Fyctia

Ils reprirent la route le lendemain dès les premières lueurs de l’aube. Sam profita de la matinée pour tenter un brin de causette avec Anna :

« Une question me brûle les lèvres, ma chère. Et sans même laisser à Anna l’occasion d’accepter de faire ou non la conversation, il se lança : Pourquoi donc nous affubler de ce nom d’étrangers, celui d’Arthiens n’est-il pas à votre goût ? »

Non, répondit pour elle-même Kahina, qui suivait la conversation, où plutôt le monologue du futur beau-frère de sa sœur. Qu'est-ce que ce garçon pouvait bien parler, un vrai moulin à paroles, d'éloges sur son compte et celui de son illustre frère. Kahina savait déjà que sa famille était riche et que ce dernier était bon cavalier. Il se targuait d'être un bon parti, mais qu'il préférait jouir encore un peu de la liberté qui était la sienne. Dans son domaine, il pratiquait régulièrement la chasse. Non pas qu'il aimait consommer du gibier, mais pour le plaisir. Cette affirmation avait fait frémir Elia, qui avait alors quitté leurs côtés précipitamment. Il faut dire que plus Kahina en savait sur ce Sam, plus elle considérait que, comme ses semblables, ce dernier avait l'air de mépriser toute forme de vie qu'il considérait comme inférieure.

Devant le silence d’Anna, il en rajouta :

« Et notre continent, pourquoi lui donner le qualificatif peu reluisant de ‘vieux’ ? »

Anna se retourna vers sa sœur, les joues arborant la couleur rose qui farde celles des jeunes filles en fleur à qui l’ont fait la cour.

Tu es sérieuse, Anna ?

« Et bien… commença Kahina se décidant à voler au secours de son aînée, c’est parce que votre continent, par les ressources humaines et matérielles qu’il envoie sur le nôtre, nous fait penser qu’il est très développé, et de ce fait, qu’il est très ancien. »

L’explication eu pour effet d’enorgueillir le jeune homme, qui se redressa sur sa monture, adressa une révérence de la tête aux deux sœurs, puis s’en retourna vers ses compagnons. Anna qui toisait du regard sa sœur, finit par lui chuchoter :

« Pas mal… »

Kahina avait menti. Si la raison pour laquelle les locaux appelaient les Arthiens ‘étrangers’ pouvait sembler évidente, celle pour laquelle ils appelaient le continent d’Arthos le ‘vieux continent’ était bien moins innocente. Cela faisait des années que la Citadelle leur refourguait tout ce dont elle ne voulait pas. Qu’est-ce que le Conseil pourrait bien trouver à faire d’un vase de couleur verte ? Rien. Par contre, d’un coffre scellé par une combinaison qui, une fois trouvée, leur offrirait de l’or où l'emplacement d'une cité enfuie depuis qu'avait eu lieu la Grande Tempête, ça le Conseil savait quoi en faire !

Et c’est là que les historiens comme Kahina et Anna intervenaient. Ils persuadaient les Arthiens que le vase était précieux, tandis que le coffre ne l’était pas. Une ou deux légendes autour de ce vase et le tour était joué ! En vérité, la tâche qui incombait à Kahina et Anna ne demandait rien de plus que de la créativité. Cela n'avait rien de glorieux et c'était le côté de la fonction qui plaisait le moins à Kahina : inventer pour tromper, enjoliver pour convaincre.

Mais alors que le soleil en était à son Zénith, la chaleur sembla monter à la tête de ce brave Oleg, qui depuis l’arrière du convoi s’écria :

« C'en est assez ! En réalité, vous voulez notre peau ! Vous nous détestez, et nous le sentons ! Vous nous faites monter des bêtes qui puent, et vous vous réservez les montures les plus gracieuses ! »

Aucun des guerriers ne s’arrêta, ni ne se retourna pour répondre à la provocation. Les autres étrangers s’esclaffèrent sans se retourner non plus, et Gatien réprimanda même son camarade :

« Avance espèce de crétin ! Il fait trop chaud pour ces conneries, tu t'amuseras ce soir ! »

Mais l’homme, dont la voix se faisait de plus en plus nerveuse et stridente, n’en démordait pas :

« Moi, je m’en contrefous royalement de cette expédition, je retourne là où les olives brunes sont sucrées, qui me suivra ? »

Les "olives" en question étaient des dattes, et bien que Kahina l'eut répété à maintes reprises, aux yeux des étrangers, ce fruit miraculeux en apports nutritifs resta une espèce d'olive sucrée. D'ailleurs, sur cette oasis en question, ils s'en étaient donnés à cœur joie lorsqu'il avait été question d'en dépouiller les arbres : de vrais spécialistes.

« Wasiwah l’appelle… S'amusa Merak dans sa langue, elle les aime nerveux.

— Cet imbécile l'a surtout ennuyée, en lui jetant des cailloux dessus ! »

Pour une fois, Rhija s'était montré sévère et avait parlé sans une once d'humour pour ponctuer son timbre de voix vieilli et chantant. Merak ricana de plus belle, mais se tut : ce n'était visiblement pas une journée pour défier la patience du vieux guerrier.

Anna vint se positionner à sa hauteur, lui rappelant que les hommes du désert avaient des croyances inconciliables avec l'esprit de ceux qu'ils étaient censés protéger. Par conséquent, la cohabitation de ces deux mondes ne sera jamais harmonieuse. Les uns ayant peur d'être moqués, les autres étant trop prompts à s'esclaffer devant les certitudes d'autrui.