Fyctia
Chapitre 7.2 : Détenue 42C09
Après quelques minutes de marche dans les couloirs humides de la prison on me fit asseoir sur une chaise en bois. Bâillonnée, menottée et privée de la vue, je n'avais aucune idée du lieu où j'étais et encore moins de ce qui m'y attendait. La nervosité me poussa à taper frénétiquement du pied sur le sol. Pour me détendre j'essayai naïvement de penser à des souvenirs agréables. Je me voyais aller au travail, dans la salle à manger de mes parents ou encore en vacances au bord de la plage. Malheureusement toutes ces images ne firent que me rappeler avec brutalité que j'avais perdu toutes ces choses, à tout jamais.
— Attendez ici sans bouger, ordonna un gardien.
C'était la troisième fois, depuis mon arrivée dans cette pièce, que j'entendais ces mots de la bouche d'un geôlier différent. Ils devaient être en train de rassembler tous les condamnés à la chasse. Je compris alors la raison du bâillon et du bandeau. Ils tenaient à ce que nous, les proies, ne puissions pas communiquer. Le simple fait de ne plus être seule me rassura. Je n'avais jamais été une solitaire. J'aimais compter sur les autres et m'entourer de quelques amis fidèles. Malheureusement la plupart d'entre eux avaient disparu dès que mes problèmes judiciaires étaient apparus.
Je tendis l'oreille et entendis des respirations tout autour de moi. Nous devions être séparés par un mètre seulement. C'était à la fois si proche et si loin que c'en était déroutant. Étais-je entourée uniquement de criminels ou y avait-il d'autres innocents comme moi ? J'éloignai rapidement cette interrogation de mon esprit tout en essayant de me convaincre que la justice de mon pays n'était pas parfaite, mais que je devais être son unique erreur. Une faute qu'elle allait rapidement rectifier. À cet instant j'étais encore persuadée qu'on allait finir par venir me libérer.
— Bonjour à tous, déclara une puissante voix masculine que je ne connaissais pas.
Personne ne répondit car personne n'en avait la capacité. Nos bâillons avaient été fermement serrés. L'homme se mit à arpenter la pièce avec une lenteur théâtrale qu'il avait dû étudier. Ses bottes frappaient le sol et brisaient ainsi le silence pesant. Lorsque ses pas se rapprochèrent de moi un frisson d'effroi me parcourut l'échine
— Bienvenue à vous dans cette deux-cent-quarante-deuxième chasse !
Il insista volontairement sur le chiffre comme s'il en était fier. Mon esprit se mit spontanément à faire des calculs afin d'estimer le nombre total de victimes.
— Je suis votre instructeur en chef. Autrement dit c'est moi qui dirige les opérations. Avant de vous envoyer vers une mort certaine, j'ai l'obligation de vous énoncer toutes les règles afin de garantir le bon déroulement de cette chasse.
Ses paroles me donnèrent la nausée car il les prononça avec une arrogance écœurante. Je ne le voyais pas, mais je pouvais très bien l'imaginer en train de sourire et de bomber le torse tout en déambulant entre nos chaises. Il profitait de son moment pour se complaire dans une tirade que personne ne pouvait interrompre. Au cours de ma brève existence j'avais eu l’occasion de rencontrer une multitude d'hommes prétentieux. Toutefois aucun n'arrivait à la cheville de cet instructeur. Il se sentait supérieur ; bien plus intelligent que nous.
— À partir de maintenant vous n'avez plus d'identité. Vous n'êtes plus qu'un numéro de détenu servant uniquement à vous identifier lorsque vous serez abattus.
L'instructeur s'était tu pour laisser volontairement place à un silence écrasant. Il ne marchait plus. Il nous observait probablement avec mépris depuis un coin de la pièce. Par moment j’avais la sensation de pouvoir sentir son regard sur moi. On ne pouvait pas nier que cet homme ait le sens du spectacle. Je me demandai combien de fois il avait tenu ce discours. L'avait-il fait évoluer au fur et à mesure de ses prestations ? Prenait-il soin d'ajouter des effets pour donner de l’autorité à ses paroles ? En tout cas cet instant précis avait été habilement étudié. Il désirait nous laisser le temps d'assimiler chacun de ses mots. Il voulait que nous prenions pleinement conscience de notre mort imminente.
Je réalisai alors que je n'étais pas encore morte, mais que je n'existais déjà plus. Je n'étais plus qu'une proie innocente qui allait se retrouver dans la jungle pour être pourchassée par de terribles prédateurs. Je n'étais plus qu'un dossier empilé dans une petite salle d'archives comme celle où l'on m'avait mise lorsque je m'étais évanouie. Je n'étais plus qu'un souvenir dans la mémoire de toutes les personnes que j'avais connues. Un souvenir qui s'effacerait avec un peu de temps. Je n'étais plus que de l'encre sur les photographies que mes parents avaient prises de moi. Je n'étais plus qu'un fantôme qu'ils observeraient sur des clichés en pleurant toutes les larmes de leur corps. Je n'étais plus qu'une voix sur des vidéos qu'on avait faites de moi pour de multiples occasions. Je n'étais plus rien. J'étais déjà morte. J’étais déjà enterrée avant même d'avoir été abattue.
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