Senefiance La danse des maux transgression

transgression

L'incarnation du fantasme et du glamour, au regard bleu acier, était plantée devant moi, avec ce sourire en coin si particulier aux hommes. Celui-ci paraissait légèrement ironique ou peut-être aguicheur. J'étais incapable de réfléchir, car mon trouble avait écarté mon intuition.

D'un discret coup de coude, Marie tenta de me sortir de ma contemplation. Mais, cet éblouissement me paralysa et m'empêcha d’articuler le moindre mot. Mon esprit implora ma répartie de faire un retour fulgurant. Pour mon plus grand soulagement, cette dernière s'exécuta.


— S'agit-il d'un sourire de bonheur ou moqueur ? narguai-je.

— De bonheur bien entendu, comme un antidote à cette soirée ennuyeuse, répondirent ses lèvres généreuses. Mais être l'objet d'un aparté avec vous me réjouit. Alors, cette fête vous plait-elle ?

— Indiscutablement, je la trouve surfaite ! L'environnement est attrayant je vous l'accorde, ce bal résonne en son temps. Mais, il donne un éclairage trompeur, affublant la candeur des jeunes damoiselles !

— Lady d'Harcourt considère chaque scène de vie comme un débat de société, moi j'y vois de l'amusement et une circonstance opportune d'une existence accomplie, intervint mon amie au milieu des rires de notre interlocuteur.

— Tu regardes le spectacle d'un angle différent ! Admires-tu cette véritable ménagerie ? demandai-je à Marie, en montrant les animaux d'un geste de la main.

— C'est évident !

— Moi aussi, seulement ma ménagerie n'est pas représentée par les mêmes acteurs ! caricaturai-je. Assez discuté de mes convictions ! Parlez-nous de vous, Monsieur ! Quel est votre blason ?

— J'ai peu d'égards pour les couleurs de ma famille. Je dois bien admettre qu'elles me procurent quelques avantages, tel un porte-bonheur ! Avec des attributs pareils, je m'efforce d'éparpiller la jouissance !


Marie s'empourpra et se cacha derrière une gigantesque composition de plantes.

Identique à la phrase prononcée, l'interprétation de cet art floral était discutable. L'arum avec son spadice évocateur et la timidité du bleuet, nous jetaient au visage un mariage sulfureux. En attendant, les intentions de ce bavard demeuraient troubles, j'hésitai entre un faiseur d'esprit et une histoire de pinceau. Je devais rester prudente et abandonner cette fascination pour le moment.


— Vous êtes un enjôleur, monsieur ! Il me semble qu'il serait inopportun de continuer cette conversation sans chaperon, prêchai-je.

— Finalement, votre audace a ses limites ! dit-il en se penchant vers moi.

Son col entrouvert dévoila l'avant-goût d'un dessin sur sa peau.

— Qu'est-ce donc ? interrogeai-je, en tendant mes doigts dans un élan non maîtrisé.


Mon amie me tira le bras pour signaler un autre danger. Je levai le menton et vis nos mères respectives sur leur perchoir. La tribune leur offrait un terrain grandeur nature pour diffuser leurs potins. Leurs mains gesticulaient dans tous les sens, cependant je compris qu'elles souhaitaient que nous rejoignissions nos frères promptement.

Nous nous éloignâmes, suivies par mon incertitude et ma confusion.


— Tu l'as regardé avec appétit ! remarqua ma comparse.

— Tu as raison mon dieu ! Je transgresse ma morale et je ne suis pas sûre d'avoir mauvaise conscience !


J'ignorai son nom, mais je connaissais déjà tous les traits de son visage. Je cherchai sa mâchoire carrée et son arcade sourcilière marquée, dans le tourbillon de la soirée.

Seulement, mon aimant paradait maintenant au bras d'une nouvelle damoiselle. À brûle-pourpoint, ma curiosité tira sa révérence pour ma déception. Je jalousai cette jeune femme à la beauté parfaite, sa peau couleur terre de Sienne et son port de tête la propulsaient au rang de joyau.


À notre approche Victor me lança un regard réprobateur, pourtant son visage rayonnait. J'étais désireuse de savourer avec lui l'objet de sa délectation. Il recula légèrement, m'attirant avec lui et épancha son cœur.


— Un très bon ami m'a convié à intégrer une communauté très confidentielle pour nous les stigmatisés. Le premier rassemblement a lieu ce soir, si nous ne rentrons pas trop tard, je pourrais m'éclipser.

— Je suis heureuse pour toi ! Accordons encore quelques pas par politesse et soufflons à nos parents, notre départ. A ce propos, où se trouve père ? continuai-je.

— La duchesse de Rivoli tempêtait plus tôt, car les hommes sont réunis depuis le milieu de l'après-midi, au fond de la grande salle. Ils n'ont même pas prêté attention à l'arrivée des convives. Elle m'a raconté que récemment, la Royal Navy avait attaqué les navires militaires néerlandais présents sur l'île de Java. Avec l'arrivée sur place du Général Daendels, fidèle serviteur des Bonapartes, l'expansion de l’empire napoléonien sur les Indes néerlandaises devrait rapidement être à son apogée. En conséquence, les grandes fortunes françaises, dont notre père, veulent investir sur ces terres, mais les accords commerciaux déchaînent les passions et de l'animosité.

— Alors, nous nous retirons sans doute sans lui ! conclus-je.


Deux jeunes comtes attendirent d'être reconnus par Victor avant de s'approcher pour nous parler. Mon chaperon et celui de Marie qui n'était jamais très loin, veillèrent à ce que tout se déroula selon les convenances, cette fois-ci.

Marie emporta son enthousiasme dans la contredanse, tandis que les instruments pleuraient ma lassitude. Mes ballerines en soie colorée traînaient sur le sol, emprisonnées par les rubans de la contrainte.

Cette chorégraphie en couples ouverts m'épargna d'enchérir sur les banalités de mon cavalier petit par la taille et par son assurance.


L'objet de toutes mes attentions fit son retour dans mon champ de vision, il chuchota des mots aux musiciens et déposa une bourse près d'eux. La question qui se profilait dans mon esprit rencontra sa réponse quelques secondes plus tard.

À la fin de la danse, la musique ne cessa pas complètement. Elle diminua juste en intensité avant de s'enchaîner avec une nouvelle. Sans pause apparente, les couples restèrent sur la piste et adaptèrent leurs mouvements à la valse naissante.

Paniquée, je le regardai marcher vers moi. Ses yeux plongèrent dans les miens, tentant d'atteindre mon cœur. Je cherchai une recommandation dans les iris de Victor, mais c'était peine perdue. Ma volonté à lui résister n'existait déjà plus. Je délaissai mon partenaire, encore accroché à mon bras et fis un pas vers lui.


— Oubliez votre porte-respect, me défia-t-il en fixant mon frère. Faites valser les discours archaïques avec moi !



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14

14 commentaires

cynthia1609

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Il y a 4 ans

J’ai beaucoup aimé la joute verbale entre notre héroïne et ce jeune homme si dévergondé pour l’époque. J’ai aussi apprécié le fait que tu fasses intervenir Victor. Même si il semble être un personnage secondaire, je trouve important qu’on en apprenne plus sur lui puisqu’ils sont jumeaux. Le seul petit bémol à mon sens serait le passage où tu parles de son père et de ses affaires. Je ne suis pas sure qu’on est besoin d’autant de détails à moins que ce soit nécessaire pour la suite du récit. A part ça ce chapitre est très agréable à lire.

Senefiance

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Il y a 4 ans

Tu as raison le format roman me permettra de creuser leur personnalité. Je ne pense pas garder la notion de jumeaux, cela pose problème par rapport à l âge du mariage pour cette période. Les affaires du père ont de l importance pour la suite 😃

cynthia1609

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Il y a 4 ans

Je trouve ça bien que tu en fasses un roman. Je pense que ton histoire a un vrai potentiel. Tu n’es effectivement pas obligé de garder les histoires des jumeaux tant qu’ils ont un vrai lien entre eux

Azilizaa

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Il y a 4 ans

Me revoici pour la suite de cette semaine de binômat... Les allusions sexuelles évoquées à la fin du premier chapitre se poursuivent tout au long de celui-ci. On retrouve bien sûr l'image du pinceau, mais pas que... Cela rend bien compte de la tension qui anime l'héroïne (dont j'ai oublié le nom et je ne crois pas qu'il soit rappelé dans ce chapitre, désolée...). Cela est accentué avec le lexique du corps : l'homme est objet de désir. Une répétition m'a frappée: "indiscutablement" / "discutable". Tu as un tic d'écriture qui parfois est très porteur je trouve (comme dans la phrase que j'ai commentée directement sur le texte) mais qui d'autres fois alourdit le discours comme ici par exemple : "Nous nous éloignâmes, suivis par mon incertitude et ma confusion." La personnification récurrente de sentiments, d'émotions... est un peu excessive à mon sens... Sinon c'est un très beau chapitre que j'ai eu beaucoup de plaisir à lire ! La suite, plus tard, Az.

Senefiance

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Il y a 4 ans

Merci pour ton retour. J'ai rectifié la répétition. Concernant mon tic d'écriture, je suis partagée. Certains trouvent justement que c'est ma marque de fabrique, mais le dosage est peut-être à revoir...

Nascana

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Il y a 4 ans

Je sens qu'elle va avoir des problèmes par la suite. On va sûrement lui dire que ce n'est pas un homme bien ou un truc du genre.

Senefiance

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Il y a 4 ans

Oui un truc dans le genre :)

Alienor D. Licorne ( Eusimarok)

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Il y a 4 ans

Un tatouage et de l'orgueil de mâle dominant... Un cocktail explosif teinté de parfum de scandale et de mauvaise réputation. Miam.

Senefiance

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Il y a 4 ans

Et oui les bad boys traversent les siècles :)

danielle35

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Il y a 4 ans

comme tout cela est superbement bien écrit. On s'y croirait. Oui, j'ai l'impression d'être parmi tout ce beau monde et la rencontre finale, l'invitation à la danse qui transporte et trouble Anna une fois encore. Que va t-il se passer, est ce bien ou mal. La suite de ton chapitre me le fera découvrir. VITE, VITE...
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