Fyctia
La conteuse et les deux sœurs
Au cœur du désert
Entre les montagnes de pierres
Se cache une cité oubliée
Qui malgré ses richesses inégalées
Fût jadis délaissée pour l'éternité
Assis en cercle autour de la vieille narratrice, les enfants avaient pour certains les yeux rieurs et la bouche ouverte, pour d'autres les lèvres scellées et le regard chargé de questions. Une rumeur disait qu'Asha la conteuse était en réalité une dangereuse sorcière, dont le puissant Conseil des Anciens érudits de la Citadelle en personne se méfiait. Pour les dissuader d'aller écouter les histoires d'Asha, les artisans racontaient aux plus jeunes la légende suivante : « Le grand âge de la sorcière qui conte n'est dû qu'aux pauvres petits qu'elle attrape tard le soir, et dont elle écrase les os dans son mortier pour s'assurer une longévité à faire pâlir celle de la caste des érudits », pouvait-on les entendre prévenir leurs enfants. Ainsi la femme borgne qui faisait office de conteuse le jour, se transformait en sorcière délirante la nuit : créant potions et autres décoctions capables de fléchir la volonté du plus transi des amoureux, ou du plus valeureux des guerriers.
C'est ainsi que beaucoup de gamins issus de la caste des artisans avaient peur de cette vieille dame qui passait son temps libre à raconter des histoires. Lorsqu'elle n'était pas sur la place à dépeindre des bribes du passé, elle était occupée à fabriquer des onguents et autres potions à base de plantes. Aux yeux de Kahina, les affabulations des adultes de cette classe, jugée inférieure par toute la société, n'étaient que des foutaises. En effet, du temps où elle n'était pas obligée de se cacher pour écouter Asha, elle-même avait eu ces regards remplis d'insouciance dans lesquels se mélangeaient excitation et interrogation. Elle aussi avait été effrayée par ce vieux bout de femme desséchée à la magnifique chevelure argentée. Ce seul vestige hypnotisant qui subsistait de la beauté qui fut jadis la sienne, bien qu'aujourd'hui flétrie à jamais, contribuait à rendre vrai le mythe qui l'entourait.
Kahina jaugeait les petites têtes émerveillées dont les prunelles fixaient celle qui, pour l'heure, emplissait leurs esprits de rêves et de magie. Dommage qu'il leur faudra un jour grandir, se désola la jeune femme, adossée à un muret d'où elle pouvait entendre tout ce qui se racontait sur la place. Le moment où untel devra apprendre le métier de potier afin d'un jour prendre la relève de son paternel, où unetelle devra s'appliquer à comprendre comment tisser à la manière de ses aïeuls était proche, pour certains du moins.
Des fils et filles issus de la caste des érudits ? Il n'y en avait guère. Ces derniers n'avaient pas de temps à perdre avec ces sornettes, car la progéniture de ces gens-là constituerait l'élite de la cité d'Ifrin : L'Érudite ! Enfin, seulement une poignée d'entre eux, les autres auront tout juste le droit d'occuper des fonctions moindres, bien que tout aussi nécessaire à la grandeur de leur ville. C'était le cas de Kahina et de sa sœur aînée : Anna. Toutes deux, bien qu'élevées au sein de la caste des érudits, resteraient probablement des novices historiennes toute leur vie durant, à cause notamment de l'incertitude de leurs origines.
Soudain, les questions se mirent à fuser de part et d'autre de l'assemblée des mini-spectateurs. C'était autrefois la partie que Kahina préférait, mais désormais celle qui l'ennuyait le plus. Peut-être justement était-ce parce qu'elle connaissait toutes ces histoires par cœur ? En conséquence, elle considérait qu'elle avait fait le tour des perspectives et théories possibles et inimaginables.
Quel était le nom de cette Cité ?
A l'époque où elle pouvait encore se faufiler dans les ruelles sablonneuses du quartier populaire d'Ifrin, et ce, sans subir les remontrances des servantes de sa maisonnée, Kahina avait été la plus curieuse des enfants de l'assemblée d'alors. Elle avait attiré l'œil unique de la conteuse, qui l'avait un jour entraînée dans la petite bicoque qui lui servait à la fois de maison et de boutique. C'était dans cet endroit, où le désordre semblait être le seul maître des lieux, que Kahina y découvrit moult parchemins, potions et plantes.
Quelles richesses ? Comme celles que les "étrangers" amènent avec eux ?
Et c'est là, dans son antre, qu'Asha la sorcière s'était dévoilée à Kahina : une simple apothicaire. Elle avait d'abord fait la moue, comme une enfant découvrant qu'on lui avait menti, et puis elle avait appris, se prenant d'une passion dévorante pour la flore du continent d'Adhamra.
Dans quel désert se trouve-t-elle, cette Cité oubliée ?
Oui, c'était bien cette vieille borgne à la réputation inquiétante qui lui avait ouvert la voie de l'érudition, et menée sur le chemin qu'elle avait emprunté sans réellement se questionner, celui d'historienne novice du musée de la Citadelle d'Ifrin.
« Kahina ! »
Elle sursauta et fit volte-face pour se retrouver nez à nez avec sa sœur, qui l'avait visiblement trouvée sans peine. L'étonnement d'avoir été prise sur le fait comme la rebelle qu'elle pensait être laissa place à l'agacement, « Anna ! s'exclama-t-elle, faisant alors peser un regard perçant et accusateur sur son aînée. Combien de fois t'ai-je déjà dit que je détestais que tu m'appelles de cette façon ? »
Sa sœur Anna, dont le cœur n'avait d'autre ambition que de procurer une oisiveté constante à son esprit, avait marché tant bien que mal dans les pas de sa cadette. Voilà des années que Kahina tentait de masquer le peu de talent d'Anna pour l'étude des anciennes écritures, ainsi que son désintérêt manifeste pour les affaires du continent. Les yeux de l'intéressée se plissèrent sous l'effet du sourire narquois qui se dessinait sur son doux visage.
« Et toi, sœurette, combien de fois t'a-t-on répété que tu avais passé l'âge d'écouter ces sornettes ? La vieille Asha a terminé son œuvre sur toi, te remplissant la tête de l'illusion de ses voyages, se moqua sa sœur. Crois-moi sœurette, tu n'as plus besoin de cette vieille chouette pour te faire perdre la tête !
— Mais qui parle ! » rétorqua farouchement Kahina, vexée.
Anna éclata de rire puis d'un signe de tête, invita Kahina à quitter son muret pour la suivre.
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Mélanie Lemaire
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