

— Qu’as-tu dit ?

Tiago avait perdu son sourire. Luther répéta, impassible.

— Je ne le ferai plus. Je ne mènerai plus d’expédition dans les Terre du Sud. Ces missions ne sont pas dignes d’un chevalier. A mon arrivée à Myr, je veux obtenir ma part du butin et la terre de Loth qui me revient de droit.

Tiago serra les mâchoires. Son regard méprisant le balaya des pieds à la tête. Il répondit d’un ton glacial :

— Tu n’es qu’un vulgaire soldat. Tu feras ce que l’on t’ordonnera.

Luther s’avança vers son frère. Bien qu’il soit plus jeune de quelques années, il le dépassait d’une tête. Ses épaules étaient plus larges et ses aptitudes au combat bien supérieures. Tiago, quant à lui, avait un corps fin et élancé, une allure noble et raffinée que Luther n’avait jamais pu imiter. Malgré le fait que Tiago était son supérieur hiérarchique, et en dépit des membres de sa garde personnelle postés non loin de là, il recula de quelques pas.

— Assure-toi de faire passer le message à notre mère. Qu’elle trouve quelqu’un d’autre pour faire le sale boulot. Ce ne sont pas les mercenaires qui manquent à Myr.

La fureur de Tiago fit palpiter les narines de son nez d’aigle. Sa respiration était devenue saccadée et ses poings étaient tellement serrés que les jointures de ses doigts avaient blanchi. Il ne répondit rien, mais son regard disait tout le mépris qu’il ressentait.

Calhoum revint et trouva les deux hommes face à face échangeant des regards peu amènes. Ignorant l’atmosphère de tension, il s’inclina.

— Votre Excellence, dit-il avec respect.

Puis il s’adressa à Luther :

— Commandant, tout est prêt.