Fyctia
Chapitre 1.1 : Crystal
Après l'interminable monologue de l'instructeur en chef, on avait fini par tous nous entasser à l'arrière d'une camionnette. Le mètre de distance que l'on nous avait imposé lors du briefing n'était plus de mise. À présent nous étions assis les uns contre les autres. Nos cuisses et nos genoux se touchaient. Ces contacts parvenaient à m'apaiser car ils me rappelaient que je n'étais pas seule dans ce chaos.
J'étais assise sur une banquette inconfortable en face de moi il y en avait une autre. Je le savais uniquement car je pouvais sentir des jambes s'étendre dans les miennes de temps à autre. Bâillonnés, menottés et privés de la vue nous ne pouvions rien faire d'autre qu'attendre. Cette passivité forcée m'agaçait. Je ne m'étais encore jamais retrouvée dans une situation aussi frustrante de toute ma vie. Je savais que j'allais mourir, mais je ne pouvais rien faire pour changer le cours des choses. Ma propre vie m'avait totalement échappé. Elle était hors de mon contrôle.
Attendre la mort fut une expérience étrange. Contrairement à ce que j'avais imaginé ma vie ne défila pas sous mes yeux. Seuls les remords et les regrets apparaissaient dans mon esprit. Je voyais tout ce que je ne ferais pas, tout ce que j'aurais aimé faire ou tout ce que j'aurais préféré ne jamais faire. La fin de mon existence allait priver mes parents d'expériences importances qu'ils auraient aimé vivre. Mon mariage, devenir grands-parents. La culpabilité qui m'assaillît fut encore plus violente que la secousse qui me projeta sur la personne assise à mes côtés.
Le véhicule venait d'entrer sur un chemin en terre particulièrement abîmé. Les fortes pluies des derniers mois avaient dû creuser de véritables cratères sur le sentier. Notre chauffeur roulait dedans à vive allure comme s'il s'amusait à nous ballotter les uns contre les autres. Le véhicule devait être un ancien camion utilisé pour le transport des troupes au cours du siècle dernier. Je pouvais le deviner au bruit du moteur thermique. Aujourd'hui grâce aux moteurs électriques les voitures ne faisaient pas plus de bruits que les feuilles qui tombent des arbres et fendent l'air en deux dans leur chute.
Le camion n’avait ni portière ni toit pour nous protéger des conditions climatiques extérieures. Une simple bâche semblait être tendue au-dessus de nos têtes. Je pouvais deviner sa présence au bruissement que le vent glacial qui s'engouffrait dans le véhicule lui faisait faire. Une goutte avait déjà pris place au bout de mon nez. Dans ces conditions je ne tarderais pas à tomber malade, si je ne me faisais pas abattre avant. J'avais toujours été sensible au courant d'air et au froid. Dès que les températures baissaient je m'emmitouflais sous des pulls en laine et de grosses écharpes. Mon père aimait me surnommer l'oignon car lorsque j'enlevais mes vêtements je devais retirer plusieurs couches comme si je m'épluchais. Tout cela me parut terriblement lointain.
Soudainement le véhicule s'arrêta. Le conducteur coupa le moteur. Le silence oppressant qui s'installa ne fut brisé que par les bruits des portières que l'on fit claquer. Quelques secondes après je reconnus le bruit des bottes de l'instructeur en chef qui faisait le tour du véhicule avec celui qui devait être notre chauffeur. Mon cœur s'emballa et je crus qu'il allait me lâcher comme si je faisais une crise cardiaque.
— J'adore quand il fait frais comme ça, déclara l'instructeur en prenant une profonde inspiration.
Il était évident que cette phrase n'était qu'une provocation. Une manière détournée de nous dire qu'il faisait extrêmement froid et que nos chances de survie étaient quasiment nulles.
Quelqu'un ouvrit la petite porte par laquelle nous étions montés à l'arrière de la camionnette. Elle fit un grincement sinistre signalant que la première proie allait être lâchée. La partie était sur le point de commencer et personne n'était encore venue me secourir. Mes espoirs s'amenuisèrent au fur et à mesure des secondes. La justice n'avait pas reconnu son erreur. Dieu ne m'était pas venu en aide. Je ne pouvais donc plus compter que sur moi-même. Je compris alors que je n'échapperais pas à la chasse et que j'allais mourir. Combien de temps serais-je capable de survivre dans cet enfer ? Une heure ? Quelques minutes ?
— 42B87 debout, ordonna l'instructeur d'une voix autoritaire.
J'entendis l’un de nous se lever lentement. Je n'osai pas imaginer ce qu'il devait ressentir en ce moment même. Le bruit de ses pieds heurtant le sol lorsqu'il descendit me fit tressaillir. Spontanément je me mis à prier pour cet inconnu car même si Dieu n'était pas venu me sauver je croyais encore fermement à son existence. Je tendis l'oreille pour tenter de comprendre ce qui était en train de se dérouler. J'imaginai qu'on allait lui retirer son bâillon, ses menottes et son bandeau. Les secondes devenaient des minutes et ne faisaient qu’accroître l'angoisse en moi. Mon tour finirait par arriver. Je n'y étais définitivement pas prête.
— Je fais quoi, demanda une voix masculine totalement paniquée.
La première proie était donc un homme. À quoi ressemblait-il ? Qu'avait-il fait pour se retrouver ici ? Avait-il une famille ? Toutes ces questions qui se bousculaient dans mon esprit ne trouveraient jamais de réponses. Le rire machiavélique de l'instructeur me glaça le sang. Cet homme n'était qu'un démon venu des enfers pour faire régner la terreur sur la terre.
— Courir, répondit-il avec amusement. D'ailleurs je te conseille de te dépêcher les chasseurs sont déjà là.
Bien que je ne visse rien, je pouvais aisément imaginer le sourire pervers qui dû accompagner ces propos. Seulement quelques fractions de secondes plus tard je pus entendre l'homme s'éloigner en courant. Le bruit de ses baskets frappant le sol de la forêt encore gorgé d'eau fut immédiatement interrompu par des coups de feu. Trois ou quatre.
— On peut dire que pour lui ça aura été rapide, ricana l'instructeur en retournant prendre sa place dans le véhicule. Place aux autres maintenant.
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