Fyctia
Les jumeaux et l'homme ivre
Zahrédine
Il la regardait s’éloigner, elle avait grandi. Il avait la certitude que son esprit était fort. Zahrédine était pour ainsi dire persuadé d’une autre vérité : Kahina le détestait.
« Merci de m’avoir remplacé pour cette journée, Zahrédine. »
Il avait pourtant assuré aux jumeaux qu’ils se relayeraient nuit et jour pour monter la garde, en réponse à leur escapade d’une journée entière avec les deux sœurs. Anna n’était plus la même depuis, Kahina la couvrait, mais pour combien de temps encore ? Quel élémentaire avait bien pu trouver un chemin dans son esprit ? Si tel était le cas, quelles étaient ses intentions ? De quelle nature était-il ? Rien, il ne savait rien. Cette situation le tourmentait d’autant plus qu’il lui faudrait encore gérer “cet imprévu” jusqu’au retour de la troupe à Ifrin.
« Comment te sens-tu, Demir ?
— Mieux, merci. Tu sais, la journée pour nous, c’est assez compliqué.
Dans le sang des jumeaux, coule celui d’une créature méprisée de tous, encore aujourd’hui. Ceux qui n’en connaissent que les légendes sont heureux qu’elles ne soient que chimères. Les hommes qui les ont un jour aperçues dans le désert sont morts de faim dans un océan de plénitude et d’illusions, aux crochets d’une amante merveilleuse.
Eux, les hommes du désert, les abhorraient autant qu’ils utilisaient — jadis — leurs services. Du temps où leurs villes étaient florissantes et foisonnantes, les ancêtres de Zahrédine et de ses hommes se servaient d’elles et de leur appétit pour débarrasser les rues des humains sans sépulture. Les nuits des lendemains de champs de bataille les attiraient, l’odeur de la mort les attirait.
— Et pour moi, c’est cette mission qui est compliquée. J’avais dit “quelques heures”, pourquoi selon toi ?
— Ce ne sont que de simples humaines… »
Notre avenir…
« Et toi, un descendant. Un descendant inférieur. N’oubliez pas la place de choix que je vous ai donné, à toi et à ton frère, en vous permettant de m’accompagner.
— Merak gère le jour beaucoup mieux que nous, bredouilla Demir dans un espoir de faire se souvenir son chef que son frère et lui n’étaient pas les seuls à avoir profité de ce “semblant” d’élévation sociale.
— Et pourtant Merak est seul, réfléchis-y… »
Et Zahrédine s’éloigna, dégoûté de cet échange. Il n’avait pas pour habitude de dénigrer les descendants des djinns considérés comme inférieurs. Mais ces deux-là confirmaient à merveille les intuitions des descendants supérieurs : on ne se mélange pas entre castes. Entraîner des ressortissants de la caste des descendants inférieurs à devenir des guerriers : quelle idée il avait eue là ! À la Cour, on l’avait moqué. Il avait tenu bon et elle avait cédé. Mais pour l’heure, seul Merak se montrait digne du pari fou que Zahrédine avait lancé aux descendants supérieurs.
Il faut dire que Merak assumait bien plus sa condition. Il se découvrait le visage, en comparaison avec les jumeaux qui, eux, ne se départissaient pas de leur chèche. Ils ne laissaient voir de leur différence que leurs yeux mordorés. Devrim et Demir possédaient cette force qui faisait aussi leur faiblesse : leur unité. Là l’un pour l’autre, ils n’avaient pas eu à ressentir le mépris de la société autant que Merak n’avait eu à le faire.
En conséquence, ils semblaient avoir leur petit univers parallèle, en dehors de l’espace-temps et de la cruauté des autres à leur égard. Moins reconnaissants, ils l’étaient aussi. Merak, quant à lui, vouait à Zahrédine une loyauté sans condition. Ce qui retenait Zahrédine de lui faire part de ses intentions était la déférence qu’il montrait à tous les représentants des Eldine.
« Je veux ton frère à son poste demain sans faute, Demir ! »
Il passa devant Merak, toujours un peu en retrait à cause de son tempérament solitaire, et arriva au feu de camp. Ceux qu’il lui fallait étaient là. Parfait.
«Rhija, Ari, Élia ? Une petite mission, ça vous dit ?
— T'adresses-tu à nos élémentaires, ou à nous ?
— Vous formez des équipes, Élia. Debout, vous six… vous allez aimer ça ! »
Un sourire se dessina sur les lèvres de la guerrière et ses yeux noirs s’assombrirent encore plus pour ne plus devenir que deux billes noires et luisantes. Zahrédine lui rendit son sourire, son élémentaire adorait modeler le sable !
Ils arrivèrent en haut de la colline et observèrent le campement des étrangers.
« Rhija ? Je veux qu’ils dorment et qu’ils se reposent comme jamais. À l’exception d’un seul : celui qui a les yeux vairons, Ari, joue de tes charmes… Il n’y est pas insensible. » Il gratifia la jolie Ari d'un sourire vengeur pour le coup qu'elle lui avait fait à Khizaan. Jouer de ses charmes pour attirer les hommes à leur obéir était le propre des catins et des goules. Elle était une guerrière.
Ari poussa un râle d’exaspération :
« J’en peux plus ! C’est pour en finir, j’espère ! »
Élia pouffa, et poussa sa sœur d'arme pour l'encourager à se lancer.
« Et moi ? » Soupira-t-elle, semblant déjà avoir laissé la place à son élémentaire. Elle avait rencontré ce dernier très tôt, comme Rhija le sien. Et comme Rhija l’était d’ailleurs avec le sien, ces deux-là seront liés à vie. Ils grandiront ensemble et se soutiendront. Lui-même ? Aucun élémentaire ne semblait en vouloir… Il enviait ses camarades.
« Patience… »
Les étrangers partaient se coucher, mais leur cible du soir était ivre. Bouteille à la main et lanterne à l'intérieur de laquelle une faible lueur survivait dans l’autre : il entreprit de se soulager en retrait de leur campement.
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