Mary Lev La fille du désert Chapitre 1.2

Chapitre 1.2

Le garde baissa les yeux vers lui et le jaugea. A son expression hostile, Luther réalisa que sous l’épaisse couche de crasse, de boue et de sang, il était méconnaissable. Il essuya d’un geste vague son insigne royal, qui maintenait sa cape attachée à son armure et se dépêcha d’ajouter :


— Je suis le seigneur Luther de Lorient.


L’attitude du garde changea de manière notable et s’emplit aussitôt d’une déférence qui le mit mal à l'aise tant elle semblait feinte.


— Pardonnez-moi.


Son ton mielleux et son regard de fouine déplurent à Luther. Le garde s’écarta néanmoins et ouvrit les pans de l’opulente tente. En s’approchant, Luther pouvait distinguer les armoiries de sa famille brodées d’or sur le tissu malgré la poussière accumulée durant le voyage.


— Mon Seigneur, votre bravoure durant la bataille… Vous… Nombreux sont ceux qui vous doivent la vie.


Luther tourna la tête, surpris. Les nobles de Myr, la capitale, le méprisaient au plus haut point. Ils le surnommaient le chien de Sa Majesté, tout en feignant de lui témoigner le plus grand respect lorsqu'il était présent. Il avait néanmoins bien meilleure réputation parmi les soldats. Il se remémora le déroulé de la bataille. Les corps à corps des premières lignes avaient fait d’innombrables victimes des deux côtés. Il avait alors donné l’ordre à la cavalerie de charger. Il s’en était suivi un chaos tel que les soldats distinguaient à peine les armes qu’ils maniaient dans l’effroyable nuage de poussière que les sabots des chevaux avaient soulevé. Luther lui-même, pourtant rompu à l’exercice, ne pouvait discerner le visage de son assaillant qu’à la dernière minute, au même moment qu’il pouvait sentir sa puanteur. Tous portaient leurs coups presque à l’aveugle. Luther eut un sourire cynique. Il se rappela qu’à certains moments, seule la langue que son ennemi à terre utilisait pour implorer sa merci lui indiquait s’il devait l’épargner ou lui porter un coup fatal. Il choisit de ne pas répondre au soldat et de lui adressa un simple signe de tête.


Luther s’avança dans la tente et aperçut son frère ainé en compagnie de plusieurs officiers, de ses gardes du corps personnels et de quelques valets. Il détailla l’allure noble et élancée de Tiago. Sa mise était propre, ses vêtements étincelaient de propreté et de richesse. Sa propre tenue lui sembla plus miteuse que jamais, repoussante de saleté. Tous les regards se tournèrent vers lui. Un embarras familier le saisit, le sentiment habituel de pénétrer un lieu auquel il n’appartenait pas, comme un chien galeux et infesté de puces entre dans une écurie d’hongres. Il détailla la chevelure de Tiago, qui était aussi brune que la sienne était claire. Son visage brun aux traits fins avait une beauté cruelle, qu’accentuait sa barbe taillée au millimètre. Tiago le toisa de son regard sombre et réprobateur. Une grimace de dégout tordit ses lèvres fines:


— Mon frère ! Tu es bien crasseux.


Luther ignora sa remarque et fit un bref salut.


—Altesse. Je viens te faire un rapport de la situation.


Tiago jeta un œil aux officiers autour de lui. Certains considérèrent Luther avec respect, lui adressant un salut amical. D’autres se contentèrent de l’ignorer.


—Laissez-nous, leur lança sèchement Tiago.

Ils se levèrent et disparurent. Luther crut déceler dans le regard de certains une lueur amicale très inhabituelle. Lorsqu’ils furent seuls, il se tourna vers son frère :


— Nous n’avons plus d’eau. Et presque plus de viande séchée. Il faudra restreindre les portions des soldats jusqu’à Loth. Une fois là-bas, nous pourrons nous ravitailler chez notre oncle Déménor. Je doute même que nous puissions tenir jusque-là.


—Mais quel oiseau de mauvais augure tu fais ! Nous avons à peine remporté la victoire et tu me rabats déjà les oreilles avec ces inepties. Je ne m’intéresse nullement à ces choses.


Luther songea au groupe de soldats du campement arrière qu’il avait surpris, quelques semaines auparavant, en train de dépecer un cheval malade. Combien, parmi les centaines d’esclaves entassés dans le hangar, allaient survivre aux semaines de voyage qui les attendaient ? Il n’y aurait pas assez de cheval malade pour tous. Il observa le visage teinté d’ironie de son frère. Luther fut tenté de lui dire le fond de sa pensée, mais il se maitrisa.


—Bien, dit-il, vaincu.


Tiago leva la main et aussitôt, un valet apporta un plateau de pain, de fromage et de viande séchée. De toute évidence, les restrictions alimentaires ne s’appliquaient pas à lui. Le valet servit deux verres de vin et Tiago en tendit un à Luther, tout en souriant.


— Dis-moi, mon cher frère, pourquoi tiens-tu tant à aller à Loth ? Tu ne penses tout de même pas que Sa Majesté t’autorisera à rester là-bas jouer au métayer alors que la guerre fait rage avec les tribus sauvages du Sud ? Ne m’oblige pas à te rappeler ton devoir.


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64

64 commentaires

almeryatictac

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Il y a un an

Je suis présente pour un soutient de masse. Gracieuseté d'un duo immersif.

Mary Lev

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Il y a un an

Merci merci ♥️♥️♥️

Le Mas de Gaïa

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Il y a un an

Chapitre fluide qui nous présente un nouveau personnage et la dynamique de leur relation fraternelle. C'est vivant et donne envie de continuer :)

Mary Lev

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Il y a un an

Merci beaucoup ;)

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Intéressant cette rivalité entre frère !

Mary Lev

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Il y a un an

Merci bcp !

cedemro

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Il y a un an

Je n'aime déjà pas Tiago. Il fait souffrir son propre peuple... Luther me semble un peu plus humain et pourtant c'est lui qui tue sans aucune émotion il semble.

mariecolley

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Il y a un an

Un contraste très intéressant que tu nous présentes ici. Pourquoi un prince porte une chemise rapiecée? C est un très bon chapitre, moins brouillon que le précédent et plus nuancé. Ta plume est agréable et subtile, cela se lit très bien 😊

Mary Lev

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Il y a un an

Merci pour tous ses compliments! Je l’explique plus tard mais luther n’a pas bcp d’argent, juste sa solde de chevalier. A cette époque les nobles gagnaient de l’argent en ayant des terres à leur nom et y faisant travailler leurs serfs. Mais luther n’a rien de tout ça

eleni

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Il y a un an

l'antipathie pour Tiago est immédiate. et on devine de suite à quels points les deux frères sont à l'opposé l'un de l'autre. Luther fait le dos rond pour temporiser mais il me tarde de savoir à quel moment il va affronter son frère. tu as un vocabulaire varié et fait de belles comparaisons quand tu décris certains faits. ta plume est douce malgré la gravité de ce chapitre. je continue avec plaisir.
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