Fyctia
Chapitre 2.2
Quelques instants plus tard, son corps plongé dans l’eau chaude, Luther poussa un profond soupir de satisfaction. Il se savonna jusqu’à ce que l’eau refroidisse. Puis, il s’habilla et mangea son repas frugal. Il avait l’esprit ailleurs. Il pensait au garçon dans la grange. Avait-il pris la vie de ses parents ? Il n’en savait rien. C’était possible. L’un de ses hommes l’avait probablement fait.
Il prit sa tête entre ses mains. Il fallait retourner voir ce garçon. Il avait un mauvais pressentiment. Il se leva, attacha son épée et sortit dans la nuit noire. On entendait au loin les chants des soldats. Luther renvoya d’un geste le chevalier qui s’avançait vers lui pour l’accompagner. Il était résolu à tirer le jeune garçon de son sommeil et lui arracher des réponses.
Il n’était qu’à quelques dizaines de mètres de la lourde porte en fer lorsqu’il crut percevoir un léger bruissement sur le côté. Il s’immobilisa et dégaina son épée par reflexe. Il scruta la zone, sans rien pouvoir distinguer. Il s’avança prudemment, ses sens en alerte. La moindre inattention pouvait être synonyme de mort. Le campement était à découvert et tout assaut pouvait leur être fatal. Les soldats le savaient et ne dormaient que d’un œil malgré leur épuisement, une dague cachée en permanence sous leur tête.
Il s’écarta du sentier et s’enfonça dans les buissons. Aucun bruit ne troublait le silence de la nuit. Il commençait à croire que le bruissement qu’il avait entendu était le fruit de son imagination, lorsqu’une une forme sombre se rua dans sa direction.
Luther para le coup d’épée qui faillit lui transpercer le flanc de justesse. Il en para un deuxième qui menaça son abdomen. Son assaillant, bien que de petite taille, était très rapide et agile. Mais il perdit assez vite l’avantage de la surprise. Luther était un adversaire redoutable. La silhouette se fatiguait de plus en plus. Ses attaques se firent moins précises, plus erratiques. Luther le désarma et d'un coup de pied, le fit tomber par terre. Il s’avança, le souffle court, et dirigea sa lame vers le cou de son assaillant, dont il ne voyait toujours pas le visage. Son corps était mince et il avait démontré une certaine adresse, mais rares étaient ceux qui pouvaient se vanter de pouvoir rivaliser avec lui au combat.
Luther était tout près à présent, et sa lame effleura le visage résolument baissé. Il distinguait à peine quelques mèches de cheveux sombres qui s’échappaient du col de sa tunique. Soudain, un rayon de lune surgit et Luther écarquilla les yeux de surprise.
— Qui es-tu ?
Il avait parlé en Rimi. L’inconnue leva les yeux et lui lança un regard de défi. La lumière blanche éclaira le visage aux traits résolument féminins. Il contempla les grands yeux graves, le nez fin et les lèvres généreuses. Des cheveux bruns formaient des boucles lâches autour de son visage. Il avait toujours la lame de son épée sous son menton, et pourtant, le visage n’exprimait pas le moindre signe de peur.
— Qui es-tu ? répéta-t-il, essayant de cacher sa surprise. Parle, ou bien je te tranche la gorge.
L’inconnue ne baissa pas les yeux. Luther continua de la dévisager. L’éclat argenté de la lune lui donnait une beauté irréelle. Il sentit que la fatigue accumulée troublait ses sens, comme une ivresse. Malgré lui, son épée s’abaissa.
— Je m’appelle Aenid, dit-elle d’une voix calme.
Il fut surpris. Peu de Nassin s’exprimaient spontanément en langue commune. La plupart ne parlaient que leur langue natale.
— Que fais-tu ici ?
— J’ai vous ai faussé compagnie, voilà tout ! J'ai vu une occasion, et je l'ai saisie sans réfléchir. Je me cachais quand vous avez débarqué de nulle part. J’ai cru que vous m’aviez vue, et que vous alliez retourner au camp prévenir les autres. J’ai paniqué …
Luther ne put s’empêcher d’être impressionné par son audace, et par sa maîtrise de la langue, mais il conserva une expression froide.
— Pourquoi es-tu restée roder autour du camp ? Tu aurais pu fuir loin d’ici.
—Je n’ai pu me résoudre à abandonner mon jeune frère …
Sa voix se brisa et des larmes coulèrent sur ses joues. Elle baissa son beau front et laissa voir la naissance de ses cheveux, qui tombaient en mèches folles sur ses yeux embués de larmes. Luther se remémora le garçon roux. Il baissa sa lame et se pencha pour ramasser l’épée de la fille. C’était une sorte de dague, d’assez grande taille pour une femme. La poignée avait de riches ornements, et la lame était recourbée. Il l’attacha à sa ceinture. La jeune fille s’était ressaisie, et ses larmes ne coulaient plus.
— Laissez-moi retourner auprès de mon frère, demanda-t-elle. Si je suis tuée il n’aura plus personne pour veiller sur lui.
— Tu aurais dû y penser avant.
— Je vous en prie. Personne n’en saura rien si vous tenez votre langue. Vous n’avez qu’à me laisser retourner dans la grange. Si je me fais prendre, je jure de ne rien dire. Je ne connais même pas votre nom.
—Comment savoir que tu n’en profiteras pas pour fuir à nouveau ?
La fille lui jeta un regard éperdu. Luther ne comprenait pas pourquoi il ne l’avait pas encore tuée. Était-ce à cause de cette énième confrontation avec Tiago ? Était-ce le regard embué de larmes du jeune garçon à la tignasse de feu ? Était-ce la beauté de la fille au clair de lune ? Il ne pouvait le dire. La fille se rapprocha de lui. Il l'arrêta d'un geste, son épée tendue vers elle. Il pouvait voir les grains de beauté qui parsemaient son visage comme une constellation.
—Je vous en supplie, il faut me croire ! J’aurai pu partir il y a plusieurs heures. J’ai essayé, mais je n’ai pas pu…
Luther l’examina attentivement. Son visage rond et harmonieux, à peine sorti de l'enfance, contrastait avec son regard grave, presque dur. Comment une fille aussi jeune pouvait avoir ce regard là? Comme si elle avait déjà vécu milles vies.
Elle était très belle au clair de lune. En plein jour, elle devait être éblouissante. Il ne put s’empêcher de penser au funeste destin qui l’attendrait à la capitale. Voilà justement la recrue idéale pour les bordels ! Après une douloureuse opération visant à les rendre stérile, elles étaient offertes aux familles nobles de la ville pour agrémenter leurs soirées.
— Si vous me laissez retourner auprès de mon frère, poursuivit-elle, je vous serai éternellement reconnaissante. Vous pourrez user de moi comme bon vous semblera. Je jure sur mon honneur de vous obéir sans discuter. Comme vous l’avez constaté, je suis assez adroite avec un serpi. Je parle la langue commune aussi bien que le Rimi. Je saurais me rendre utile.
Luther plongea dans ses yeux et n’y décela pas le mensonge. Plutôt un espoir fou, et une confiance qui lui parut démesurée étant donné les circonstances. Elle avait achevé sa plaidoirie, et attendait sa décision avec un calme déconcertant. Il soupira, vaincu.
— Suis moi, ordonna-t-il.
La fille expira de soulagement. Ils se dirigèrent tous les deux en direction du sentier.
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