Fyctia

Kahina pénétra dans la « cour des invités » après avoir dépassé les deux orangers qui en marquaient l’entrée. C’était l’endroit où les visiteurs se retrouvaient à patienter en attendant que le maître de la maisonnée vienne les accueillir. Et c’est là, juste à côté de la fontaine placée au centre du patio qu’elle les aperçut qui examinaient l’agencement des lieux : les guerriers du savoir ! Rien qu’à la façon dont ils se tenaient et ce qu’ils portaient, Kahina les reconnut.

Les deux hommes, vêtus de bleu nuit et de blanc, étaient chacun munis d’un long sabre recourbé, lequel était lâchement porté sur leur baudrier. Le plus jeune avait gardé arc et carquois sur le dos. Bras croisés, la posture qu’ils avaient adoptée semblait leur assurer la même stabilité que celle des colonnes qui les entouraient. Leur attention se porta immédiatement sur Kahina.

Ils avaient conservé leur chèche et de leur peau basanée, on ne pouvait distinguer que leurs mains ainsi que le haut de leur visage. Parvenir à déceler une quelconque émotion sous leur voile relèverait de l’exploit, mais leur attitude, elle, ne laissait la place à aucun signe de détente.

Leurs montures, occupées à s’abreuver à la fontaine, ne relevèrent même pas la tête, indifférentes à la présence humaine évoluant autour d’eux. Les chevaux des hommes du désert étaient endurants et fiers, mais comme tout être vivant, ils ne rechignaient jamais à se jeter sur la première source d’eau qui leur était offerte après avoir accompli un long voyage.

Trois chevaux, mais où peut bien se trouver le troisième homme ? Kahina observa attentivement les alentours, mais ne vit personne d’autre.

À la vue des deux inconnus enturbannés, Anna ne put quant à elle réprimer un soupir ennuyé. Kahina avait beau admirer ces gardiens du savoir des anciens, ce n’était pas le cas de son aînée. Le royaume des Awsir était le désert et ces derniers ne se montraient en ville que lorsqu’un problème se profilait à l’horizon. Les deux sœurs le savaient. Seuls les chefs de tribus et quelques fils de familles nobles de leur clan venaient vivre à la Citadelle dans leur jeunesse. Leur mission était alors d’étudier ce qu’il leur serait utile de diffuser, à leur tour, auprès de leurs comparses. Les filles avaient cette chance, uniquement si elles se trouvaient être les seules descendantes de leur père.

Le cœur battant la chamade d’excitation, Kahina ne prit même pas la peine de se retourner vers sa sœur pour avoir son avis, salua les deux guerriers de la tête et se hâta de traverser la cour, sans attendre que ces derniers lui rendent la politesse.

C’est avec fracas qu’elle fit irruption dans le bureau d’Alim qui se trouvait être le doyen du musée de la Citadelle d’Ifrin, la ville aux mille civilisations, ou encore et plus anciennement : Ifrin: l’érudite. Ce dernier, ainsi que l’individu mystère, relevèrent la tête en direction de la porte d’entrée. À l’arrivée de Kahina, ils étaient tous deux penchés sur une carte. Le guerrier, un homme au visage noble, pointait de son index un emplacement que Kahina ne put deviner. Alim, qui était assis à son bureau, prit la parole pendant que l’inconnu se redressait :

« Et voici ton alliée pour cette expédition, Zahrédine. Je suppose que tu te souviens de Kahina. Il ne manqua pas d’accompagner ses paroles d’un geste de la main vers l’intéressée. Elle saura quoi faire pour rendre les étrangers confus dans leurs fouilles. Elle parle non seulement leur langue, mais aussi la nôtre, la commune et elle possède certains rudiments de l’ancienne. »

Avait-elle bien entendu ? L’homme qui se tenait devant elle était donc Zahrédine ? Elle fut prise d’une incontrôlable envie de rire. Car le souvenir qu’elle avait de lui d’il y a bien des années, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, prêtait davantage à l’hilarité qu’au respect qu’était supposé inspirer l’homme qui se tenait là. Le guerrier esquissa un sourire tout en la considérant, il arborait la même tunique que les deux autres, à la différence que les étoffes blanches présentes sur son vêtement étaient brodées de fil doré, soulignant dès lors l’importance de son lignage. Il portait à son cou un pendentif au bout duquel était suspendue une pierre blanche à l'aspect laiteux, de forme irrégulière. Tout en fixant Kahina de ses grands yeux en amandes aux prunelles sombres, il s’exprima d’un ton chaud à l’accent chantant, mais pourtant incroyablement distant :

« Puisque le voyage vers Khizaan nous demandera deux jours de route, je t’informerai de ta mission en chemin. »

Kahina ouvrit la bouche pour marquer son accord et nuancer avec le fait qu’elle aimerait bien plus de détails à l’instant présent, mais il détourna aussitôt son regard d’elle pour s’adresser à Alim.

« Sa sœur nous accompagne-t-elle, mon ami ?

— Évidemment, son futur beau-frère fait partie de l’expédition et c’est son futur mari qui la finance ! »

C’est en chœur que le guerrier et l’historienne novice levèrent les yeux au ciel. Alim fit alors signe à Kahina de bien vouloir les laisser. Avant qu’elle ne s’exécute, Zahrédine lui annonça en langue commune et sur un ton autoritaire qu’ils partiraient le lendemain dès l’aube, puis la pria d’en aviser sa sœur aînée. Sans cet accent chantant qui le caractérisait dès qu’il parlait la langue commune, elle aurait presque pu penser à un ordre, ce qui était en réalité le cas. Elle opina d’un signe de tête, accompagné d’un demi-sourire malicieux qu’elle lui adressa, puis s’en alla à la recherche d'Anna, qu’elle trouverait très certainement en train de se prélasser aux abords du bassin de la cour intérieure.