Senefiance La danse des maux Premières & dernières fois

Premières & dernières fois

— Je vais vous aider à vous revêtir. Vous devez rejoindre les autres jeunes filles, me rappela Pâris sans brusquerie.

— Je sais, répondis-je, la frustration plein les yeux.


Pour autant, je ne me détachai pas de lui. Alors, mon comte reprit la situation en main. Dans un très long soupir, il se dégagea de mon étreinte et lança un nouveau sujet de conversation.


— Jouez-vous du pianoforte par passion ou est-ce un devoir ?

— J'adore caresser les touches de cet instrument, répondis-je avec enthousiasme. Appuyer sur chacune d'elles amplifie ou adoucit le ton de l'histoire racontée par mes doigts. J'aimerais seulement pouvoir partager ces instants qui me transportent avec les bonnes personnes.

— J'ai grande hâte de vous entendre, mais ma présence serait imprudente ! Je me réserve donc pour un moment choisi.

— Je vous accorderai une séance privée avec joie ! Saviez-vous qu'un pianiste doit avoir une certaine posture pour laisser la musique le traverser. Il ne doit exister aucune tension dans son être, pour ressentir chaque vibration. Et, grâce à vos mains expertes, ma décontraction devrait offrir ma meilleure prestation !

— Être le témoin de votre épanouissement me ravit, mon Anna ! s'esclaffa mon amant. Vous verrez, l'exploration de l'un et l'autre nous mènera à des bienfaits infinis.


Il s'attarda sur le ruban en soie de mon corset et replaça une mèche de mes cheveux corrompue par notre incartade. Son index caressa ma joue, puis ma lèvre inférieure. Il me donna un baiser doux, très doux, fragile… Un de ces baisers qui fissurait ma volonté.


Enfin, je me résignai à l'abandonner pour quelques heures. Je rejoignis le grand salon où une voix cristalline transcendait l'assemblée. Mère conversait avec le seul homme de l'auditoire et lorsqu'elle m'aperçut, me fit signe d'approcher. Mais, l'inconnu m’avait déjà flairé, tel un prédateur. Une sensation froide et vive saisit ma peau quand sa langue se délecta sur ses lèvres déformées.


Grâce au Ciel, la duchesse de la Laronière annonça mon passage. Je m'installai sur le tabouret et mes épaules s'affaissèrent de soulagement. Je fermai les yeux pour m'isoler et mes doigts entamèrent un extrait des suites françaises de Bach. Les sons bondirent sur les pans de murs diffusant la mélodie autour des spectateurs.

Sur les dernières notes, j'élevai ma voix au-dessus de ces faux-semblants.


Je quittai la scène sous les applaudissements et profitai de ces minutes pour observer les visages croisés maintes et maintes fois lors de mondanités. Les noms s'empilaient dans ma tête laissant de la place pour mes rencontres à venir.

Mère me félicita ! Une première ! Ma prestation fut au-delà de ses espérances et de nombreuses personnes avaient manifesté de l'intérêt pour moi et ma candidature forcée. Elle me pressa pour rentrer à la maison, car selon ses dires, elle avait mille choses à régler. Je la suivis, soulagée de ne pas avoir à subir la présentation de l'homme repoussant.


De retour au manoir, je surpris Anceline en pleurs, devant la porte de mon jumeau.


— Il s’est enfermé dans sa chambre, m'expliqua-t-elle anéantie.

— Que s'est-il passé ?

— Votre père...

— Quoi ? Il a encore humilié Victor ! Ce sera la dernière fois ! Anceline, je dois vous confier notre départ. Nous ne pouvons plus rester dans cette vie qui ne nous appartient pas !

— Quand, articula-t-elle les sanglots plein la voix.

— Pendant le bal, je voulais vous faire mes adieux demain, mais je ne peux plus vous le cacher ! Vous avez été la mère dont j'ai rêvé, notre confidente si bienveillante. Vous demeurerez à jamais dans nos cœurs !

— Mes enfants s'envolent ! pleura-t-elle. Cette nouvelle déchire ma vie, mais je vous comprends et vous soutiens. Je mettrai tout en œuvre pour vous apporter mon aide.


Cette femme merveilleuse entoura son bras sur mes épaules et m’entraîna vers mon frère en perdition. Mon roc brisé était recroquevillé dans un coin. Malgré les tentures fermées, je devinai ses larmes sur son visage. J'ouvris les rideaux et la soudaine luminosité lui arracha une grimace qui accentua ses traits déjà tirés.

La gorge serrée, il n’arrivait pas à déglutir. Il s’étouffait.


— Respire ! l’implorai-je.


Mon corps cria à l’injustice. Le stress passé, présent me dévorait. Nous étions à nouveau pris dans la spirale infernale de la violence psychologique. Malgré les atrocités entendues depuis notre enfance, cette nouvelle épreuve était insurmontable. Car, c'était celle de trop !


À force d’expirations et d’inspirations, ses spasmes finirent tout de même par se calmer. Un peu.

— Voilà, c’est bien ! Détends-toi, lui conseillai-je gentiment. Anceline, je vous le confie.


Je dévalai les escaliers, prête à cracher ma fureur au visage de mon père. Mais des pupilles sombres, fouillant déjà dans mon décolleté me paralysèrent. L'anonyme aperçu cet après-midi après de ma mère, se trouvait face à moi. Mon intuition sonna l'alerte générale.


— Vous arrivez à point nommé, s'exclama mon géniteur, le sourire radieux. Je vous présente le duc de Revers.

— J'étais impatient de faire votre connaissance ma chère, déclama la cause de mon écœurement.

Malheureusement, une affaire urgente m'appelle. Réservez-moi votre première danse ce samedi, voulez-vous ?

— Oui, bafouillai-je.


La suite de ma phrase : « avec plaisir », resta coincée dans ma gorge. Je regardai sa silhouette s'éloigner, tandis que son ombre planait sur moi.


— Voici un très bon parti ! Je suis comblé ! s'extasia mon père.

— Je ne peux en dire autant ! Vous me vendez à un homme qui a trois fois mon âge !

— Toujours vos mots disproportionnés ! Le duc de Revers est veuf et désireux de retrouver une épouse !

— Revers ! m'exclamai-je. Je savais bien que ce nom ne m'était pas inconnu ! Sa jeune compagne est décédée en couches !

— Elle n'était sans doute pas assez forte pour enfanter...

— Vous vous écoutez père ? Vous êtes ignoble ! Mais, ce qui l'est encore plus, ce sont les rumeurs fondées sur votre nouvel ami ! Il battait sa femme, même lorsqu'elle portait en son sein un petit ange !

— Et bien ! Soyez soumise et tout se passera au mieux !

— Ce duc est un barbare ! Mais, vous êtes au-delà de son degré de cruauté ! vous êtes le bourreau qui envoie sa fille à la potence !


Cette nuit-là, ma colère noire ne désemplit pas et elle se mêla à mon angoisse du départ.



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8 commentaires

cynthia1609

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Il y a 4 ans

Décidément je déteste vraiment cet homme. Surtout pour le mal qu’il fait à ce pauvre Victor. J’aurais toute de fois aimé découvrir pourquoi Victor est dans cet état. Il aurait peut être pu tenter de l’expliquer à Anna. Ça aurait pu être un beau moment de complicité

Senefiance

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Il y a 4 ans

Oui tu as raison, encore un point à développer ! C'est super tu mets bien le doigt sur les axes d'amélioration !

Nascana

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Il y a 4 ans

J'ai cru que le père allait la frapper à la fin. Effrayant !

Azilizaa

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Il y a 4 ans

Passage très fort ! Le duel entre Anna et son père est criant ! Bravo !

shane

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Il y a 4 ans

J'ai envie de crier : "fuis loin de tout ça Anna... Fuis !". J'éprouve tellement de sentiments différents à la lecture de ce chapitre. De la tristesse pour Victor, de la haine pour le père, mais surtout de la fierté pour cette jeune femme qui mène un combat important, une révolte audacieuse qui bouscule son destin.

danielle35

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Il y a 4 ans

Quel monstre le père d'ANNA ; osez dire de telles cruautés. on dit que tous les fous ne sont pas enfermés, mais là c'est plus que vrai. Je comprends de plus en plus qu'aNNA veut partir et se lancer dans son combat. J'espère que son plan fonctionnera. J'ai une fois de plus hâte de la suite

Lyaminh

-

Il y a 4 ans

"Soyez soumise et tout se passera au mieux !" Il faut le faire enfermer le père 😱 cette phrase résume à elle seule toute la difficulté pour les femmes de se faire entendre, l'aberration du genre humain ! J'aime beaucoup la puissance de tes mots, c'est magnifiquement écrit, je suis fan 👍😀

Senefiance

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Il y a 4 ans

Merci Lyaminh !
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