Fyctia

Quelques heures plus tard, ils étaient parvenus à destination. Les hommes profitaient d’un repos ombragé bien mérité. Luther était assis le dos contre un tronc de palmier. Il ferma les yeux, et laissa les quelques rayons de soleil qui passèrent à travers l’épais feuillage caresser son visage. La chevauchée des plaines arides touchait à sa fin. Mais il s’en était fallu de peu. L’oasis avait été providentielle. Les réserves d’eau commençaient à s’épuiser, et ils avaient dû à plusieurs reprises choisir s’il fallait ravitailler les chevaux ou les hommes. A présent, ils auraient assez d’eau pour arriver jusqu’à Loth. Luther était soulagé. Il sortit une pomme de son sac et croqua à pleines dents dans le fruit juteux. En mâchant, il observa le plan d’eau en contrebas. Les rayons de soleil se reflétaient en centaines de petits points lumineux, faisant briller la surface qui ressemblait à du métal liquide. Autour, la végétation de palmiers et de plantes grasses était luxuriante. Ses yeux habitués au paysage aride depuis plusieurs semaines étaient éblouis par tant de vie végétale. Il avait la ferme intention d’aller plonger son corps brulé par le soleil dans le plan d’eau, à l’abri des regards. Il avait chargé deux soldats de garder la zone afin de pouvoir bénéficier d’un moment d’intimité.

Sa pomme terminée, il commença à retirer les pans de sa pesante armure. Au moment où il posait sa ceinture à ses pieds, un léger bruit en contrebas attira son attention. Il scruta les alentours, les sens aux aguets. Il vit alors une petite silhouette s’approcher à pas discrets du rebord du plan d’eau, tout en jetant des regards prudents comme un animal peureux. Puis, elle s’immobilisa et sembla attendre quelque chose. Luther s’approcha sans un bruit et la reconnut aussitôt ; c’était Aenid. Il ne l’avait pas revue depuis leur rencontre au clair de lune. Ses yeux étaient cernés, elle avait l’air proche de l’épuisement. Luther, une fois revenu de sa surprise, se demanda avec agacement de quelle manière elle avait pu échapper une nouvelle fois à la vigilance de ses hommes. Il était sur le point de l’interpeller lorsqu’elle commença à se dévêtir à la hâte. Elle défit le haut de sa tunique, se pencha en avant et s’abreuva goulûment. Ensuite, elle aspergea sa nuque et son visage à plusieurs reprises. L’eau claire éclaboussa ses vêtements et le haut de sa poitrine qui se dévoilait de plus en plus à travers le tissu mouillé. Un plaisir visible se peignit sur ses traits.

Elle leva les bras et ses mains retirèrent quelque chose à l’arrière de sa tête. Ses cheveux coulèrent sur ses épaules en longues mèches indomptées. D’un geste rapide, elle les plongea dans l’eau. Elle les rattacha à la hâte sur sa nuque. Des ruisseaux d’eau parcoururent son cou et sa poitrine pour se perdre entre ses seins.

Luther demeurait immobile et oubliait de respirer. Cette fille réalisait l’exploit d’être belle sans le moindre apprêtement et après plusieurs jours d’une marche éreintante. L'eau perlait sur sa peau foncée, la faisant briller comme une pierre précieuse. La façon qu’elle avait de tordre ses cheveux pour en ôter l’excédent d’eau fit monter en lui une chaleur inattendue. Il avait l’impression de contempler l’incarnation de la grâce elle-même.

Il se remémora alors dans un éclair la jeune femme noble qui avait attiré son attention alors qu’il n’était qu’un jeune écuyer. La beauté pâle de la jeune Aricie avait subjugué le jeune garçon inexpérimenté qu’il était alors, et il lui avait fait une cour assidue. Mais l’intérêt qu’elle lui avait porté s’était évanoui lorsqu’elle avait appris qu’il n’avait pas de terre et pas d’autre revenu que sa solde de chevalier. Après ce rejet douloureux, il s’était tenu à l’écart des jeunes filles nobles et s’était contenté de fréquenter des femmes de basse extraction, expérimentant dans les bordels des étreintes froides, une passion feinte, et l’odeur de sueur des hommes qui l’avaient précédé embaumant les draps usés. Peu importait la ferveur initiale de son désir, le dégout qui parachevait l’acte d’amour n’en était que plus profond.

La jeune fille avait terminé sa toilette sommaire. A présent, elle remplissait deux gourdes en peau de mouton et les attachait habilement à sa ceinture. Elle jeta un dernier coup d’œil autour d’elle avant de s’éloigner sans faire de bruit.

Après son départ, Luther resta accroupi plusieurs minutes sans bouger, le temps de calmer les battements désordonnés de son cœur. Il n’avait pas pris de femme depuis si longtemps. L’image de la jeune Nassin était gravée en lui, le désir lui brulait le ventre. Il envisagea un instant de la faire venir sous sa tente le soir même. Ce n’était qu’une captive après tout, et il était le commandant de l’expédition. Ne s’était-elle pas engagée à le servir ? La faire venir et la prendre au lit serait facile. Il serait doux, ce ne serait rien comparé au sort qui l’attendrait à la capitale.

Il arracha ses vêtements et plongea dans l’eau fraîche. Il enfouit la tête sous l’eau, resta un moment en apnée. Il caressa la surface brillante, comme pour toucher le corps qui s’était trouvé là quelques minutes plus tôt. Puis, il sortit de l’eau et s’habilla.

Il héla l’un des deux soldats.

— Hé toi ! Tu as vu quelqu’un s’approcher d’ici ?

Le soldat sursauta et répondit à la hâte.

— Non Mon Seigneur. Dois-je donner l’alerte ?

— Non répondit Luther. J’en ai terminé.

Il se dirigea d’un pas rapide vers le campement installé à la hâte. Son frère, jouissant d’un abri ombragé pour la première fois depuis plusieurs jours, avait décrété ne plus vouloir quitter l’oasis jusqu’à demain matin. Malgré le retard causé par cet arrêt imprévu, Luther ne s’était pas opposé au désir de son frère et les hommes, épuisés, lui avaient jeté des regards reconnaissants.