Fyctia
Naharya (1/3)
Naharya
Ce crétin de Riff Harz venait de la défier, elle, Naharya Orhan, de sauter dans les eaux noires.
Fille du seigneur de la mer et commandant de la flotte Emyr Ohran, Naharya savait qu’elle devrait effectuer, tôt ou tard, son plongeon de prétention dans les eaux noires de la crique de Mearem.
Mais dans quelques années. D’ailleurs, elle comptait le faire, quoi qu’en dise son père !
En revanche pour Riff, son rival de toujours, le moment fatidique arrivait à grandes vagues. Tout comme elle, il n’avait pas le choix. En tant que fils du second seigneur de mer plus influent et second du père de Naharya au commandement entier de la flotte, Riff devait lui aussi plonger dans les jours qui allaient suivre.
Naharya se pencha et observa la frontière de l’embouchure de la crique. Côté mer, la couleur de l’eau était bleue comme l’océan, comme ses yeux et ceux de Riff, de l’autre, le noir le plus dense qu’il fut donné à Naharya de voir, plus intense encore que la couleur de ses cheveux. Les ténèbres tapies dans cette eau étaient indéfinissables avec la seule force des mots.
De toute façon, l’art de la parole et de la diplomatie, très peu pour Naharya. Ce qu’elle désirait, c’était progresser en combat et en charisme. D’après son père, la régularité et la persévérance entraînaient le premier, tandis que le deuxième arrivait avec la prise de parole intelligente et bien guidée. Mais du haut de ses huit ans, elle constatait juste que Riff Harz avait beau avoir la prestance et la vivacité d’esprit d’huître, il avait déjà la prestance d’un requin.
C’était ça, que voulait Naharya.
Pourtant elle n’était pas dupe, et savait très bien ce qu’elle représentait aux yeux des autres : une femme à en devenir. Son père lui avait déjà avoué que si elle venait un jour à prétendre au commandement de la flotte, il lui faudrait redoubler d’efforts. Selon les dires de ce dernier, les hommes attendraient d’elle la même assurance et l’inflexibilité d’un homme qui dirige et qui de ce fait, doit faire des sacrifices pour assurer la pérennité du plus grand nombre. Il l’avait mise en garde qu’au moindre signe de faiblesse, ces mêmes hommes la défieraient sans états d’âme et sans hésitation.
Lorsqu’elle regardait la face burinée par le soleil et la vie en mer de son père, qu’elle sondait son regard bleu acier, Naharya y voyait des éclats d’une grandeur passée, comme envolée. Peut-être qu’après des siècles à avoir porté le nom des Ohran, la plus grande et la plus féroce flotte de Draikar s’apprêtait bien à changer de nom.
La douloureuse vérité était qu’Emyr Ohran, après avoir vu ses deux fils succomber au plongeon de prétention, donnait l’impression à Naharya de ne plus avoir d’espoir. Pire, c’était comme s’il tentait par tous les moyens d’éviter à sa fille de subir le même sort que ses deux aînés. Il avait été jusqu’à proposer la main de Naharya à l’héritier des Thairnoyr, rivaux historiques des Ohran, pour l’éloigner du jugement des eaux magiques de Mearem. Aussi jeune qu’elle fût, Naharya se sentait déjà flouée dans sa volonté de tenir un jour la barre de son propre navire.
La dernière tentative de protection qu’aura certainement son père vis-à-vis d’elle sera de l’unir a Riff Harz si celui-ci sortait vivant de son plongeon de prétention. Naharya savait qu’une potentielle union avec elle n’enchantait guère Riff.
« Elle n’osera pas ! fanfaronna le garçon de quatorze printemps à l’intention de Hunath.
— C’est tout à fait normal, elle est trop jeune Riff… », statua Hunath. Le caractère posé et sage de la jeune fille venait remettre les pendules de l’héritier des Harz à l’heure.
Tu es la voix de la sagesse que l’on n’écoute pas assez, se désola Naharya en lançant un regard plein de doutes à sa meilleure amie dont Naharya savait qu’elle en pinçait pour Riff, même si elle n’y comprenait encore pas grand-chose.
Ça viendra, lui avait confié Hunath.
Si beaucoup sont appelés par ce sombre plongeon, peu ont la chance de ressortir de ces eaux. Hunath n’arrêtait pas de dire qu’elle ne passerait pas l’épreuve, et semblait catégorique sur ce point. Ne pas avoir de potentiel adversaire semblait énormément plaire à Riff, qui était d’une douceur insoupçonnée avec la belle enfant aux cheveux dorés qu’était Hunath.
Elle était tout le contraire de Naharya, qui se révélait être un sérieux petit obstacle turbulent aux ambitions de la maison des Harz.
Personne ne parlait de ce qui se trouvait dans ce lac, de ce que les seuls qui peuvent prétendre au commandement en cas de pépin avec le seigneur régnant sont amenés à découvrir. Naharya interrogea son père à maintes reprises, mais rien n’y avait fait et il s’obstinait à observer le silence sur la question.
De nouveau perdue dans la contemplation de l’étrange ligne troublée qui servait de démarcation entre la mer et la crique, le cœur de Naharya fit un bond en avant et un cri lui échappa lorsqu’elle fut tout à coup projetée en avant. Elle réalisa qu’elle était fermement maintenue au bord du petit précipice par les épaules et entendit le rire gras de Riff résonner.
Agacée, Naharya attendit qu’il la ramène de par dessus le vide, se dégagea puis fit volteface pour le défier. Les traits du garçon, encore enfantins par endroits, étaient déformés par l’hilarité qui le secouait encore.
Naharya lança un bref regard à Hun, comme elle l’appelait, mais aussi au petit Ayron qui s’était avancé, peureux : ses grands yeux vairons étaient écarquillés de stupeur et sa bouche formait un rond parfait. Il était le plus jeune d’entre eux, et il venait surtout de perdre son grand frère dans cette même épreuve du plongeon. Hun esquissait un petit sourire suffisant qui voulait tout dire, ses yeux noisette en forme d’amande la toisaient.
Tu n’es pas prête, pouvait y lire Naharya.
Pourtant, il faudrait bien qu’elle apprenne à se faire respecter.
« Tu sens cette brise rafraîchissante, tête d’andouille ? Elle amène un vent nouveau, la flotte changera bientôt de nom ! » s’exclama Riff entre deux soubresauts de rire, osant dire ce que personne n’osait encore affirmer à haute voix.
Naharya perdit son sang-froid et poussa Riff, qui lui rendit la pareille, plus fort, et elle chancela, se rattrapant de justesse au bord du précipice. Un rictus moqueur répondit à la pirouette de la dernière chance qu’elle venait d’effectuer pour leur plus grand divertissement.
Il n’était pas question d’en rester là.
Naharya se baissa, ramassa une pierre et visa la tête de Riff qui offrait un regard de merlan frit à Hun.
En plein dans le mile !
Une exclamation de douleur plus tard, Riff tourna vers Naharya des yeux enragés et se précipita sur elle. N’ayant aucune marge d’esquive, Naharya ne sauta pas non, elle resta plantée là et espéra que son amie, Hun, prenne la parole pour raisonner le molosse qui menaçait de lui coller la rouste de sa vie.
Il l’attrapa et réitéra son geste précédent en la suspendant à nouveau dans le vide.
1 commentaire
Gottesmann Pascal
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Il y a un an