Mary Lev La fille du désert Chapitre 2 (1/2)

Chapitre 2 (1/2)

Myr est sans nul doute, un véritable joyau.

Quelle blancheur éclatante !

Des façades d’un rose discret,

Et des sols en marbre précieux.

Que de richesses accumulées !

Et pourtant,

Peuplée d’esclavagistes cupides et sans honneur,

Gangrenée par la prostitution,

Et figée par le contrôle absolu du Temple.


Extrait des mémoires d’Aenid, livre premier.


Les corps des morts se mêlaient aux corps des vivants. Certains avaient essayé de fuir ou de lutter. Le résultat était là, implacable : des cadavres bleus et pâles transpercés de part en part, et au milieu les survivants qui tremblaient de peur en silence. La puanteur était insoutenable. Les gémissements et les pleurs avaient cédé la place à un silence résigné. L'homme était ainsi fait. Au bout d’un certain temps, il finissait par accepter son sort, aussi funeste qu'il fût.


Lorsque Luther et Jared entrèrent, ils baissèrent les yeux. Aucun signe de révolte une fois les têtes brulées domptées par la force. Pourtant, ils savaient ce qui les attendait : une marche interminable dans les plaines, puis les pentes escarpées des montagnes. Et s’ils survivaient, s’en suivrait une vie de servitude.


Il examina les corps nus et tremblants autour de lui : des hommes, des femmes, quelques enfants. Tous, la peau brune, les cheveux et les yeux noirs. Des corps minces, athlétiques. Les peuples du sud étaient ainsi, vivant au grand air, avec un confort sommaire. Leurs vêtements étaient simples, adaptés à la chaleur, faits de tissus fins et confortables. Leurs pieds étaient soit nus, soit revêtus de fines sandales en cuir. Luther soupira. Beaucoup mourraient de froid en traversant les montagnes.


Jared sortit un petit instrument métallique de sa poche. Il était noir et brillant, son propriétaire en prenait le plus grand soin de toute évidence. Un captif sursauta lorsqu'un cliquetis presque comique résonna dans l'atmosphère lugubre. Sans lui prêter la moindre attention, Jared s'activa, ses lèvres bougèrent. L’homme aimait les chiffres. Ses petits yeux noirs et vifs passèrent de captif en captif, et à chaque fois le cliquetis de son instrument rythmait ses pas, régentait les mouvements de sa tête. Parfois, Jared ralentissait la cadence pour s'approcher d'un corps, il s'approchait, s'accroupissait et touchait du bout des doigts la peau. Puis, le cliquetis se faisait entendre ou pas, comme une simple semonce ou une sentence de mort.


La nuit était tombée et des feux allumés à la hâte éclairaient la grange, d’une lueur instable. Ils se reflétaient dans les yeux des hommes. Pour une raison obscure, Luther se sentit soudain proche d’eux. Il partageait leurs peines et leurs angoisses. Il voulut leur dire à quel point il regrettait tout cela. Cela ne dura qu’un instant. Ensuite, la vacuité habituelle remplaça l'égarement qui avait failli l'emporter.


Soudain, il entendit des murmures derrière lui. Un homme questionnait un jeune garçon à la remarquable chevelure rousse, qui flamboyait dans l’atmosphère macabre. Son teint pâle contrastait avec celui de son interlocuteur. Luther distingua des tâches de rousseurs sur son visage aux traits déformés par la peur. Ses yeux étaient embués de larmes. Il devait avoir une quinzaine d’année tout au plus. Luther s’approcha. Lorsque l’homme l’aperçut, la conversation s’arrêta. Luther posa une main ferme sur l’épaule de l’homme.


— Que se passe-t-il ? dit-il en langue Nassin.


Les yeux de l’homme exprimèrent une vive surprise. Luther y distingua autre chose : de la peur.


— Vous parlez notre langue ? dit l'homme.


— Il y a un problème ? Parlez si vous ne voulez pas d’ennui.


L’homme déglutit. Il jeta un rapide coup d’œil au garçon avant de répondre :


— Ce jeune garçon me partageait seulement sa peine d’avoir perdu ses parents. Voilà pourquoi il est bouleversé.


Luther considéra le garçon. Il avait les yeux rougis, et les gardait baissés, sans oser croiser son regard. Il perdit patience.


— Vous jouez à un jeu dangereux menaça-t-il. Ce jeune garçon a perdu ses parents il y a plusieurs heures. Or, il me semble qu’il vient de s’apercevoir de quelque chose. Et que c’est cela qui le bouleverse tant.


— Commandant ! J’ai compté 467 captifs. Deux viennent de rendre l’âme à l’instant.

Jared, qui ne s'était pas rendu compte de l'agitation soudaine, sourit et poursuivit :


— C’est une belle prise. Sa Majesté sera satisfaite si nous parvenons à leur faire traverser la montagne dans leur attirail …


Il s’interrompit et considéra la scène d’un œil perplexe.


— Que se passe-t-il ? demanda-t-il, s’apercevant que quelque chose n’allait pas.


Il s’approcha et porta la main à son épée. Le garçon se mit à trembler de façon incontrôlable. Une pitié malvenue s’immisça dans le cœur de Luther. La journée avait été longue, il ne désirait rien de plus que d’y mettre fin.


— Rien de grave, grommela-t-il entre ses dents. Un morveux qui a du chagrin et un vieux qui ne sait pas le consoler. Partons.


En se dirigeant vers la lourde porte en fer, il apostropha un des gardes.


—Vire moi ces cadavres de là. Je ne veux pas que la maladie et la vermine infeste les captifs.

—Tout de suite commandant !


Pendant que les soldats s’affairaient, Luther et Jared se hâtèrent de quitter la grange.


— Bon sang, quelle puanteur ! gémit Jared. Je préfère encore passer la nuit à la belle étoile !

— Une fois les cadavres évacués, ça ira mieux.

Jared remarqua son air pensif et lui tapota l’épaule.

— Mon vieux, tu as besoin de boire un coup. Viens sous la tente des officiers. Nous trinquerons ensemble à la victoire tout en maudissant ton frère et sa couardise !

— Voilà qui est tentant, sourit Luther. Je vous rejoindrai dans quelques heures.

— Comme tu voudras.


Jared lui administra une tape amicale sur l’épaule et s’éloigna. Luther entra dans sa tente. L’intérieur était spartiate. Une table, quelques chaises et une paillasse jetée à même le sol. Une lampe à huile éclairait l’intérieur de sa frêle lueur. Luther commençait à retirer son armure lorsqu’un un léger bruit derrière lui le fit s’interrompre. Il se retourna et se retrouva face à un jeune écuyer.


— Pardonnez mon retard, murmura le jeune garçon. J’ai été retenu … Les guérisseurs n’en finissaient pas …


Luther contempla les cheveux blonds cendrés coupés courts et le visage aux traits fins rasé de près. Même au plus fort de la bataille, son écuyer parvenait à maintenir une hygiène et une apparence irréprochable. Il se sentit soudain plus crasseux que jamais.


— Ce n’est rien, Arthus, marmonna-t-il. Apporte-moi de quoi me laver et des vêtements propres.

— Tout de suite, Mon Seigneur.


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55

55 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a un an

Luther semble gagner en humanité au fur et à mesure qu'il s'éloigne du champ de bataille.

Mary Lev

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Il y a un an

C’est tout à fait ça ! Il change quand il n’est pas obligé de se battre

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Mais que se racontaient le garçon et l'homme ? Il y a une information qu'on nous cache...

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Sinon la scène avec les esclaves est très bien retranscrite.

Mary Lev

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Il y a un an

On ne nous dit pas tout ^^

cedemro

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Il y a un an

Ce chapitre semble montrer un changement chez Luther. Il sait que le jeune garçon garde une information, mais il ne transmet pas ce qu'il sait au soldat. J'ai l'impression qu'il commence à reconnaître que ce qu'ils font est mal...

eleni

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Il y a un an

on est vraiment dans une ambiance sombre ici. je n'ai eu aucune difficultés pour imaginer les pauvres esclaves entassés les uns sur les autres. ca doit être horrible... tes descriptions sont toujours aussi bien menées, ton vocabulaire est riche. j'ai juste été un peu surprise du revirement de luther, de voir comment il peut se montrer agressif. mais je suppose que c'est voulu, pour montrer qu'il a du caractère.

Mary Lev

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Il y a un an

Il est obligé oui pour tenir ses hommes .. merci pour tous ces compliments je rougis 😍

Micael M.

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Il y a un an

J'aime bien le côté crasseux, sale du livre. Ca le crédibilise et le rend plus réel. C'est super!

Mary Lev

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Il y a un an

Merci ! Tu parles du côté crasseux du personnage ou de l’univers?
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