Suelnna La Cité du désert Le désert des Hawafis

Le désert des Hawafis

Les sœurs se retournèrent vers Oleg sans arrêter leur monture pour se moquer, elles aussi, de son apparente détresse. Les autres firent de même, mais eux, et bien qu’ayant alors devancé leur compagnon d’une bonne distance, s’arrêtèrent comme l’avait fait ce dernier. Kahina plissa des yeux pour mieux voir et s’aperçut que dans son énervement, ce dernier suait à grosses gouttes. Il va sans dire que tous avaient oublié l’avertissement que Zahrédine leur avait donné la veille. Ils criaient sur leur ami, le suppliant de continuer en accompagnant leurs supplications de grands gestes qui invitaient leur ami réfractaire à les rejoindre. Soudainement, le bruit habituel du vent et l’air chantant, que le désert offrait parfois à ceux qui le traversaient, disparurent.


« Continuez d’avancer vous deux, et n’ayez surtout pas le malheur de vous arrêter ! » somma Zahrédine aux deux sœurs, faisant usage de sa langue, que les étrangers ne pouvaient pas comprendre.


Pourquoi ne s’exprime-t-il pas en langue commune ? s’interrogea Kahina.


Suspicieuse, Kahina se pencha et remarqua que le sable était plus pâle que ce qu’elle avait alors vu jusqu’alors. Il était presque blanc et de petits tas compacts jonchaient çà et là le sol.

Elle se redressa et toisa Zahrédine : ils n’étaient pas dans l’Urdunaï. Un grondement sourd se fit entendre. Le sable composant les dunes qui les entouraient se décomposèrent lentement et puis plus rien ne bougea. C’est alors qu’un gigantesque geyser de sable jaillit des entrailles du désert. Leur réflexe fut de se protéger le visage pendant que le sable s’écrasait alors au sol, laissant apparaître une énorme colonne de couleur brune, sèche, et dont l’extrémité se recourba, découvrant une gueule pleine de dents longues et acérées, montée en deux rangées.

Instinctivement, les bêtes des étrangers et des deux sœurs accélérèrent, prenant la fuite, tandis que ceux qui les montaient n’eurent pas le temps de réaliser ce qu’il se passait. La chose fondit alors sur Oleg et sa monture, les emmenant avec elle au plus profond du désert.


Le bruit habituel du désert avait réapparu, mais seuls les guerriers le remarquèrent. Les chameaux avaient dépassé les montures des Awsiris, et ces derniers eurent à rattraper au galop les pauvres bêtes encore terrorisées par ce à quoi elles venaient d’échapper. Un épais nuage de bave s’était formé dans leur gueule, un filet s’étalant même sur le cou de certaines d’entre elles. Comme tétanisés, les cinq rescapés s’étaient quant à eux réfugiés dans un mutisme total. Les guerriers les devancèrent en silence.


« Oui… Lequel d’entre vous le suivra ? » Souffla Zahrédine, d’une voix aussi perçante que grave, tandis qu’il les dépassait.


Aucun n’osa répliquer, ils priaient tous en silence que leur monture ne s’arrête plus. Zahrédine reprit, plus caverneux était le ton de sa voix cette fois :


« J’ose espérer que personne n’a “envie” de se soulager… Les Hawafis des sables sont décidément des créatures aussi peureuses que fascinantes ! »


Peureuses ? s’interrogea de nouveau Kahina, avait-elle bien entendu ? Cette chose venait de gober un homme et sa monture en entier, tout en disparaissant elle seule savait où ! Mais Zahrédine semblait déterminé à défendre les monstruosités dont l'une d'elles venait de les attaquer :


— Ils sont aveugles, craintifs, et ne perçoivent que les cibles mobiles. Jamais un groupe comme celui que nous avons ici n’aurait dû être la cible de l’un d’entre eux. Leur mets préféré demeure sans conteste les dunes immobiles, dont ils recrachent les grains de sables après avoir conservé les éléments nutritifs s’y dissimulant. J’ai peur que votre ami ne leur cause quelque indigestion. À présent, je crains qu’ils pensent que nous leur voulons du mal, et ne décident de s’allier pour sortir de leurs galeries afin de débarrasser leurs terres de l’envahisseur.


Mensonge, tu ne crains rien du tout, espèce de fourbe ! souhaitait à son tour lui souffler Kahina.


Le silence qui accompagna la satire du chef des guerriers fut tout autant éloquent qu’il fut lourd de sens. Kahina entendit un murmure à côté d’elle : c’était ce pauvre Armel, mort de peur, qui marmonnait dans sa barbe inexistante. Il n’avait pas réussi à se remettre de la frayeur qui s’était emparée de la bande, et de peur, il n’avait pu se retenir de se laisser aller comme un enfant apeuré l’aurait fait. De honte, il gardait les yeux clos et Kahina détourna son regard, considérant qu’il était inutile de l’embarrasser davantage.


Le reste des Aswiris demeuraient quant à eux impassibles, comme insensibles à ce qui venait de se passer. Le vieux Rhija pressa sa monture pour qu’elle arrive à la hauteur de celle de Zahrédine :


« Nous avons perdu une bête, je le crains. » Malgré l’air inquiet qu’affichait le plus âgé de ses guerriers présents, Zahrédine ne répondit pas. À vrai dire, il ne lui accorda même pas un regard.

Anna claqua la langue contre son palais en guise de réprobation. Kahina rejoignit Zahrédine pour s’exprimer à lui dans sa langue :


« Pourquoi ? demanda-t-elle, l’espoir de recevoir une explication lui manquant. »

Elle s’attendait à être ignorée de toute la superbe du guerrier. Cependant, à sa grande surprise, il lui jeta un coup d’œil et lui déclara :


« Pour qu’ils apprennent et pour que vous appreniez vous deux. J’ai horreur que mes paroles provoquent le même effet que le souffle du vent sur des joues complaisantes. Désormais, lorsque je vous dirai d’avancer, vous vous souviendrez et vous avancerez. Lorsque je vous dirai de vous arrêter, vous vous souviendrez et vous vous arrêterez.


— Mais quel personnage exécrable tu fais, à présent », se désola Kahina à son égard.


— J’ai mes raisons, dit-il en esquissant un sourire.


— J’espère qu’elles sont bonnes, ces raisons, pour oser nous faire traverser le désert des Hawafis alors que ce n’était pas un mal nécessaire. Tu aurais pu nous faire tous tuer !


— Si tu continues de m’écouter, il y a des chances que toi et ta sœur puissiez revoir Ifrin. Simplette que tu es, je ne suis pas là pour satisfaire ces débiles profonds. Ils m’écouteront, point ! »


Elle avait réussi à le faire sortir hors de ses gonds, mais ils étaient tous contraints d’avancer, pas question de s’arrêter pour la sermonner en bonne et due forme.


« C’est bien ce que je disais : Ex - cé - cra - ble », n’hésita pas à renchérir Kahina.


Et elle se laissa distancer par un Zahrédine dont la rage dansait à présent dans le regard. Le reste de la traversée du désert des Hawafis se fit dans le plus grand des silences. Il leur faudrait encore patienter une demi-lune avant que les ruines d’Urduni ne se dévoilent à eux.


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42

42 commentaires

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

Avancer dans le désert avec un guerrier grognon c'est pas un véritable plaisir ! 😅

Hanna Bekkaz

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Il y a 3 ans

Impressionnante la disparition d'Oleg 😰

Elodée

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Il y a 3 ans

Génial chapitre. Bluffée je suis

Suelnna

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Il y a 3 ans

Merci Elodée pour ta lecture <3

Elodée

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Il y a 3 ans

Génial chapitre. Bluffée je suis

Darcash

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Il y a 3 ans

Coup de pouce!

iris monroe

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Il y a 3 ans

un coucou de soutien

KatThibault

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Il y a 3 ans

Je repasserai te lire dès que possible, en attendant un petit like pour débloquer tes prochains chapitres !

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 ans

Visiblement les deux sœurs ont de plus en plus de mal à supporter l'autorité de Zahrédine mais le groupe doit être soudé parce que, dans ce désert, la survie de tout le monde est en jeu.

Pierrot

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Il y a 3 ans

J'adore toujours l'ambiance que tu arrives si bien à retranscrire ! Et les dialogues sont toujours aussi prenant ! :)
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