Fyctia
Tout a commencé
Tout a commencé à cause du printemps, vous savez ? la saison préférée des Français. Parait-il, en France, la saison alterne jours de pluie et de soleil. Et pour donner raison à Wikipédia, la météo s’était montrée à la hauteur du site. J’adore cette période car je peux profiter des journées qui s’allongent comme lorsque j’étale du beurre sur une tartine (c’est-à-dire avec générosité), j’étale ma to do list sur des heures sans une once de culpabilité.
Ce matin là, à Grisy-Suisnes (le S dans Suisnes ne se prononce pas), il faisait 18 degrés. Je me souviens avec exactitude du soleil radieux qui s’étirait dans un ciel bleu. Des oiseaux, nichés dans le tilleul du jardin voisin sur lequel j’avais vue (le jardin, pas le voisin), pépiaient joyeusement. Quoi de plus naturel que d’ouvrir sa fenêtre pour écouter la mélodie de la nature !
Quel bonheur de vivre dans une commune paumée en Seine-et-Marne où règnent encore la paix, la sérénité et la bonne humeur dans le quartier. Le village de Grisy-Suisnes est connu pour être le village de la rose. Tout tourne autour de la fleur emblématique, de la balade de 18 km au chemin des Roses à son musée de la rose.
Le soleil était encore timide, une tasse de café fumant à la main, je me délectais de l’odeur des pains au chocolat de la boulangerie des Roses (il n’y en qu’une seule) dans la rue des Rosiers. Très orignal, n’est-ce pas ?
Je me réjouissais à l’idée de dévorer du pain viennois tout chaud avant de me rendre au travail.
Emmitouflée dans un pull tout doux (ma mère appellerait ça, un tricot), sourire aux lèvres , je sortais pour mon achat gourmand. La boulangerie était déjà remplie et la queue se formait dehors. L’écharpe oubliée dans mon placard, j’espérais ne pas attraper un rhume en une si belle matinée. Mais ce n’était pas ce détail qui allait entacher ma belle humeur, non ?
Ma gaieté tomba en flèche quand j’avisais un grand type (que j’avais reconnu être le nouveau voisin) qui passa devant tout le monde pour récupérer son pain. Une vieille dame râla, une adolescente (encore endormie) ne montra aucun signe de vie et moi, moi j’affichais ostensiblement mon mécontentement. Mais rien ne vint atteindre le visage impassible de l’ennemi qui demeura de marbre. Les épaules droites, menton relevé, le traite passa son chemin sans nous adresser l’ombre d’un regard, son trophée à la main.
Avant que mon voisin ne pointe le bout de son nez en même temps que le printemps (je n’y vois aucun signe du ciel), le tiroir « femme en colère contre les hommes » était bel et bien fermé.
Pourtant deux semaines d’affilées se sont effilochées et la haine refoulée contre la race masculine est revenue me prendre en grippe. Le voisin est partout chez moi, sans vivre sous le même toit. Les murs en papier n’aident en rien. Ces deux semaines, j’ai entendu des rires de femmes en visite (fréquemment) chez lui. Des sons de guitare électrique à me filer la migraine. Des odeurs de son parfum épicé qui flottaient jusqu’à mon salon.
Nous sommes cinq occupants dans l’énorme demeure du XIX ème siècle, découpée en appartements dont celui de la propriétaire Madame Antoinette Guérin. La bâtisse est en forme de L. J’occupe le petit appartement du rez-de-chaussée, mon salon-cuisine-salle-à-manger donne vue sur le jardin, qui jusque-là était inoccupé. De manière non officielle, j’avais un accord tacite avec Antoinette. Je m’occupais de l’espace vert et en échange, elle me laissait envahir les lieux jusqu’à ce qu’un locataire ne vienne prendre possession de ce coin de paradis.
Fini les soirées d’été où j’enjambais ma fenêtre pour dîner dehors à la lueur du soleil. Terminé les week-ends en maillot de bain à bronzer la pilule sur le carré de gazon. Au revoir les jolies roses que je cueillais du bord de chambre. En somme, toutes mes fenêtres s’ouvrent sur un monde interdit : le territoire ennemi. Je pourrais (si je le désirais) entrer par effraction dans sa salle à manger, en m’étirant de tout mon long de la fenêtre.
À présent, il ne me reste qu’à tuer l’ennui, en épiant monsieur Parfait dans son salon à prendre un goûter. Un grand gaillard pince-sans-rire, aux oreilles décollées et à la mine renfrognée. J’ai les yeux encore rivés sur l’homme quand mon téléphone sonne. C’est ma mère. Depuis qu’elle est en arrêt maladie, elle m’appelle en FaceTime (elle découvre tout juste les joies de la webcam).
— Quoi de neuf maman ?
Le téléphone zoome sur son front et j’ai une vision périphérique sur ses cheveux blancs.
— Maman, baisse la caméra.
— Ah oui, c’est vrai. Bon, je t’appelle pour t’annoncer la nouvelle.
— Tu es enceinte ? plaisanté-je
— C’est plutôt le cas de ta jumelle.
— Quoi ?
Surprise, le téléphone me glisse des mains. J’entends maman se confondre en excuse, elle a encore fait une bourde. Les larmes au bord des yeux, je reprends la conversation là où elle s’est arrêtée.
— Rory est… enceinte, bredouillé-je. Pourquoi elle ne m’a rien dit ?
Ma jumelle enceinte. Un écart de plus entre nous.
— Bon, fais comme si je n’avais pas fait la gaffe du siècle quand elle te l’annoncera, ok ? Je ne dirais rien de plus. J’étais venue te dire que j’ai eu les résultats du psychologue et le verdict est tombé. Je reprends officiellement le travail la semaine prochaine.
— Maman, fais attention, tu ne penses pas que c’est trop tôt depuis la…
— Tttt… Alice, tu es comme ton père, tu as le syndrome du « fais attention ». Tu n’as que ce mot à la bouche en permanence.
— C’est que je n’ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère.
— Pour l’instant, c’est plutôt moi qui t’est ramassée depuis ta séparation avec Matthias.
Matthias. Rien que ce mot me file des ulcères. Des crétins j’en ai connu trois, mais celui-là détient la palme d’or. Ce dernier copain en date, au bout de deux années de relation, a eu le courage (ou l’intelligence, j’hésite) de m’avouer qu’il ne désirait pas s’engager avec sérieux. Deux ans de ma vie sur pause, perdue dans les limbes de la désillusion.
— Ils ne t’ont pas remis en crèche quand même ?
— Non ! J’ai été reclassée. Apparemment je serai assistante administrative aux services des préventions. J’aurais même un portable.
En plein fou rire, je lâche :
— Toi, dans l’ère digitale ? Avec un ordinateur ?
Ma mère n’est vraiment pas la reine de l’informatique, elle est encore aux lettres manuscrites, à faire ses comptes à l’ancienne avec un carnet à reliures et un stylo.
Amusée, je m’appuie contre le rebord de la fenêtre, offrant à mon voisin la vue de mon postérieur (il est dehors, j’ai vérifié).
— Eh bien, les gens changent ! chantonne-t-elle, confiante.
Je vois ma mère froncer les sourcils, elle s’apprête à lancer une de ses réparties spirituelles :
— C’est qui cet Apollon en jogging dans ton jardin ?
Moi, comme une imbécile, je me tourne et médusée par son torse nu, manque de tomber à la renverse. Le traite n’a pas cessé sa séance de sport pour voler à ma rescousse et je me rattrape in extremis, à moitié dans le vide.
Cette fois, la guerre entre voisins est déclarée.
30 commentaires
Aurélie Benattar
-
Il y a 2 ans
Davina FÉRON
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
kiki744
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
MélineDarsck
-
Il y a 2 ans
Lilly Val
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans
Sue_Auteure
-
Il y a 2 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 2 ans