Fyctia
Mille raisons de sourire
Après ma prise de tête avec Matthias, je broyais du noir concernant mes échecs sentimentaux. Maman m’a répété ce refrain « Alice, la vie te donne mille raisons de sourire, ne lui donne pas mille raisons de pleurer pour un garçon qui n’a rien à faire de toi ».
Voilà pourquoi, ce samedi soir, c’est virée entre filles à Paris ! L’âge de notre groupe est pour le moins surprenant : France 58 ans ; ma mère, la doyenne, 60 ans ; Romy et moi, la trentaine passée. À part ma jumelle, on est toutes célibataires et je suis ravie de voir maman se remettre du décès de papa.
Pour l’occasion, j’ai déniché au fond de l’armoire la robe rouge. Je l’avais achetée en soldes aux galerie Lafayette, elle m’avait couté un rein, mais elle me donnait l’impression de régner sur le monde. La coupe empire met en valeur mes hanches, le décolleté est parfait et ce rouge coquelicot fait ressortir mes mèches blondes et miel. Fière de moi, je ferme la porte d’une main et de l’autre, j’ajuste la lanière de ma chaussure.
Je souris à entendre le Klaxon tonitruant de France, une façon bien à elle de dire qu’elle est arrivée. Fidèle à elle-même, elle est renversante. Ma mère et Romy me saluent rapidement, en pleine discussion sur sa grossesse.
Nous voilà en route pour Paris sur la N104, chantant à tue-tête un air de Beyoncé. Comme à l’accoutumée, tous les fous du volant sont de sortie sur l’autoroute en direction du Quai de Bercy. C’est le festival des Klaxons, des queues de poisson, des protestations de France qui ne se laisse pas apeurer pour si peu. Moi, comme à chaque fois, je frise la crise cardiaque !
Au bout de 49 minutes de trajet, on se gare enfin dans le parking des Galeries Lafayette Paris Haussmann. France a une carte de fidélité et elle fait tout son shopping ici, autant dire qu’elle fait chauffer sa carte bleue !
— À nous de jouer les filles, s’écrit-elle avec joie.
— On flâne dans les rues avant de se rendre au Pink Mamma ? demandé-je avec espoir.
— Évidemment. Je me suis garée exprès à 16 minutes à pieds du fameux restaurant.
— France, tu n’as aucune pitié pour mes pieds, soupire ma mère qui n’a plus l’habitude de mettre des talons.
L’architecture des rues de Paris me charme à chaque fois. Nous longeons l’élégant boulevard Haussmann avec ses remarquables bâtiments et faisons un détour obligé au Palais de Garnier. On croise de drôles de spécimen ici. Un vieil homme pousse son caddie sur le trottoir, une dame qui nous interpelle pour tester la crème adoucissante des mains (vendue au magasin quelques ruelles plus loin). Un couple se dispute.
Mes yeux sont attirés par une entrée flanquée de deux cariatides, un aigle déploie ses ailes vers le ciel, j’aimerais aussi pouvoir déployer les miennes.
Arrivés devant les escaliers, une dizaine de touristes chinois nous bousculent pour se prendre en photo.
Trois fillettes dansent au son d’un piano à queue posé sur le bitume. Les notes raisonnent au milieu du brouhaha. Comme à chaque fois, je suis médusée par ce genre de musique, de celles qui font voyager. Le pianiste est de dos, il joue accompagné d’une violoncelliste et leur duo attire les badauds. France fait le tour, smartphone en main pour filmer le spectacle. Au bout de quelques minutes, elle mouline des mains pour que je la rejoigne. Ce que je fais, évidemment ! Ma collègue n’est pas le genre de femmes a essuyé un refus.
— Tu l’as remarqué ? questionne-t-elle
— Euh… non !
Sans préambule, elle prend mon menton de ses doigts rouge carmin et tourne mon visage vers le musicien. Je suis sans voix.
Le voisin.
Au même moment, les yeux de ce dernier croisent les miens, écarquillés de surprise. Avec politesse et discrétion, il me fait un hochement de la tête. Son regard est encore rivé sur moi tandis que ses grandes mains cavalent avec une grâce infinie sur les touches du piano. Une éternité semble s’écouler sans que ni lui ni moi n’osons rompre cet instant. Mon cœur a des soubresauts désordonnés dans ma cage thoracique, j’en oublie presqu’il est de glace.
Je ne baisserais pas les yeux, la première !
La tête plus haute encore, je me dresse pour qu’il admire (je l’espère) ma tenue (c’est pas tous les jours que je m’habille de la sorte). Du coin de la bouche, j’esquisse un sourire qui se veut vengeresse et enchanteur.
Puis, maman se plaint de ses pieds qui font mal. Le moment est brisé. Je ne peux pourtant pas bouger d’un pouce, à présent médusée par les artistes.
La musique a redoublé d’intensité, le musicien est transporté par la mélodie (il ne m’accorde plus aucun regard), la violoncelliste habitée par son talent, se dandine de droite à gauche, au rythme de son archer. Ensemble, ils racontent une histoire dont seuls eux détiennent les secrets. C’est à la fois passionné et dramatique. Je ne peux m’empêcher de me questionner sur la nature de leur relation. Sont-ils amants ? Qui aurait dit que le voisin froid comme un iceberg avait une âme aussi poétique ?
J’aurais tellement aimé avoir ce don pour la musique, j’ai fait de la danse classique durant des années.
— Je commence à avoir faim, moi. Et si on allait se déguster ces fameuses pâtes à la truffe ? supplie Romy, au bord de l’évanouissement. Je suis enceinte et je ne supporte pas d’avoir le ventre vide trop longtemps.
— Oui, oui, allons-y ! dis-je pour sortir de cet enchantement.
Nous nous installons au dernier étage du Pink Mamma sous la véranda où poussent du lierre au plafond de verre. Assise sur le fauteuil fleuri, je déguste mon premier verre, feignant d’écouter les filles, mais tout mon esprit est obnubilé par le voisin. Seule distraction, le menu. Comme ma mère ne tient pas l’alcool, je me charge de finir son verre de rosé. Elle me fait de gros yeux.
— C’est pour mieux digérer les pâtes, c’est connu, maman, le vin est bon pour la digestion !
— Ah bon ? S’étonne-t-elle
Romy n’est pas dupe. Je ne suis pas une fêtarde, mais quand je sors, j’ai tendance en cas de coup dur, à boire un peu trop. Là, je ne sais pas si le combo voisin + Matthias en un week-end, mais ça a dû faire exploser mon quota de résilience. Quand minuit passée sonne enfin, France me dépose chez moi. J’ai les jambes qui chancellent, la parole facile et je n’ai pas les yeux en face des trous.
Devant les boîtes aux lettres, je croise mon voisin, beau comme un Appollon rentrer chez lui, tout frais. Il m’accorde un regard de pitié.
Normal, doit-il penser, la pauvre voisine en plus d’être cinglée et espionne, est aussi une ivrogne !
Il m’agace davantage. Pour me soulager l’esprit, je pense à maman et à son conseil des lettres. Ça tombe bien, j’ai les cinq lettres écrites aux hommes dans mon sac. Une habitude que j’ai pris de les avoir sur moi pour soulager mes élans de colère sur le papier.
— En avant toute, clamé-je. Ce soir, Alice, tu seras libérée. Comme l’aigle, tu vas déployer tes ailes !
Mes mains assurées prennent l’enveloppe et d’un geste décidé, je glisse le tout dans la fente de la boîte aux lettres. Mon sort est scellé !
9 commentaires
Davina FÉRON
-
Il y a 2 ans
Mélia MC
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
Katie P
-
Il y a 2 ans
Rose Foxx
-
Il y a 2 ans