Fyctia
choix forcé
— Vous avez perdu la tête, ma chère fille ! Pensez-vous pouvoir changer toute seule la face du monde ! C'est le cachot qui vous attend ou le couvent si votre père l'apprend ! Estimez-vous heureuse, je vais faire bruler ces torchons pour vous épargner les foudres !
— Mon combat n'est pas vain et je ne suis pas dupe de votre élan de générosité ! Père vous rendra aussi coupable que moi de cette situation ! Encore un échec cuisant à votre système d'éducatif ! raillai-je.
— Je ne vous permets pas ! Je vais m'atteler à vous trouver un mari qui vous ramena sur le droit chemin !
Sans me laisser le loisir de répondre, elle sortit et claqua la porte. La perspective d'un mariage forcé avec un homme odieux qui tenterait de me briser était inconcevable. Ma décision était prise, je devais quitter cette maison et le bal serait mon échappatoire !
Le soir même, l'annonce du souper raisonna comme une énième obligation. Victor me rejoignit en bas des escaliers et s'amusa à énumérer le menu : un bouillon de déceptions, un ragout de reproches, et en dessert une farandole de silences pesants.
Hilare, je le tirai par le bras et l'entraînai dans le vestibule à l'abri des indiscrets. Je lui fis part de mes dernières péripéties et de ma décision. Il était évident qu'il serait du voyage, je le chargeai donc de rassembler nos affaires et de les évacuer secrètement du manoir. Il me proposa de les cacher chez l'un de ses amis.
Le cœur serré, nous planifions nos tâches des deux jours à venir et nos adieux prochains.
Nous pénétrâmes dans la salle à manger, sous le regard noir de mère. Elle redoutait sûrement un esclandre de ma part, mais je décidai de faire profil bas, afin de mener notre projet à bien.
Devant ma docilité du moment, elle me parla de l'invitation, je feignis d'apprendre la nouvelle.
— La duchesse de la Laronière nous convie à un petit interlude musical, demain après-midi. Les jeunes damoiselles, dont vous, pourrez montrer votre savoir social en jouant d'un instrument ou en chantant. Le public sera composé de nombreuses dames de belle noblesse à la recherche de la parfaite épouse pour leur fils.
— Voici un programme à la hauteur de vos desseins, lui répondis-je avec un sourire trompeur.
— Mon cher mari, reprit-elle en ignorant mon sarcasme, plusieurs de mes amies m'ont suggéré de miser sur un bal masqué. C'est la nouvelle tendance qui remporte un franc succès. Qu'en pensez-vous ?
— Peu m'importe ces bagatelles, veillez juste à poster des hommes afin d'empêcher les malotrus d'entrer, répondit-il en me fixant.
La fin du repas se termina de nouveau dans le silence, mon esprit s'évada dans les préparatifs de notre départ. Les masques étaient une aubaine pour nous faciliter la tâche, mais le nombre de gardes devenait la plus grande difficulté. Je pensai avoir la solution et la bonne personne pour m'aider. Marie !
Père se retira au petit salon. J'observai pour une des dernières fois la salle à manger et son vaste espace, représentant le vide émotionnel qui liait notre famille. Au centre trônait une magnifique table en acajou. Son rouge précieux avait absorbé au cours des années toutes nos blessures et les décorations ou dorures disposées dans la pièce, ne masquaient en rien cette triste atmosphère.
Cette nuit-là, je m'endormis avec l'impatience du lendemain. Il me tardait de voir Louise, Marie et surtout Pâris. Le souvenir de ses baisers me plongea dans mes songes où l'interdiction n'existait pas.
La matinée suivante et le déjeuner furent martelés par mes trépignements. À l'appel de ma mère noyée dans la dentelle et les plumes, je me présentai dûment parfumée et maquillée. Je posai mon châle sur mes épaules pour couvrir ma robe légère qui laissait un peu de peau à découvert. J'osai l'apparence sensuellement provocante espérant un moment privilégié avec un certain comte.
Devant la résidence de notre hôte, le ballet incessant des nombreuses calèches prenait d’assaut le perron. Ce château édifié non loin du bois Vincennes, était majestueux. La duchesse proposa aux jeunes filles de se réunir dans une salle attenante afin de se rafraichir et de se préparer. Je quittai mère, certaine de trouver Louise derrière la porte.
Effectivement, ma nouvelle amie et bientôt confidente me guettai. Mais, contrairement au reste des candidates au mariage, mon chemin ne se termina pas dans cet épicentre de résignation. Elle me fit traverser l'aile du bâtiment où se déroulait un tout autre spectacle.
Au milieu d'un cortège de curieux et de débatteurs, un grand orateur défendait ses idées. Louise me glissa discrètement à l'oreille qu'il s'agissait de Charles Fournier. Je restai stupéfaite devant son jeune âge, il devait avoir une vingtaine d'années. Son esprit, à lui seul était un laboratoire des pensées d'aujourd'hui et de demain. Avec force et conviction, il exprimait sa vision de la société, son envie de voir fleurir une ville du futur fondée sur l'harmonie. Certains le taxèrent d'utopiste, d'autres réfléchissaient à voix haute.
Soudain une impression de familiarité, m'enveloppa. Pâris s'introduisit dans mon espace et colora mon humeur. Fiévreuse, la paume de sa main frôla mes doigts tremblants devant cette attraction.
— Venez ma libre penseuse, je vais vous le présenter, suggéra-t-il.
— Tout de suite ?
— Pourquoi attendre ? me demanda-t-il en me précipitant au milieu de l'attroupement. Charles, voici Anna, l'amie dont je vous ai parlé.
Le mot amie sonna avec insuffisance à mes oreilles et à mon cœur.
— Enchantée lady ! s'exclama le jeune philosophe. Alors, Pâris vous décrit comme une révolutionnaire, l'êtes-vous ?
— Juste dans ma tête et dans ma chambre ou j'ai rédigé quelques pamphlets.
— Et quel est votre but ? continua-t-il.
— J'aimerais faire évoluer la condition de la femme, ses droits, sa place dans le mariage...
— Soyez prudente ! En faisant du tapage par les mots, votre voix sera entendue, mais si vous n'avez pas une armée de contestataires derrière vous, l'effet demeurera dérisoire. De plus, d'après vous, une dame peut-elle s'assumer une fois libre ? me questionna-t-il avec pertinence.
— Non, bien sûr, elle devra trouver et gérer des ressources, soit par héritage ou grâce à des compétences. Soit, je vois ou voulez en venir !
— Je n'en doute pas, vous êtes vive d'esprit, me flatta-t-il.
— Je vous remercie ! Donc, je dois réfléchir en amont, au droit à l'enseignement supérieur pour toutes, par exemple.
— Nous y voilà ! s'écria-t-il satisfait. Travaillez sur le fond, pour avoir des alternatives et ensuite nous réunirons les foules et déplacerons les montagnes. Mais, vous n'êtes pas seule, beaucoup d'êtres agissent dans l'ombre et certains politiciens nous soutiendront l'heure venue. Je vais remettre à Pâris, une liste de personnes avec qui vous pourrez correspondre, dont moi.
— C'est fabuleux ! Je suis déjà poussée par cet élan !
— C'est peut-être la femme d'une vie, mon cher Pâris ! Ne la laissez pas vous glisser entre les doigts ! conseilla Charles.
8 commentaires
cynthia1609
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Il y a 4 ans
Nascana
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Il y a 4 ans
Azilizaa
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Il y a 4 ans
danielle35
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Il y a 4 ans
shane
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Il y a 4 ans