Fyctia
Le goût de la trahison
« Je devine que quelque chose te taraude. As-tu quelque chose à me dire ? »
Et elle comprit qu'il savait.
Serpent...
« Je n’en suis plus si certaine, finalement. Tu es toujours aussi prétentieux maintenant ? C’est le poids des responsabilités ? Ou… Non, je sais : la satisfaction de commander et de savoir que tu vas être obéi. » Kahina marqua un arrêt, essoufflée par ce qu’elle venait d’accomplir comme effort physique. Presque à bout de souffle, elle continua pourtant sa diatribe de celui qu'elle était censée supporter, tant qu’à faire : « Oui, ça doit être ça ! Ne t'en fais pas, je comprends que ce ne soit pas facile de jouer au petit chef. Après tout, je ne peux pas vraiment imaginer ce que ça fait, moi qui vais sûrement finir en vieille novice toute ratatinée comme Layi… L'avantage, c’est qu’étant donné que je ne fais pas partie de la caste des érudits, je me ratatinerai plus vite ! Quelle aubaine ! Tu ne trouves pas ? »
Jusque-là impassible, Zahrédine laissa échapper un rire franc. Une première depuis le début de ce voyage ! L'espace d'un instant, elle crut revoir celui qu'elle avait perdu.
« Et toi, toujours pas habituée à marcher dans le sable ? C'est difficile hein, le désert ? J’ai connu une gamine qui ne rêvait que de ça ! Visiter les déserts du continent d’Adhamra ! J’ai exaucé ton souhait, je pense. Tu en as même vu plus que ce que tu n’aurais dû, Kahi... »
Elle vint se mettre à sa hauteur, le soleil n’était couché que depuis peu, mais la température avait déjà chuté de quelques degrés. La caresse rafraîchissante que leur offrait l'Urdunaï était la bienvenue après les journées chaudes qu'ils supportaient depuis voilà plusieurs mois. Zahrédine se remit à contempler le désert, un brin amusé.
Que guettait-il ? Ils étaient perdus au milieu de nulle part, et son clan était le dernier parmi les hommes du désert. C’était leur royaume : les siens allaient et venaient en maîtres sur ce territoire que désormais, des gens venant de contrées lointaines tentaient d'apprivoiser à leur tour.
« Vous ne me rendez vraiment pas la tâche facile, vous deux…
— Que veux-tu dire ? On fait ce qu’on peut ! Tu crois que leur compagnie m’agrée, à moi ? Anna non plus n’est pas dans son élément. C’est bientôt fini, je suppose. Ils commencent à avoir récolté un beau paquet de babioles devant lesquelles ils pourront s’extasier une fois rentrés chez eux… Tu peux te détendre ! »
En parlant d’Anna qui n’était pas dans son élément, Kahina éprouva de la jalousie. Sa frangine semblait pourtant s’épanouir alors qu’elle-même dépérissait. C’était le monde à l’envers, et elle préférait tenter de se convaincre que l’ordre des choses n’avait pas changé.
Zahrédine ferma les yeux et inspira. Il les rouvrit en expirant. Il ne s'était pas départi de son sourire :
« Kahi, il y a certaines choses qui doivent rester entre nos mains. Mieux : enfouies et oubliées. Je pensais t’avoir convaincue de la nécessité de me croire. Pourquoi es-tu là ? Je finis mon tour de garde bientôt, et je n’ai pas toute la nuit.
— Tu es un sinistre personnage plein de secrets et de non-dits, Zahrédine !
— Pour m’insulter, donc. Intéressant, je retiens. Tu peux t’en aller maintenant. »
C’était important. Elle était là pour Alim et pour le compte de la Citadelle. Pas pour Zahrédine. Ou en tout cas, pas pour celui qui se tenait devant elle. Et cette pierre blanche qui changeait d’aspect à chaque fois qu’elle l’observait : tantôt parcourue d’innombrables stries d’un noir intense, tantôt plus immaculée que jamais et dépourvue d'imperfection — comme c'était le cas à présent. D’autrefois encore, ces lignes se faisaient plus fines et moins profondes. Elle remonta vers ce visage familier qui avait jadis constitué un de ses premiers repères que leur père les ait abandonnés, elle et sa sœur. C’est à lui qu’elle se confiait ; à lui qu’elle disait vouloir voir le désert ; à lui qu’elle racontait ce qu’elle apprenait dans les parchemins d’Asha. Et puis un jour, il était parti. Ce n’était pas sa faute à lui, mais l’enfant qu’elle alors était lui en avait tenu rigueur.
Elle s'approcha, assez près que pour sentir son odeur naturelle, celle d'une peau du désert : ardente et sauvage. Elle risqua un pas de plus et telle une équilibriste sur un fil, elle se pencha et tendit son visage vers le sien : il tourna la tête pour planter son regard dans celui de la jeune femme qui le fixait :
« Tu es odieux, et si ça ne tenait qu’à moi ? J’aurais tourné les talons ! Mais Gatien et ma sœur étaient dans la salle aux runes. »
Elle tut les étranges capacités qu’Anna semblait démontrer depuis leur escapade à l’oasis. Il manquerait plus que Zaliya ne la prenne encore plus en grippe que cela ne paraissait déjà être le cas.
Elle put lire la satisfaction dans les prunelles sombres de Zahrédine. Il sourit et opina du chef, comme s'il savait d'ores et déjà ce qu'avait coûté son geste à Kahina.
« Merci Kahi, rejoins ta sœur, nous contrôlons la situation. Elle n'est pas en danger. »
Son souffle...
« Elle, et lui ? »
Pas celui d'un frère...
Le visage de Zahrédine se referma et il tourna la tête, brisant le contact visuel qu'elle avait réussi à établir — mais aussi et surtout maintenir — entre eux.
Celui d'un plaisir dont il est facile de se languir.
— Lui, l'étranger ? Oui, bien sûr… »
Il en est encore amoureux, ce sombre idiot !
Soulagée, mais frustrée pour une raison qu'elle n'arrivait pas à identifier, Kahina retourna à sa tente. Une fois couchée, Anna se mit à chuchoter d'un air amusé :
« Quel goût cela a-t-il ?
— Quoi ? » Répondit-elle, agacée.
« La délation, petite sœur... »
La chaleur qui l'avait enveloppée jusque dans sa couche depuis son échange avec Zahrédine avait disparu, et Kahina sentit son sang se glacer pour venir la pétrifier dans la position qu'elle avait choisi, et dans laquelle elle s'endormit.
17 commentaires
Mélodie.O
-
Il y a 3 ans
User210342
-
Il y a 3 ans
Gottesmann Pascal
-
Il y a 3 ans
Suelnna
-
Il y a 3 ans
Mira Perry
-
Il y a 3 ans
Kentin Perrichot
-
Il y a 3 ans
clecle
-
Il y a 3 ans
Suelnna
-
Il y a 3 ans
clecle
-
Il y a 3 ans
Amphitrite
-
Il y a 3 ans