Fyctia
Chapitre 1.3
Luther baissa les yeux. Tiago, en moins de deux minutes, avait réussi à faire monter en lui une colère sourde. Il posa sa main tremblante sur la table un peu trop fort. Quelques gouttes de vins s’échappèrent du verre intact posé devant lui. Pour atténuer sa rage, il porta la coupe à ses lèvres. Le liquide brumeux brûla sa gorge, et descendit longuement jusqu’à son estomac pour y installer sa chaleur bienfaisante. Il réfléchit. Ses pensées lui venaient lentement, malgré le regard vicieux de Tiago qui attendait qu’il sorte de ses gonds. Il n’y avait pas d’autres moyens de se ravitailler que de faire un détour par les montagnes, Tiago devait bien le savoir. Mais il savait également que Luther n’avait pas le moindre désir d’accompagner l’expédition jusqu’à Myr. Il aurait volontiers fait don de toutes ses maigres possessions pour s’épargner la vision de leur mère, la reine, couvrant son frère de gloire et d’or devant la noblesse d’Amundir réunie pour l’occasion. De son côté, il ne savait que trop ce qui l’attendrait. Des regards de mépris. Sa mère ne lui avait jamais pardonné son goût pour les chevaux et la vie à la campagne, et s’était très tôt détournée de lui. Son oncle Déménor l’avait recueilli et Loth était devenu pour lui ce qui se rapprochait le plus d’un foyer. Tiago savait tout cela et n’hésitait pas à s’en servir pour le tourmenter.
Soudain, il se surprit à envier son frère. Il se rappela les heures à manier l'épée, à s'en décoller la paume des mains. Il se souvint des chevauchées pluvieuses, à rentrer détrempé et frigorifié. Il se remémora l'imposante armure des chevaliers royaux qu'il devait porter malgré la chaleur étouffante des plaines du Sud. Pendant ce temps, Tiago se prélassait au palais dans le giron de leur mère. Durant l’expédition, il s’était contenté de donner des ordres à Luther et n’avait presque jamais quitté la tente. Il n’avait jamais parlé aux soldats et n’avait participé à aucune bataille.
— J’ai reçu un message de sa Majesté, dit soudain Tiago.
Luther leva les yeux, surpris. Tiago continua :
— La Reine est mécontente de notre retard. Elle songe à te retirer ton titre de commandant des chevaliers royaux. Je l’ai néanmoins informée de notre succès et je n’ai pas manqué de souligner le rôle de notre cavalerie dans la victoire finale.
— Son Excellence est trop bonne, ironisa Luther.
Tiago ne releva pas et poursuivit.
— En représailles, ton butin de guerre sera réduit d’un tiers. Sa Majesté compensera ainsi les pertes que ton incompétence aura causées.
La rage que ressentait Luther à présent était visible. Il serra les dents et adressa un regard noir à son frère. Il maintint néanmoins les lèvres serrées pour retenir le flot d’injures.
— Fais nettoyer le champ de bataille sur le champ, ordonna finalement Tiago. Nous partirons demain dès l’aube. Je ne veux pas rester dans cet enfer insalubre en compagnie de ces barbares une minute de plus. Nous ferons halte à Loth, chez notre oncle, comme tu l’as suggéré. Ta présence à Myr pour le banquet de la victoire est requise. Je ferai en sorte que tu n'y échappes pas. Après tout, j'ai besoin de mon jeune frère à mes côtés pour célébrer ma victoire. Tu peux disposer à présent.
Luther se leva avec brusquerie. Tiago le regardait toujours, les yeux brillant de mépris et le sourire aux lèvres. La brève camaraderie qu’ils avaient partagée durant leur enfance s’était évaporée à la mort du roi. Leur mère avait pris Tiago sous son aile. Luther n’avait alors plus eu le droit de partager les jeux de son frère aîné. Après avoir été fait chevalier par son oncle à Loth, il avait prêté allégeance à la reine au même titre que les autres chevaliers de l’ordre Royal. Il était alors devenu un guerrier redoutable, et la Couronne n’avait pas hésité à utiliser sa force pour l’exhorter à mener des expéditions sanglantes contre les barbares du Sud. En cinq années de guerre, la fortune que ces guerres avaient permis d’amasser était colossale. Lui-même, cependant, n’en avait guère profité. Ses vêtements, tâchés de boue et usés par le temps, contrastaient avec les tuniques brodées d’or et de velours de Tiago. La seule marque de son appartenance à la famille royale était la broche en or, héritée de son père, qui retenait sa cape.
Luther sortit de la tente sans un mot. L’étiquette lui imposait de saluer Tiago. Mais après l’affront qu’il venait de subir, il s’autorisa cette incartade. Il se dirigea vers l’homme qui se tenait devant l’entrée de la tente, et qui avait remplacé celui au regard de fouine. Lorsque Luther le reconnut, le poids que sa conversation avec Tiago avait laissé sur sa poitrine s'allégea quelque peu.
— Jared ! toujours à trainer les oreilles là où tu n’es pas convié.
Jared leva les yeux avant d’éclater de rire.
— Luther ! Tu n’as pas l’air de bonne humeur. Son excellence a encore dépassé les bornes ?
Luther sourit, et haussa les épaules.
— Nous passerons par Loth pour nous ravitailler. Le chemin est plus raide, mais je le connais bien. Nous y serons d’ici une quinzaine de jours.
— A tes ordres.
— Fais envoyer un messager à Déménor sur le champ pour le prévenir de notre arrivée.
— Avant cela, il faudrait visiter la grange. Nous y avons rassemblé les captifs.
— Combien sont-ils ?
— Plusieurs centaines.
Luther se frotta le menton. Plusieurs centaines d’esclaves, c’était loin d’être suffisant aux yeux de sa majesté. Ils étaient destinés à un dur labeur. Les fermes de l’Ouest et les mines au Nord de Myr consommaient les hommes aussi vite qu'un feu dévorait du bois sec. Quant aux femmes, elles étaient destinées à de plus vils projets. Les plus belles se vendaient à prix d’or aux marchands de chair, et servaient dans les bordels. Une issue qui aurait pu paraître enviable comparée aux mines, et que la Reine affectionnait tout particulièrement, puisqu’elle lui permettait de surprendre certains notables de la capitale s’adonnant au stupre, et n’hésitait pas à se servir de ces informations compromettantes pour faire les faire plier à ses quatre volontés.
Tout le monde a une faiblesse, lui avait elle dit un jour, il suffit de la trouver et d’en user avec intelligence.
L’idée que lui-même était contraint de participer à cet odieux commerce le révulsait mais il n’avait pas le choix. Sa mère régnait sur un empire immense, qui englobait l’ensemble du continent, ainsi que les terres fragmentées du Nord. A moins d’aller vivre dans la forêt de Liandor en compagnie de ce que le continent comptait de vermine, il ne pouvait fuir son emprise.
Luther soupira, résigné.
— Très bien. Allons voir cette foutue grange.
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