Fyctia

« De plus grâce à votre statut de femme, vous n’aurez pas à vous en préoccuper, ma chère », déclara Roshan de l’air blasé qui le caractérisait si bien.

Tout ce qui touchait à la politique ou au devoir avait le mérite de rendre l’héritier présomptif encore plus apathique qu’à l’accoutumée.

Cette fois, les joues de la jolie frimousse diaphane de Loria prirent une couleur rouge pivoine. Rien à faire, Rakan aimait ça quand son frère en rajoutait une couche.

C’était encore plus divertissant quand il le faisait sans vraiment le vouloir. Ils auraient, lui et son frère, pu se trouver tellement de points communs : l’Histoire, la géographie, la langue shaarie… Il arrivait que Rakan regrette très sincèrement la proximité de Roshan avec Loria, sa vie aurait pu être totalement différente.

Le silence s’installa entre les tourtereaux, troublant et inquiétant. Aussi jeune fût-elle, Loria parvenait à captiver l’attention avec une aisance déconcertante, et beaucoup faisaient attention à ne pas provoquer son courroux. Rakan devait admettre que c’était assez difficile en ce qui le concernait, surtout quand la raison en son chef ne résidait non pas dans une action, mais dans le simple fait de respirer.

L’enfant terrible de la famille royale se leva avec toute la grâce dont elle eut la chance d’être dotée par la vie et son regard voyagea, avec une absurde lenteur, de Roshan à Vadim, pour enfin revenir sur Rakan, auquel elle sembla vouloir transpercer l’œil restant. Si des yeux pouvaient tuer, Rakan était certain qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de pousser son premier cri.

« Mon prince, dit-elle en reportant enfin son attention sur Roshan qui s’empressa de se relever, le bal annonçant les réjouissances qui sonnent l’arrivée du printemps a lieu demain soir. Je pense qu’il est temps pour moi de me reposer, minauda Loria, un masque d’hypocrisie de nouveau accroché sur le visage.

— Souhaitez-vous que je vous raccompagne ? » s’empressa de proposer Roshan.

Trois jours de calvaire, pensa Rakan qui ferma l’œil et gonfla ses poumons de l’air qui se faisait de plus en plus furieux.

« Non », cingla fièrement Loria.

Durant trois jours et trois nuits, le prince Rakan s’employait à devenir le plus invisible possible. Il mangeait dans les cuisines, lisait dans les cuisines, aussi, scrutait la mer et l’horizon. Il vivait comme un clandestin au sein de son propre château, car ni lui ni sa famille ne pouvaient supporter, dans cette cour des apparences, d’avoir à présenter un fils borgne, aux cheveux décolorés, et à la joue défigurée par une cicatrice la traversant de part et d’autre. D’ailleurs, le monde entier pensait que la malédiction qui le frappait en faisait un simple d’esprit et le rendait incapable de participer publiquement à de tels évènements.

Auprès des nobles de la Cour, la rumeur qui circulait sur le fait que la malédiction avait dérobé à l'enfant ses facultés mentales, et l’avait rendu vieux avant l’heure avait été largement acceptée. Depuis l’attaque de Loria, Rakan avait montré un caractère taciturne et avait laissé s’installer l’idée. La vérité était que le jeune prince faisait son possible pour ne pas contrarier Loria.

Tout son possible.

Lorsque sa vision affronta de nouveau le monde extérieur, le paysage était libéré de Loria et de sa présence impérieuse. Son rire retentit au loin et il crut qu’on lui crevait les tympans alors que Roshan afficha un sourire béat.

Elle te dominera, mon frère.

Rakan se leva à son tour et alla préparer des ouvrages à emporter dans les cuisines pour le lendemain. De toute façon, moins on le voyait dans les couloirs un jour pareil, et mieux c’était.

Il était le Prince Maudit, après tout.