Fyctia

À chaque nouvelle salle de la Citadelle découverte, l'anxiété pouvait se lire sur le visage de Zahrédine et de ses frères d'armes. C'était d'ailleurs lui et Rhija, suivis de Kahina et Anna qui pénétraient les premiers dans ces dernières, prétextant la sécurité des archéologues.

Les guerriers montaient la garde et ravitaillaient le groupe grâce à des membres de leur clan installés dans une oasis à une journée de cheval. En conséquence, l'eau ne manquait pas, mais Zahrédine leur avait conseillé d'en faire un usage raisonnable. Les jours qui suivirent le nouvel avertissement du chef des guerriers, les Arthiens ne burent pour ainsi dire pas. Le manque d'hydratation leur causa des maux de tête et des vomissements qui les forcèrent à arrêter les fouilles quelques jours, le temps de s'en remettre.

Kahina se contentait de raconter des légendes, tentant tant bien que mal de transmettre et de faire aimer l'Histoire de son continent aux archéologues. Ces derniers n'avaient l'air nullement concernés, cherchant uniquement des babioles à récupérer pour leurs propres intérêts. Elle avait le sentiment de ne trouver sa place nulle part. Auprès des guerriers, elle avait l'impression d'être infantilisée. Auprès des fouilleurs, elle se sentait négligée et sous-estimée. Elle avait fait part de ses sentiments à Anna, qui n'avait pas pris la plainte de sa jeune sœur au sérieux :

« Les hommes du désert te verront toujours comme une enfant, et les archéologues... ma foi, tu n'es qu'une étrangère à leurs yeux. »

La remarque avait profondément attristé Kahina. N'était-elle pas comme elle ? Non, avec ses jolies prunelles bleues et son teint plutôt pâle, Anna avait bel et bien sa place parmi ces abrutis finis. Kahina s'était alors contentée de faire la tête, « parce que c'est ce que font les petites filles », avait-elle rétorqué à sa sœur, d'un air boudeur.

Les vestiges jugés intéressants par les archéologues étaient déposés à l'entrée de la cité, sous une tente, afin de les protéger d'une éventuelle tempête de sable. Zaliya se trouvait d'ailleurs bien trop souvent aux alentours de cette tente et un jour, Kahina la vit en sortir avec dans ses mains une lampe. Elle la suivit et découvrit que cette dernière était en train de les cacher ailleurs dans la cité. Alors que Kahina se félicitait intérieurement de ne pas avoir été découverte, Zaliya se releva en soupirant et, sans se retourner, lança un avertissement :

« Jolie fleur, je t'égorge dans ton sommeil si tu racontes ceci à quiconque... Même à mon neveu. Après tout, chacun fait son devoir ici, n'est-ce pas ?

— Je m'en fiche, fais ce que tu veux... »

Zaliya se retourna en souriant pour faire face à Kahina. Elle fut cependant surprise de voir Kahina la fixer d'un air désabusé, avant de rebrousser chemin sans prononcer un seul mot.

Cette femme ne faisait vraiment pas l’âge qu’elle semblait avoir. La vie suivit ainsi son cours durant quelques lunes. Kahina avait également noté un rapprochement entre Anna et son futur beau-frère, mais là encore, elle n'en avait cure. Ce qui n'était visiblement pas le cas de Zahrédine, puisque lors d'une de ces soirées où Kahina aimait se retirer du reste de la troupe, le chef des guerriers la fit mander à ses côtés. Elle avait bien failli envoyer promener Afsir, mais s’était ravisée.

Après avoir jeté un rapide coup d'œil par-dessus son épaule pour voir qui s'approchait, et quand il sut que c'était elle, il se remit à contempler l'étendue désertique qui s'offrait à lui. Kahina fixait Zahrédine dans l’attente de ses paroles, mais rien ne venait. Le malaise grandissant, elle prit la décision de briser la glace :

« Je peux t'aider ? » siffla-t-elle à l'égard de l'homme qui se tenait devant elle.

Il suréleva son bras et de sa main, invita Kahina à approcher pour se mettre à ses côtés, les yeux pourtant toujours rivés sur le désert. Puis de sa voix grave et chantante, bien que d’une distance saisissante, il s’adressa à elle :

« Ta sœur semble s'être trompée de cible. Il serait bon que tu lui rappelles que celui pour qui elle se montre si aimable est en réalité le frère de celui qu'elle doit épouser lors de son retour à Ifrin. » Son ton était las et paraissait torturé. Pourtant, Kahina laissa échapper un rire qui traduisait un mélange d'exaspération et d'ahurissement :

« Et... te mêler de tes affaires pour une fois, à tout hasard ? Jaloux personnage... »

Le visage de Zahrédine, figé quelques instants plus tôt dans l’inquiétude, se fit plus sérieux et déterminé, il tourna sa tête tout en penchant son buste de façon à ce que Kahina se sente contrainte de le regarder dans les yeux :

« Je vais me faire plus explicite, Kahi : demain, tu iras faire une promenade avec ta sœur. Devrim et Demir vous suivront à bonne distance. Fais lui rentrer dans le crâne qu'il vaut mieux pour tout le monde qu'elle prenne conscience de la place qui a été décidée pour elle. »

Zahrédine faisait à Kahina l'effet d'un monstre à l’apparence humaine. La seule note claire présente sur ce sombre individu était la pierre blanche parcourue de stries noires qu'il portait en pendentif et qui, en cet instant qui leur était donné, effectuait un mouvement de balancier sur sa poitrine.

Que t'est-il arrivé, Zahré, pour que tu changes du tout au tout de cette façon ? se désola la jeune femme.

Elle brûlait de lui demander pourquoi le doux jeune homme qu'elle avait connu une dizaine d'années auparavant et dont le cœur faisait désespérément la cour à son aînée avait disparu d'un coup, pour devenir cet être égoïste et froid qui s'adressait à elle. Pourtant, elle se retint et décida de faire ce que tout le monde s'attelait à faire ici, à savoir se préoccuper de sa petite personne.

« Et moi, quelle est la place que ces vieux débris de la citadelle d'Ifrin m'ont choisie ? » Se contenta-t-elle de lui répondre, le défiant du regard.

Il détourna le sien sans répondre, se retournant tout en s'éloignant pour rejoindre les siens. Au moment où Kahina baissait les yeux, dépitée, il s'arrêta et déclara :

« La tienne est encore à l'étude, ne les déçois pas… »

À l'étude, quoi ? Mais ils se moquent vraiment de moi !

Elle regarda en direction d'Anna, laquelle était encore une fois très proche de Sam. À croire que c’était lui, son promis ! Elle soupira en repensant à la mission que lui avait confié Zahrédine.

Comment vais-je m'y prendre pour faire comprendre quelque chose à cette tête de mule qui se prend des airs supérieurs ?

Kahina se retourna pour observer Zahrédine continuer de s'éloigner, mais vit une autre silhouette : Afsir, qui entamait son tour de garde. Elle le toisa du regard comme il le faisait pour elle et sans un mot, elle quitta la colline. Il valait mieux aller se coucher, la journée qui l'attendait risquait d'être plus qu'épuisante, et il lui fallait du repos pour la vivre.