Fyctia
L'avertissement de Zahrédine
Au cours des premières semaines de leur traversée, ils s'étaient arrêtés maintes fois pour se reposer, profitant au passage des petites oasis qui parsemaient la grande étendue de sable que constituait le désert d'Awsrai. À la grande déception de Kahina, il n'y eut plus d'évènement aussi singulier que ceux qu'ils avaient vécus lorsqu'ils furent accueillis sur celle du vieil ermite Zam, au cours de leur voyage qui les avait amenés d’Ifrin à Khizaan. Enfin, c’est ce qu’elle pensait. Le seul petit incident notable fut celui qui consista à forcer Oleg à quitter une oasis dont il semblait particulièrement avoir apprécié l'hospitalité, bien qu’inoccupée à ce moment-là.
Homme d'une carrure impressionnante pour un étranger, la manière qu'il avait de se comporter faisait davantage justice au comportement d'un mercenaire qu'à celui d'un archéologue. Depuis qu'ils avaient quitté cette oasis vide et sans âme qui vive, il ne cessait d'exprimer sa mauvaise humeur de l'avoir quittée et son désir de la revoir quand cette expédition serait finie.
De façon générale, se plaindre était de toute évidence le passe-temps favori de ces gens. Si Kahina et Anna se plaisaient toutes deux à lire sur leur monture dans la matinée et dans la soirée, les étrangers, eux, râlaient du lever au coucher de soleil. Les hommes du désert qui les accompagnaient ne soufflaient pas un mot tout en prenant bien soin de s'écarter d'eux lors des haltes.
Tout motif était prétexte à un ronchonnement de la part des étrangers. Ainsi, et selon le moment de la journée, il faisait trop chaud ou pas encore assez ; trop de temps s’écoulait entre deux oasis ; Quant à la viande séchée, ils en avaient tout simplement assez. Le pire était peut-être le sentiment d’injustice qui les avait envahis quand les pauvres avaient appris quelles seraient leurs montures : Des chameaux. Depuis le départ, ce sentiment ne cessait de les hanter et ils regardaient non seulement les sœurs, mais aussi les guerriers qui montaient à cheval avec convoitise, ne comprenant pas pourquoi on les faisait monter sur des “choses pareilles”, car tels avaient été leurs mots.
Ils gaspillaient l'eau de leurs gourdes pour se rafraîchir, et ce, malgré les avertissements : « Vous allez éprouver des difficultés lorsque nous aurons quitté le désert d'Awsrai, messieurs. Les oasis dans les autres déserts se font plus rares et l'eau y est un bien précieux ! » Crut bon de les informer Kahina quand elle vit Armel, un jeune homme frêle, mais au visage bienveillant, se vider la moitié du contenu de sa gourde sur la tête.
Ces derniers avaient alors ri et cet homme charmant qu’était Oleg lui avait simplement répondu, sur le même ton qu'aurait employé un père à l’égard de sa progéniture insolente : « On verra, fillette ! »
Zaliya, qui chevauchait non loin d'eux, éclata de rire à son tour devant le mutisme des deux sœurs et rejoignit au trot son neveu qui menait l'avant du convoi. Ce qu'elle lui rapporta, Kahina n'avait pu le deviner. Zahrédine demeurait silencieux depuis qu'ils avaient quitté Khizaan, se contentant d'annoncer le moment des départs des oasis, lequel ne variait cependant jamais : l'aube. Là encore, il se tut et se contenta d'écouter sa tante.
Les autres guerriers n'étaient guère plus bavards que leur chef. La première nuit de leur voyage avait été l’occasion du seul véritable échange que Kahina était parvenue à avoir avec l’un d’entre eux : Rhija, qui était le plus âgé des guerriers. Ce dernier s’était alors assis à ses côtés et avait pris la peine d’expliquer à la jeune femme que la nuit précédente, à l’auberge, et suite à l’incident qui s’était déroulé à la maison close, Zahrédine et ses hommes s’attendaient à être attaqués. C’est pourquoi il avait été décidé de faire croire aux mercenaires que personne ne montait la garde, et que tout le monde était parti se reposer, comme il convient de le faire avant d’entamer une traversée du désert de cette durée.
Les guerriers s’étaient alors tapis dans le noir du rez-de-chaussée de l’auberge, massacrant les mercenaires venus chercher revanche, et qui pensaient avoir l’effet de surprise. Kahina n’avait pas manqué de marquer son dégoût, désapprouvant totalement ce genre de stratégie. Rhija lui avait alors répliqué que son seigneur la réprouvait également, mais qu’il ne pouvait pas se permettre que cette bande d’idiots et leur ambition tombent aux mains des mercenaires, pas plus qu’il ne pouvait se permettre de les perdre, elle et sa sœur. Le vieux guerrier s’en était alors retourné vers les siens et Kahina n’avait pourtant pas jugé bon de relater cette discussion avec Anna, qui était visiblement très occupée à découvrir les mœurs de ceux dont elle rêvait de voir un jour la terre.
Il n’était pas difficile de deviner que cette proximité avec les étrangers pesait sur le cœur et sur l'esprit de ceux qui les accompagnait. Kahina était prête à parier qu'ils seraient plus sereins lorsque la troupe aurait atteint les ruines d'Urduni. Ils pourraient y établir un campement en retrait, et s’occuper du ravitaillement grâce à des membres de leur clan présents sur une oasis à seulement un peu plus d'une journée, au galop, des ruines. Incomberait alors à Kahina et à sa sœur la tâche de faire ce pourquoi elles étaient là : dévoiler pour mieux dissimuler.
Au terme de la moitié d’une lune, lors de l’une de ces soirées où la quiétude du désert se trouvait une fois de plus dérangée par les jeux de hasard des étrangers, Zahredine vint à eux et, après avoir obtenu le silence qu’il attendait, déclara :
« Demain, vous remarquerez que la couleur des grains de sables se sera éclaircie par endroits. Quant à la texture du sol que nous foulerons, vous noterez qu’elle sera plus compacte. Nous aurons alors quitté l’Awsrai, et vous ne vous arrêterez bien entendu sous aucun prétexte. »
— Et si l’envie nous prends de nous soulager ? » Rétorqua Gatien, sur un air de défi, ses petits yeux vairons accentuant son air narquois.
« Étant donné la pudeur que vous affichez au vu et au su de tous ici, et ce, alors que nous nous connaissons à peine, je suis persuadé qu’arroser le sable du haut de votre monture ne vous dérangera en aucun cas ! Désobéissez étrangers et le désert saura comment vous traiter. »
Il s’en alla et ils se mirent tous à rire de plus belle en se moquant de l’avertissement donné, louant l’hospitalité des nomades qu’ils avaient rencontrés lors de leurs haltes dans les oasis. Ce que Zahrédine avait oublié de leur dire, c’est que l’eau se ferait désormais plus rare pour la moitié de lune à venir. Kahina songea un instant à cette omission, était-elle volontaire ? Sûrement qu’elle l’était, car il les détestait.
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Camille Jobert
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