Fyctia
Chapitre 4 : Détenu 69A36-89
Je fus violemment poussé sur une chaise par un des gendarmes qui m'escortaient. Son attitude me fit comprendre que je n’étais plus un ado, mais un criminel qu'il fallait faire souffrir. En prononçant son jugement la justice m'avait ôté toute humanité. Alors qu'on me retirait mon bâillon, mon avocate arriva dans la pièce. Cette entrevue – la dernière – était inutile car elle ne pouvait plus rien faire pour moi. Toutefois elle donnait au tribunal l'impression de respecter mes droits jusqu'au bout. Putain d’hypocrites !
— Et les menottes, dis-je au gendarme en désignant mes mains d'un mouvement de tête.
Il me regarda avec mépris avant de rire comme pour me dire que je n'étais qu'un imbécile. Je me retins de l'insulter et le laissai partir en ravalant ma fierté. Maître Laporte s'assit en face de moi ; pétant plus haut que son cul. Cherchait-elle à m’agacer ? Elle n'était qu'une bonne à rien, mais elle semblait ne pas l'avoir encore compris. Je venais d'être condamné à une peine que je n'aurais jamais dû avoir. Jamais. Je sentis la colère monter doucement en moi et je me connaissais suffisamment pour savoir que j'allais bientôt exploser.
— Je ne peux plus rien faire pour vous, m'annonça-t-elle d’un ton glacial.
Si je n'avais pas eu les mains attachées dans le dos je l'aurais probablement étranglée ou au moins explosé la tête sur la table. L'avantage de la peine de mort : je n'avais plus rien à perdre. Je pouvais la tuer ça ne changerait rien à mon futur.
— Si t'avais fait ton putain de boulot correctement j'en serais pas là, lui balançai-je avec colère. T'es payée pour me défendre alors tu te débrouilles ! On sait très bien qu'ils n'ont aucun droit de me condamner à la chasse. J'ai dix-sept ans pas dix-huit.
— Leur décision est légale. Vous êtes mineur, mais ils ont requalifié votre casier judiciaire en quatrième catégorie, répondit-elle en prenant soin de ne pas croiser mon regard.
Je l'observai sans un mot. Sa poitrine se levait de plus en plus rapidement. Elle était nerveuse. Mon comportement plutôt brutal l'avait probablement mise mal à l'aise. Elle n'était pas habituée à ce qu'on lui parle de cette façon et aurait mérité d'entendre ses quatre vérités. Elle devait me défendre et avait échoué.
— Aussi surprenant que cela puisse vous paraître ; tout a été fait dans les règles.
Un silence pesant s'installa dans la pièce. Elle fixa ses mains tandis que j'essayais de rassembler mes esprits.
— C'est quoi la quatrième catégorie, finis-je par demander d'un ton moins acerbe.
Elle ouvrit le dossier qu'elle avait déposé sur la table qui nous séparait puis sortit quelques feuilles avant de les faire glisser devant moi. Je les parcourus rapidement du regard sans avoir l'intention de les lire.
— Explique, crachai-je.
Agacée par mon comportement, comme je l'étais du sien, elle haussa les épaules avant de reprendre sa paperasse. Je me rencognai sur ma chaise comme un gamin fâché. Je tenais à ce qu'elle m'explique de vive voix. Après tout elle était payée pour ça. Mon procès était un échec donc elle me devait au moins ça.
— Chaque délit correspond à une catégorie qui va de zéro à quatre.
Je soufflai et roulai les yeux pour lui demander – à ma façon – d'abréger pour aller directement à l'essentiel. Elle me lança un regard noir avant de reprendre. Pour une raison qui m'échappait, elle avait retrouvé son assurance et son arrogance. Il était clair qu’elle se sentait supérieure à moi. Comme tous ceux travaillant dans le droit elle n'était qu'une connasse prétentieuse.
— Zéro c'est pour les petits délits comme les infractions routières. Plus la catégorie est haute, plus les délits sont graves. Comme vous avez pu le comprendre la quatrième est la plus élevée. C'est notamment celle des homicides volontaires.
— Putain mais j'ai tué personne, rétorquai-je au bord des larmes.
— C'est également la catégorie des gens comme vous.
— Comme moi ! T'essaies de me dire quoi là.
— Les délinquants multirécidivistes. Vous avez été condamné plus d'une dizaine de fois par le tribunal, mais vous n'avez jamais pris vos condamnations au sérieux. Le jury a trouvé que vous n'éprouviez aucun regret. Votre attitude désinvolte les a profondément agacés. Ils ont voulu être ferme pour vous faire payer votre irrévérence.
Je ne répondis pas car je comprenais la logique du jury. Il avait raison. Je ne ressentais aucun regret pour toutes les conneries que j'avais faites. Elle était un palmarès dont j’étais plutôt fier. J'avais agi sans réfléchir parce que je n'en avais rien à foutre. Un jeune qui ne se souciait pas du fait de pouvoir blesser les autres. C’est ce que pensaient tous ces donneurs de leçons et défenseurs de la bonne morale qui m'avaient toujours saoulé. J'imaginais que le seul moyen de m'opposer à eux était de faire n'importe quoi. Ma jeunesse m'avait peut-être coûté, mais elle me donnait un avantage – considérable – l'espoir. J'étais sûr de pouvoir survivre à la chasse. J’étais sportif et agile. Ils ne pourraient pas m’attraper facilement.
— Dites à ma mère de ne pas s’inquiéter, annonçai-je avec assurance.
— Vous voulez que je lui dise autre chose, me demanda-t-elle en se levant.
J'aurais dû lui demander de lui dire que je l'aimais, mais je n’en eus pas le courage. Malgré les circonstances, certains mots refusaient de sortir de ma bouche. J'ignorais alors que cela deviendrait l’un des plus grands regrets de toute ma vie.
Mon avocate s'éloigna d'un pas lent. Alors qu'elle tenait la poignée de porte en main elle se retourna pour me lancer un dernier regard. Il y avait de la compassion et de la tristesse. Cela me surprit avant de me briser. Était-elle touchée par mon funeste destin ou par ce qui attendait ma pauvre mère ? Jamais je ne saurais.
— Je sais que vous vous en moquez éperdument, mais je n'approuve pas leur décision. Elle est démesurée. Même si votre comportement n'a pas été exemplaire vous ne méritez pas d'être tué de cette façon.
Sur ces paroles elle claqua la porte. Des larmes m'échappèrent. Ma rencontre avec la mort n'était plus qu'une question d'heures. Cette réalité m'anéantit.
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