Fyctia
3- Purger ma colère
Le soleil est au rendez-vous et ça fait un bien fou de sentir les rayons réchauffer ma peau après ces mois de grisaille. Je suis chargée de projets culturels en mairie et depuis une heure, je parcours les fiches techniques des divers lieux proposés pour de notre prochain évènement ce 21 juin.
En quête d’une pause, j’ouvre la fenêtre, la brise fraîche amène avec elle un visiteur des plus appréciés : un papillon bleu et vermeil se pose sur mon bras dénudé. Je m’émerveille de voir ses ailes si fragiles sur ma peau, sa trompe qui me chatouille. Je dois être sucrée comme le miel et acidulée comme l’orange pour qu’il daigne poser sur moi ses pattes. Va-t-il me butiner ? Intriguée, je veux cueillir ce moment. J’avance doucement ma main libre pour saisir de le téléphone portable. Je ne sais qui de nous deux est le plus surpris, l’insecte déploie ses ailes et s’envole loin de moi. Ainsi l’instant fugace s’efface.
Mon regard dérive dehors, une silhouette d’homme que je reconnais fort bien passe devant les fenêtres fumées. Le voisin s’arrête devant la mairie, ses yeux parcourent les alentours, il fait quelques pas en avant, s’immobilise à nouveau, quand un vieil homme du coin le salue de la tête. Le traite ne réagit même pas.
Quel impoli !
Telle une statue, il est figé dans ses pensées. Je serai encore en train de le détailler si Claude François ne s’était pas mis à chanter « Le lundi au soleil ». C’est maman qui m’appelle en FaceTime.
— Allô maman…
— Allô Alice, chuchote-t-elle, j’ai besoin de toi.
— Pourquoi tu parles à voix basse ?
— Parce que j’ai besoin de ton aide, j’ai eu un ordinateur et je ne sais pas pourquoi tout est bloqué !
Elle inverse le sens de la caméra pour que je puisse voir son écran. Je vois des tonnes de dossiers ouverts et d’autres applications.
— Maman, je crois savoir pourquoi ça beug. Pour commencer, tu peux fermer toutes les fenêtres.
— Ah ok…, dit-elle comme si elle ne me croyait pas.
Ce que je vois ensuite relève de l’incroyable. Maman se lève avec son téléphone et ahurie, je l’observe qui ferme les fenêtres. Je ne me retiens pas de rire.
— C’est bon, mais je ne vois pas en quoi les courants d’air y sont pour quelque chose, Alice !
— Mais non maman, les fenêtres de l’ordinateur ce sont les dossiers ouverts. Si tu en as trop, parfois, ça fait ralentir la machine !
Je lui explique les rudiments de l’informatique, elle prend des notes dans son carnet (maman et ses carnets). Sur le point de raccrocher, maman revient à la charge :
— Attends, je sais que tu n’as pas envie de revoir Louis, mais sache qu’il a grandement apprécié te rencontrer.
— Merci maman, mais pour l’heure, je suis loin d’avoir envie de mettre en couple. Voire jamais en fait. Je n’attire que des abrutis !
— Au fait, j’ai trouvé dans mon livre de psychologie (oui, parce que maman lit des toooooonnes de livres de développement personnel) une solution quant à tes problèmes concernant les hommes.
— Ah oui ?
— Il te faut écrire une ou plusieurs lettres de façon symbolique au genre masculin. Comme ça, à chaque fois que tu te sens en colère, tu en écris une.
Son plan me parait insensé, néanmoins cela correspond tellement à sa personnalité. Je tiens d’elle son grain de folie, sauf pour son sens de l’aventure, ma jumelle a dû l’avaler quand on partageait son giron.
— Et ensuite, je fais quoi des missives ?
— Quand tu sens que tu as passé le cap de la colère, tu les glisses dans ta boîte aux lettres comme si le Ciel te retournait une faveur, prête à aimer de nouveau.
Son idée spirituelle m’arrache un sourire.
— Bon, je file, murmure-t-elle à nouveau, le patron est là. Ça ne rigole pas dans le service des surclassés !
Sans plus de cérémonie, elle raccroche et je réfléchis à cette chimère. Du grand n’importe quoi !
À nouveau, je plonge le nez dans le dossier intitulé Festival de musique. Il y a deux mois de cela, j’avais constitué une liste d’artistes en vogue.
Après avoir épluché les noms sélectionnés, je m’attèle à envoyer le contrat avec la programmation à chacun de ceux qui m’ont répondu. Ensuite, j’envoie mon mail type pour relancer les deux musiciens issus de la région qui n’ont pas daigné me répondre (des hommes, évidemment !).
— Eh salut, me lance ma collègue France, tu as vu le nouveau propriétaire de la boulangerie ?
— Je ne crois pas, non !
— Miam ! J’en ferai bien mon 16 heures ! Un bel homme de ton âge, la trentaine, l’air mystérieux. Le maire l’a reçu pour parler affaires, je peux te dire que toutes les femmes de la mairie l’ont dévoré des yeux.
Serait-ce mon voisin ?
— Par hasard, il ne serait pas du genre grand, cheveux châtains, bourru et antipathique.
— Oh oui avec des yeux bleus intenses et une allure élégante, comme on n’en trouve plus de nos jours, sauf pour Poldark, bien sûr !
France et moi partageons ensemble notre amour pour Poldark. Mon amie de 58 ans m’a initiée (ou corrompue, ça dépend du point de vue, car à présent, mon idéal masculin, se situe au 18 ème siècle) à la série sur Netflix. Ma collègue, qui est la secrétaire du maire, a un style vestimentaire digne d’Emily in Paris. La mode parisienne n’a aucun secret pour elle et en plus d’avoir un sacré tempérament (n’allez pas lui chercher des noises, elle est ceinture noire de karaté), elle a un sens de l’humour très fin.
— Attends, chut, il arrive par là ! me chuchote-t-elle, en faisant les gros yeux.
Toujours assise à mon bureau, je me dévisse le cou pour observer le bellâtre (je dois le reconnaître) longer le couloir en pleine discussion avec Mr. le Maire, plutôt un monologue car le voisin ne fait que dire quelques mots par-ci, par-là. France et moi sommes trop loin pour entendre leur conversation, mais on peut admirer le beau profil du spécimen. Ils se sont arrêtés pour se serrer la pince et, contre toute attente, le traite tourne le visage et croise mon regard. Prise en flagrant délit de voyeurisme, mes joues virent au rouge. À ce moment même, les hommes finissent leur discussion.
— Il passe par là, murmure France, toute excitée.
— Obligé, la sortie se trouve à côté de mon bureau.
Attention, collision dans 20 secondes.
Les yeux bleu océan du traite rencontrent les miens marron chocolat. Avec toute la lueur de défi qui m’abrite, je m’exclame :
— Bonjour, cher voisin !
Mais pour toute réponse, ce dernier se contente de hocher la tête, mal à l’aise (ou trop fier, je l’ignore) avant de nous laisser ma collègue et moi bouche bée.
Soudain, l’idée de la lettre de ma mère ne me semble plus si saugrenue. Dès que France me laisse seule, je m’empare d’une feuille de papier et entame la première missive envers la gente masculine (sous les traits endiablés de mon voisin).
Cher voisin…
Des lettres pour purger ma colère. Après tout qu’est-ce que j’ai à perdre ?
16 commentaires
Aurélie Benattar
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Il y a 2 ans
Là où est ton coeur
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
kiki744
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Il y a 2 ans
Katie P
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
MélineDarsck
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Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 2 ans
Julie M
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Il y a 2 ans
Mary Cerize
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Il y a 2 ans