Fyctia
Destinée
Il lui fut répété qu’elle ne devait pas être un poids pour ceux qu’elle accompagnerait le lendemain, mais un support intellectuel non négligeable. N’étaient-ils pas capables de penser, ces guerriers ? s’interrogea Kahina. Elle se souvenait pourtant d’un Zahrédine vif d’esprit et studieux.
Plus tard dans la soirée, sous la lumière tamisée que leur offraient les flammes emprisonnées dans les deux uniques lampes de la pièce, Kahina était couchée et scrutait le visage de Layi. La peau brûlée par le soleil, les traits grossiers, elle n’avait pas dû être en mesure de faire tourner les têtes dans son jeune temps. La vieille domestique, à court de mots, s’était mise à fredonner une mélodie tout en finalisant la préparation du sac de la jeune femme.
« Dis La', est-ce qu’Alim va me trouver un époux, à moi aussi ? », lança Kahina, avec toute la candeur d’enfant qu’il lui était encore possible d’avoir. L'intéressée apporta un point final à la composition du sac qu'elle préparait, et se mit à regarder attentivement Kahina puis baissa les yeux.
« Oh, mon enfant » Soupira Layi d’un air grave, jetant un coup d’œil inquiet vers Kahina. « Tu es à des âges d’être bonne à marier ! éclata soudainement de rire la vieille. Que ferais-tu avec un époux ? Et que ferait-il avec toi surtout ! » Elle riait de si bon cœur qu’elle communiqua son humeur à Kahina, qui se mit à rire aussi. Cette femme était incroyable. Elle avait toujours su faire rire la cadette, parfois même toute une soirée durant.
Mais cette fois, il en irait autrement :
« La vérité est que ta sœur nous sera bien plus utile mariée » Poursuivit Layi d’un air sérieux avant de marquer une pause, pour reprendre de plus belle l'instant d'après : « Elle s’est révélée être une charge et ce, malgré le fait que tu couvres son incompétence depuis des années. Toi, en revanche, tu nous restes plus utile la tête plongée dans les livres et les cartes, qu’à tenter de masquer son inutilité. »
La mine de Kahina se renfrogna. Tout était toujours réduit à une question d’utilité dans cette maison, dans cette ville ! Les flammes contenues dans les lampes faisaient désormais s’agiter des ombres folles sur les murs, signe d’un déclin tout proche de la lumière qui éclairait la chambre.
« C’est tout ? » S'enquit Kahina avec insistance et détermination dans la voix.
« C’est tout… » Répondit simplement Layi, avant d’ajouter tout en se levant : « Les lumières vont s’éteindre, et quand elles s’éteindront…
— Layi… » L’interrompit Kahina. « Ce n’est pas tout », murmura-t-elle.
La domestique ferma ses yeux quelques instants, puis vint s’asseoir aux côtés de Kahina et posa délicatement sa main sur le poignet de celle-ci :
« Ce que je vais te dire, tu l’as déjà plus ou moins compris par toi-même. Mais puisque tu sembles avoir besoin de l’entendre de ma bouche, alors je vais te l’affirmer : lorsque ton père est venu vous confier à Alim, ce dernier ne vous a recueilli qu’en raison du souvenir qu’il avait de votre père, qui fut notre frère de lait. Moi, je vous aime comme mes filles, mais Alim a des devoirs. Sa décision de vous prendre sous son aile et sa promesse à votre père de faire de vous des femmes instruites fut largement critiquée par le Conseil de la Citadelle, mais Alim leur a tenu tête. Votre utilité est primordiale, car vous n’étiez pas supposées les rejoindre et devenir des intellectuelles. » Layi prit les mains délicates de Kahina dans les siennes, calleuses et usées par les années : « Il est trop tard pour ta sœur, elle a choisi sa destinée. Mais il y a de l’espoir te concernant. Dors maintenant, la mission que tu vas entamer demain relève d’une importance capitale. Les guerriers seront ton bras armé, tandis que toi, tu confondras les étrangers dans leurs recherches grâce à ton savoir et ton amour pour les légendes de ce continent. »
Elle ponctua la fin de son monologue par un sourire encourageant, se leva à nouveau, et disparut dans l’embrasure de la porte qu’elle referma derrière elle. Ses paroles eurent pour effet de faire ruminer Kahina pendant un bon moment, désormais engloutie dans l’obscurité de sa chambre.
Ma destinée est donc laissée à l’appréciation d’une assemblée de vieux croulants aux mœurs d’un autre âge… Et puis, quelle destinée ! Finir mariée ou intellectuelle novice toute ma vie durant; courber l’échine sous l’autorité d’un mari ou sous celle du Conseil de la Citadelle. Mais quel savoir au juste ? Tu parles d’un destin !
Et tandis qu’elle rageait contre l’ordre établi, le sommeil l’emporta.
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Ce court chapitre me permets de remercier ceux qui m'ont déjà suivi jusqu'ici.
J'aime planter le décor et mes chapitres sont en général plus longs que 7000 caractères. J'ai donc été obligée de les couper en parties, c'est pour ça qu'il faudra encore quelque chapitres avant de voir de l'action arriver.
N'hésitez pas à me faire part de vos retours !
55 commentaires
Camille Jobert
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Il y a 3 ans
Merixel
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Il y a 3 ans
La Plume d'Ellen
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Il y a 3 ans
Suelnna
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Suelnna
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Il y a 3 ans