Fyctia
7- Au bord des lèvres
Viens me chercher, je n’ai plus de voiture.
Je suis perdue, quel métro faut-il prendre ?
Tu me casses les pieds !
Je t’aime et je ne suis plus fâchée contre toi.
Il pleut, j’ai froid.
Je t’ai laissé les clés de l’appartement dans ta boîte aux lettres.
Je veux un bébé avec toi.
Sushis, ce soir ?
J’ai lavé tes chemises et je les ai même repassées.
Ce sont le genre de messages que j’envoyais à Matthias. Et, je ne sais pas pourquoi, ce matin, un vide abyssal s’est insinué en moi. Bien que je ne regrette pas qu’il soit parti, l’absence peut s’avérer douloureuse. La routine dans laquelle je me suis engluée semble crier à la détresse.
Comme une idiote, je relis nos derniers échanges avant notre rupture. Mon pouce est au-dessus du bouton supprimer. Il faut tourner la page, non ? En un clic, je dis au revoir à une partie de ma vie et me replonge dans le travail. Rien de tel pour chasser la déprime.
Assise au bureau, les dossiers éparpillés autour de moi, je vérifie que j’ai toutes les informations à portée de main. Dans ce métier, j’ai le sentiment d’être un chef d’orchestre, je donne le tempo, trouve les prestataires, coordonne le budget et les moyens pour y parvenir. Il faut que cet évènement soit mémorable pour notre petite ville. Je relis une dernière fois le dossier de presse, il ne manque plus que la photo des deux artistes et je fouille dans mes mails pour faire le glisser-déposer dans keynote. Le nom du dernier me fait tilt tout à coup. Theodore Tremblay. Le voisin.
Avec professionnalisme (et une curiosité dévorante, je l’avoue), je clique son nom sur Google pour faire un résumé de sa carrière. Je fouille son compte Instagram et ne trouve pas de vidéo où l’on voit son joli minois. Que des réels de ses musiques cinématographiques (qui au passage sont sublimes) où l’on voit ses grandes mains (de très belles mains d’artiste, très masculines). J’apprends de lui qu’il est franco-canadien, trentenaire et a fait des études dans la vidéo, la musique, évidemment. Sur son avant-bras, il a un tatouage d’une montagne (que j’ai vu une bonne dizaine de fois sur les réels où il montrait un bout de lui).
Agitée, je ne parviens plus à me concentrer de la journée et endure toutes les peines du monde à finir ce dossier de presse dans les délais impartis.
Durant la pause, je montre à France la lettre du voisin, celle qui m’a tourmentée durant toute la journée de repos (elle n’a pas été reposante, du coup). J’ai nettoyé de fond en comble mon appartement pour digérer la missive de mon presque-plus-ennemi.
Amusée et avec un air de conteuse d’une autre époque (ce qui lui va à ravir), ma collègue se met à la lire :
Chère Alice,
Je suis sincèrement navré que nous ayons débuté notre voisinage sur de mauvaises bases. Loin de moi l’idée de paraître impoli, surtout envers vous. J’ai durant mon enfance appris les règles de politesse, croyez-moi ma mère est tout ce qu’il y a de plus français, elle n’a pas failli à son devoir. Vous serez ravie d’apprendre que c’est madame Pelletier, votre propriétaire (d’ailleurs, elle ne tarit pas d’éloges à votre sujet).
Il est vrai qu’un bonjour ne tue personne. En ce qui me concerne, il est difficile de m’arracher les mots de la bouche quand je suis face à des inconnus. Ce qui, je l’espère, éclairera au mieux mon étrange comportement. Je suis plus à l’aise avec les mots sur le papier. N’allez pas croire cependant que j’ai écrit la lettre d’une traite.
En ce qui concerne le volume de la musique, je ne pourrais malheureusement pas le baisser, car j’enregistre des musiciens dans mon studio. Sachez toutefois que mon projet d’insonorisation va bientôt démarrer, ce qui permettra à « madame » d’avoir son repos tant désiré.
Pour ma part, je suis triste que vous puissiez juger quelqu’un sur les apparences. Je le suis encore davantage que vous me classiez dans la catégorie masculine que vous exécrez visiblement. N’avez-vous jamais entendu : « on ne juge pas un livre à sa couverture ? »
Pour terminer, la raison pour laquelle j’ai « massacré » les fleurs, n’appartient qu’à moi seul.
PS : ma nièce Cassandre ne parle que de vous et vous avez dû le remarquer, elle est très volubile. Elle dit que vos cheveux sont de la même couleur que les rayons du soleil.
Bien à vous,
Théodore
– Eh bien, dis donc, quelle plume ! Sa timidité le rend encore plus intéressant et tellement sexy ! Une sorte de Poldark de ce siècle, taciturne et mystérieux.
– Je suis dans un sacré pétrin !
– Mais non ! France est là (elle parle d’elle à la troisième personne, ce qui m’arrache un sourire) Je vais t’aider à lui répondre !
– Je ne compte pas lui écrire.
– Théodore, ça sonne franchement bien !
– Noooon ! Et je te répète que je ne vais pas lui écrire. J’ai déjà l’air d’une voisine cinglée, pompette, doublée d’un penchant pour l’espionnage. Ajoute à cette longue liste que maintenant je passe pour une fille superficielle. Tu as remarqué comment il a repris ma lettre précédente point par point pour me démonter à petit feu ?
– Mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, Alice ! Ça ne prouve rien, si ce n’est qu’il est très pragmatique et organisé. J’aurais fait pareil. Quoi de mieux que cet échange épistolaire pour t’excuser comme il se doit. Qui sait, ça te fera peut-être du bien !
Mon cerveau fonctionne à pleine régime. Dire que j’ai cru lire le voisin comme dans un livre ouvert.
– Pourquoi est-il si…
– Muet face à toi ? complète France
– Oui, muet avec moi en tout cas. Avec sa nièce, il est différent. Sûr de lui.
Je me questionne. Je ne comprends toujours pas son air farouche dès je l’approche.
– Tu lui fais peur, pouffe-t-elle franchement, tu jacasses trop !
– Sûrement oui.
– N’empêche que c’est un sacré changement comparé à tous ton ex et leur égo démesuré.
– C’est sûr ! Mais je ne compte pas me mettre en couple avec Théodore.
– Qui parle de te mettre en couple ?
– Je vois où tu veux en venir, mais non merci. J’ai fait vœu de célibat !
– Ce soir, on file flâner à Paris.
– Mais on est que mardi !
– Et alors Alice ? Tu es jeune, je suis célibataire. Promis, je garderai la bouteille loin de toi, petite ivrogne ! Je réserve au restaurant Le Goût du bonheur. Il parait que leur chef est sourd mais très bel homme !
Elle ne me laisse aucun choix et réplique :
– Bon, puisque c’est réglé, je file prévenir ta mère.
Et sur ces aveux, France me laisse face à ma feuille blanche. Suis-je taillée pour écrire à mon voisin (impressionnant de par sa taille) sur qui j’avais faux sur toute la ligne (intelligent et doué avec ça !) ?
Que dire pour rattraper la boulette ? Quoi écrire pour ne pas ajouter un autre défaut à mon tableau ? Je m’empare de mon crayon à papier et commence ce brouillon par un…
Cher Théodore…
Jusque là, rien de bien hasardeux.
28 commentaires
Craouch Mane
-
Il y a un an
Aurélie Benattar
-
Il y a 2 ans
celira
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
kiki744
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
Katie P
-
Il y a 2 ans
Là où est ton coeur
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
Laeticia LC
-
Il y a 2 ans