Fyctia
6- Une désespérée
J’ai mal au crâne. Je ne sais plus si j’ai déjà pris un aspirine et un café, je me souviens mettre brossé les dents. Je suis dans le bouillon, me rappelle être sortie hier soir, avoir beaucoup bu, trop de vin pour noyer mon chagrin, débiter des âneries sur mon voisin, mon voisin trop canon et silencieux que c’en est exaspérant, mon ennemi que j’espionne et qui s’avère être un artiste, un pianiste avec des mains d’or et un air mystérieux et à la fois maladroit, pourquoi est-ce qu’il refuse d’aligner deux mots à la fois avec moi, est-ce qu’il me trouve étrange, j’ai avalé cul sec des verres pour ne plus le voir dans mon esprit jouer devant l’Opéra de Paris, j’ai écouté sans vraiment entendre France parler, elle m’a déposé et c’est le trou noir. Je m’endors à nouveau.
Le soleil filtre dans la chambre, j’ai oublié de fermer les volets. Quand mon corps essaye de s’extraire du lit, je remarque que je suis encore vêtue de ma robe rouge, mon mascara a coulé et mes cheveux sont en bataille. Sacré soirée ! Je file me doucher et me débarrasser de cette gueule de bois. Tandis que dix minutes plus tard, je m’habille, je remarque une petite tête brune collée à ma baie vitrée. La fillette doit avoir cinq ou six ans (une petite espionne) et tente sans vergogne de regarder chez moi. Plus amusée qu’outrée, j’ouvre la fenêtre pour épancher notre curiosité à toutes les deux.
– Bonjour, t’es qui ? demande la frimousse aux grands yeux marrons et aux boucles brunes.
– Euh, Alice et toi, t’es qui ?
– Cassie. J’ai eu 5 ans hier. Bye 4 ans, j’adore mon âge, enchaine-t-elle, en dansant sur elle-même.
Je ne peux pas dire autant du mien, 32 ans, sans enfants, sans copain.
– Je peux t’aider, Cassie ? Tu cherches quelqu’un ?
– Je ne suis pas censée être là, murmure-t-elle pareille à une confidence.
–Motus et bouche cousue, dis-je en joignant le geste à la parole.
– Euh, ça veut dire quoi ?
– Eh bien, que je ne révèlerais pas ton secret.
–Ah dans ce cas, ça fait de nous des BFF ? Déclare-t-elle avec sérieux
– Une quoi ?
–Ma sœur dit que les BFF Best Friend Forever c’est quelqu’un qui garde les secrets des autres. Alors, tu es ma BFF !
Si c’était si simple !
–Ok !
Cassie me tend son petit doigt pour que signer notre accord.
– Et sinon, tu as besoin de quelque chose en particulier pour coller ton nez à me fenêtre ?
Sans préambule, la fillette demande :
– C’est toi la voisine qui a envoyé des lettres à mon oncle ?
– Des… lettres ?
Hier soir.
J’étais soule. J’ai cru que j’avais mis les lettres dans ma boîte aux lettres. Oh non !
— Ton oncle… il… il les a lues ?
— Je crois que oui. Il a mangé des pains au chocolat avec moi au petit-déjeuner et je voulais qu’il me lise une histoire, mais il a dit qu’il était trop occupé à lire les lettres de la voisine.
— Oh non non non non ! Il a dit quelque chose ?
— Il était super silencieux pendant la lecture mais il a chuchoté plusieurs fois : pauvre fille ! Alors, c’est vrai que tu es pauvre ? Tu n’as pas d’argent ? As-tu besoin que je te donne des euros ? J’en ai quelques-uns dans mon sac Barbie. Si tu veux, je peux demander à mon oncle de t’acheter du pain, la boulangerie lui appartient. Ce qui fait, qu’il est riche, enfin, je crois, c’est ce que maman répète !
Je suis remontée à bloc. Contre moi. Contre ce voisin crétin.
— Non, Cassie, je ne suis pas pauvre. Juste… désespérée.
— Ça veut dire quoi désespérée ?
Oh mon Dieu, ce qu’elle est piplette !
— Euh, ça signifie qu’on… hum… on ne croit plus en rien et on très très triste. On pleure beaucoup et souvent.
La gamine écarquille des yeux, laisse tomber les mains le long de son corps menu et s’exclame :
— On ne croit même plus aux glaces et aux bonbons ? Parce que quand moi, je suis triste, une crème glacée, ça m’aide à aller mieux !
— Oui, voilà !
— Alors, en ce moment, maman est désespérée parce qu’elle passe son temps à pleurer et refuse même de manger des glaces au chocolat.
— Tu disais quoi à mon oncle Théodore dans les lettres ?
Il a un nom, ce voisin de pacotille ! Théodore. Ce prénom va avec sa tête !
— Je disais…
Que le ciel m’engloutisse ! En plus d’être une cinglée, espionne et ivrogne, je suis une désespérée à la langue acérée. J’aimerais déguerpir mais la voix de mon voisin raisonne dans la maison.
— Cassie, Cassandre tu es où ? Ne joue pas encore à cache-cache avec moi, hein ?
Il est en approche, sa grande silhouette avance vers la fenêtre, il ne voit pas encore mais dès que j’entre dans son champ de vision, il se fige. Toute sa démarche assurée s’effrite. Il baisse la tête, ne prononce plus un mot, à croire qu’il a peur de moi.
Décidée à récupérer mes lettres avec dignité, je relève le menton, le foudroie du regard et lance un :
— Bonjour Théodore (enrobé de douceur), je suis navrée pour les lettres. Une erreur de ma part, j’étais un peu pompette hier soir (sourire aux lèvres).
— …
Comme il demeure muet comme une carpe, la colère s’empare de moi.
— Vous voulez bien me les rendre ? (cette fois, je ne suis pas douce et souriante)
— Non.
Il a fini par me regarder, s’adresse à sa nièce comme si je faisais partie du décor, une plante verte :
— Cassandre, il faut rentrer ma chérie. Je dois te déposer chez ta maman.
— Au revoir Alice. À bientôt ! s’écrie la fillette
— Au revoir ma nouvelle BFF !
J’observe mon voisin soulever sa nièce comme si elle était un poids plume et la faire entrer par la fenêtre. Il m’adresse un regard fugace avant de disparaitre.
Sur sa table, je les vois. L’enveloppe déchirée. Mes lettres. Toutes ouvertes. Éparpillées près de son café et des miettes de chocolatine. Les preuves de son affreux crime.
C’est cela d’avoir un voisin si proche de sa fenêtre. Si les rideaux ne sont pas tirés, je peux avoir l’impression d’être chez lui et lui, chez moi.
Maintenant, il ne me reste qu’à écrire une lettre d’excuse pour ne plus avoir l’air lamentable. Mais bon sang, qu’est-ce qu’on écrit après avoir insulté un homme qu’on ne connaît, ni d’Adam, ni d’Ève ?
Cher voisin,
Ces lettres n’auraient jamais dû atterrir dans vos mains. Elles ne vous étaient pas réellement destinées.
Cher voisin,
Je suis navrée de vous avoir insulté, en même temps, vous ne me facilitez pas la tâche !
Après avoir ingurgité mon second café (avec du lait de coco), j’écris ma troisième tentative de lettre :
Cher voisin…
La voisine cinglée vous présente ces plus sincère excuses !
Épuisée, je décide de filer faire une sieste après avoir glissé une version quatre dans la boîte aux lettres du voisin.
Cher voisin,
Ces lettres n’auraient jamais dû atterrir dans vos mains. Elles ne vous étaient pas réellement destinées. La cinglée vous présente ces plus sincère excuses !
À mon réveil, quelle n’est pas ma surprise de trouver dans ma boîte aux lettres une missive signée Théodore Tremblay.
Chère Alice…
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Là où est ton coeur
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Davina FÉRON
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Rose Foxx
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Katie P
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Fanny, Marie Gufflet
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Fanny, Marie Gufflet
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kiki744
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Fanny, Marie Gufflet
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