Fyctia
9- Une amie ? pourquoi pas !
Le ciel est gris, chargé de nuages en ce samedi matin. Dire que France m’a traîné en vadrouille dans le Marais. Elle a réussi à m’avoir en me vantant les mérites du musée Victor Hugo (la traite ! Impossible de dire non à cela). Il est 9 heures et je profite des joies de la grasse matinée. Enfin… plus vraiment maintenant qu’une cocotte frappe à ma fenêtre.
– Bonjour Alice, tu es là ? s’écrit Cassandre
Ah les enfants !
J’ouvre les rideaux et la fenêtre en grand pour voir apparaître le minois de la jolie brunette, qui a sur les épaules une cape multicolore. Elle ressemble à une héroïne des temps modernes.
– Eh salut, ma BFF, ça va ?
– Tonton est dans la douche, après il m’amène manger une glace avant mon cours de piano.
– Tu prends des cours de musique ?
– Oui, c’est lui le professeur. Il est très doué, enfin c’est que maman dit. Dis donc, tu as les cheveux tout ébouriffés ?
– Ébouriffés ? C’est un mot bien savant, avoué-je, en passant les mains dans ma tignasse pour en faire un chignon à la va-vite.
– Oui, j’ai appris ce mot dans un livre. Maman répète que je ressemble à tonton, une intello. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais j’aime bien être comme lui !
– Eh bien, ce mot intello, signifie que tu es très intelligente.
– C’est bien ça ! J’adore apprendre des trucs.
Après une courte pause j’entreprends de brosser mes dents avec Cassandre, assise sur le rebord de ma fenêtre à déballer ses innocentes épopées.
– Ma meilleure amie, Nina, a un secret avec moi.
Nous sommes en pleine échange, moi en pyjama avec la brosse à dents dans la bouche quand mon voisin arrive à notre rencontre. Inutile de préciser que je suis mortifiée mais ne le montre pas. Pour une fois qu’il prononce mon prénom, il a fallu que ça soit à mon réveil.
– Bonjour Alice
– Bonjour Théodore, articulé-je tant bien que mal.
Je cours cracher et déposer ma bosse à dents pour revenir discuter avec le bel Apollon qui n’a pas bouger. La conversation s’avère plus dur que je ne le pensais. Il n’est pas très bavard.
– J’ai lu que vous étiez musicien. Sur Google. Non pas que j’ai fait des recherches sur vous. Enfin si. Pour le travail. C’est moi qui m’occupe du festival de la musique à la mairie.
Et voilà… dès que je trouve un homme intéressant, je me mets à débiter tout ce qui passe par ma tête sans filtre. Un peu plus et je serais presque capable d’avouer que je l’espionne.
Du Self-control, Alice !
– …
Pour ne pas arranger mon fichu monologue, le voisin demeure de marbre. Muet. N’aimant pas vraiment ce silence gênant, je me remets à babiller. Ce n’est pas bon signe !
– Sachez que je suis désormais votre plus grande fan. J’ai écouté toutes vos compositions, liké et partagé vos derniers morceaux. Je dois le reconnaître, vous avez beaucoup de talent et il m’est impossible de détester quelqu’un d’aussi doué, surtout si c’est votre voisin, n’est-ce pas ?
– Sûrement, répond-t-il. Cassandre, on doit y aller.
– À bientôt, Alice.
– À bientôt, Cassie.
Je regarde le voisin s’éloigner sans un au revoir. Il est aussi froid qu’un glaçon. Pas même une once d’humour, celle que j’avais cru déceler dans la lettre. Il y a des jours où je me dis qu’à lire trop de livres, je ne sais plus lire les gens. Ce Théodore est tel un ouvrage à la couverture monogramme, sans frivolités, sans illustration.
Décidée à passer outre ce détail, je file vérifier le courrier, sait-on jamais. La lettre du voisin est entre EDF et Orange, un peu plus et j’aurais cru à une autre facture. À la hâte, je cours me réfugier dans mon unique fauteuil et lis la missive :
Chère Alice,
Dans votre lettre, vous êtes bien silencieuse, ça serait une première depuis nos rencontres.
Une amie ? Pourquoi pas. Des présentations sont de rigueur. Que voulez-vous savoir ?
Théodore
À peine la lettre lue, je m’empare de mon stylo préféré (j’en ai plein, rangé dans le même sens dans ma trousse) et rédige :
Cher Théodore,
Je veux tout savoir. Je suis curieuse, vous l’aurez deviné, je pense. Et pipelette, comme Cassandre, votre craquante petite nièce.
Je fais partie des deux tiers des naissances dans le monde. Je née en même temps que ma jumelle, une minute après elle, par césarienne (je ne sais pas pourquoi je le précise). Ce qui fait naturellement d’elle la dominante (à ce qui parait, il y a toujours le dominant et le dominé chez les jumeaux). Elle est en tout point différent de moi. Elle est autant passionnée de musique que je le suis des livres. Elle est plus grande (1m68) contre mon 1m58, je suis blonde, elle, brune. Rory est une fonceuse, moi pas !
Je suis chargé de projets culturels en mairie depuis des années maintenant. Je n’ai jamais vécu ailleurs qu’ici, à Grisy-Suisnes. L’envie est pourtant là, mais je suppose que c’est par peur de l’inconnu. J’aime la sécurité et la tranquillité, d’où ce travail. Pourtant une partie de moi semble attendre d’être réveillée, ma partie créative, celle qui oserait braver les interdits, repousser mes limites pour atteindre mes rêves.
Comment avez-su que la musique était le rêve à poursuivre ?
Sans transition : votre musique me transporte à chaque fois que je l’écoute. Je la mets à fond les ballons maintenant quand je lis un bon roman. Avez-vous un livre favori ? Le mien reste Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Prenez-moi pour une folle, mais je suis plus amoureuse des héros de romans que des hommes dans la réalité, qui souvent, s’avère trop ennuyeux ou décevants (oui, oui d’où mes missives, vous l’aurez deviné !)
Alice
Euphorique et gorgée d’un espoir nouveau, je n’attends même pas pour glisser le courrier dans la boîte aux lettres du voisin. Cet échange épistolaire avec un parfait inconnu s’avère bien mieux que dans les films ! Poldark, pardonne-moi mais ce soir, je t’ai abonné !
Tandis que je rebrousse chemin, la porte du voisin s’ouvre à la dérobée. Théodore me scrute, sans prononcer un mot. Moi, je lui souris franchement :
— Je viens de glisser une lettre, chanté-je ravie.
— Merci, dit-il en évitant de croiser mes yeux.
Les gens qui fuient le regard sont en général des piètres menteurs et des ordures de la pire espèce. Un de mes ex me mentait, il évitait soigneusement de me parler en me regardant dans les yeux. Plus tard, j’ai su qu’il sautait un grand nombre de femmes de son travail, pendant que moi, je lui demeurais fidèle.
Blaise Pascal disait que les yeux sont interprètes du cœur, je me demande bien quel langage les prunelles bleues de Théodore essaye de me livrer. Est-il un menteur qui essaye de profiter de ma gentillesse pour me glisser dans ses draps ?
Sans bouger, le voisin attend que je parte, ce que je ne fais évidemment pas ! Je demeure là, à observer ses futurs gestes, dans le fol espoir qu’il prononce un mot. Au bout de quelques longues secondes (une minute et 20 secondes), il finit par ouvrir la boîte aux lettres, retire mon mot, se retourne, me sourit, brandit la lettre et file chez lui comme un voleur.
J’hésite entre exulter de joie (après tout, il m’a souri) ou m’agacer de son mutisme.
16 commentaires
elia
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Il y a 2 ans
Lucie_lolita_auteure
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
MélineDarsck
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
Là où est ton coeur
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
Clarisse K
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
kiki744
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Il y a 2 ans