Fyctia

C’est en arrivant au bas de l’escalier qu’elle découvrit le carnage. Elle enjamba tant bien que mal un corps étendu sur les premières marches de l'escalier, le malheureux avait eu la gorge tranchée. Une autre victime s’était vidée de ses tripes sur une des seules tables restées debout. Le reste de ce qui se trouvait être des mercenaires avait déjà été empilé par l’aubergiste. Ils devaient être cinq, six peut-être, à déjà se trouver amassés les uns sur les autres, tels de vulgaires détritus que l’on s’apprête à brûler. Kahina resta muette devant la scène offerte à ses yeux, se contentant de réprimer l’envie de vomir qui la submergeait.

C'est alors que la porte de l’auberge s’ouvrit tout en la sortant de sa macabre constatation. Zahrédine entra, suivi de près par un homme grassouillet et dont les doigts boudinés étaient sertis de bijoux tous plus scintillants les uns que les autres. À la vue du spectacle, ses petits yeux bridés s’écarquillèrent et il regarda Zahrédine, l’air consterné.

« Tu maintiens qu’ils sont venus t’attaquer ici, après avoir défendu l’un des tiens, guerrier ? » S’enquit l’homme qui, sans nul doute, se trouvait être le protecteur de la ville. Le pauvre homme avait dû être perturbé dans sa routine luxuriante du matin.

« Je le maintiens encore plus maintenant que lorsque je suis venu te voir, Grand Maha de Khizaan. » Répondit Zahrédine avec obséquiosité. Tant de déférence de la part de Zahrédine était un fait rare, mais la vanité de l’individu avec lequel il conversait semblait l’exiger.

« Soit, nous vous avons octroyé l’immunité de toute façon. Toi et tes hommes êtes dans votre droit. Mais ne tardez plus à partir, nous vous en conjurons. Votre présence ne fait qu’attiser les tensions. »

C’est sur ces paroles, et suivant un long regard entendu avec Zahrédine, que le protecteur de Khizaan s’en alla, suivi de sa suite de scribes, tous formés à la Citadelle d’Ifrin.

Les Mahas étaient les protecteurs des Cités du Continent d'Adhamra. Leur richesse les amenait à se complaire dans la fatuité. Ils s’exprimaient uniquement en “nous” et tout leur était dû. Ils ne se déplaçaient hors de leurs murs qu'en cas d’urgence, dans la perspective où il ne leur était pas possible de réaliser une constatation du haut d'un de leurs nombreux balcons.

C'était la première fois qu’il était donné à Kahina de rencontrer l’un de leurs représentants, et elle eut à se rendre à l’évidence : ce qui se murmurait sur leur amour pour les fioritures et le cérémoniel n’était pas que pur racontar. La célérité avec laquelle l’affaire du meurtre d’une dizaine de mercenaires, tombés sous les lames de guerriers en embuscade dans un lieu réquisitionné depuis plusieurs jours, témoignait à elle seule du zèle forcené de ces soi-disant protecteurs.

Sous peu, leur chef recevrait une forte compensation pour la perte de ses hommes, dont il ira chercher des remplaçants parmi les bougres qui attendent leur tour pour les rejoindre, ayant délaissé parents, femmes et enfants, dans l’espoir de voir leur destinée prendre un nouveau tournant.

Quand Kahina reporta son attention sur Zahrédine, couvert de sang, ce dernier la fixait.

« Nous partons sous peu, tenez-vous prêtes. »

Et ce furent là les seuls mots qu’il lui adressa dans les jours qui suivirent.

Son accent n'avait plus rien de charmant, glaçant le sang de Kahina aussitôt qu'il eut prononcé ces mots. Oui... Zahrédine était attirant. Cependant, tout comme ceux qui l'accompagnaient, il restait dangereux. La meilleure arme de ces hommes était la sagacité, qu'ils utilisaient à merveille pour se prémunir de la perfidie supposée de leurs ennemis.

Entre ceux qui profitaient d'une tradition séculaire pour se faire respecter et annihiler en toute impunité, et ceux qui cherchaient à sortir d’une condition implicitement imposée : lesquels se trouvaient être les plus fourbes ?