Fyctia
Chapitre 3.1 : Détenue 42C09
Mon corps n'avait pas supporté la violence de la sentence choisie par les jurées. C'était la première fois que je m'évanouissais. Comme si mon esprit était incapable de supporter l'injustice qu'on lui imposait. Allongée sur une civière posée à même le sol, je revenais doucement à moi. Je parcourus la pièce du regard pour essayer de comprendre où j'étais. Je ne voyais que des étagères emplies de dossiers. Cet indice m'apprit que j'étais probablement dans une des salles d'archives du tribunal. Soudainement un visage jeune et souriant apparut sous mes yeux.
— Vous allez mieux, me questionna-t-il d'une voix douce et rassurante.
À sa tenue noire et rouge, je compris qu'il s'agissait d'un des pompiers venu me porter secours. Je hochai la tête avant de me redresser avec lenteur. La pièce se mit à tourner à violemment. Je sentis la main du secouriste me saisir le bras pour m'aider à aller m'asseoir. Il me fallut quelques secondes pour retrouver mes esprits.
— C'est tout bon, demanda une autre voix masculine à l'autre bout de la pièce.
Le pompier acquiesça avant de me lancer un regard empli de compassion. Lorsque vous faites pitié à des inconnus c'est un très mauvais présage, voici la seule chose qui me vint à l'esprit. Lorsqu'il se dirigea vers la porte, la pièce sembla se refroidir.
La terrible chose qui m'attendait portait un nom, la chasse. Ces deux petits mots ricochèrent dans mon esprit comme un caillou lancé sur un immense lac. Le secouriste m'adressa quelques mots, mais je ne les entendis pas. J'étais déjà ailleurs dans des contrées sombres où mon avenir funeste m'apparut comme inéluctable. Il posa sa main sur mon épaule en signe de soutien avant de s'éloigner. Il fut remplacé par un gendarme armé qui me menotta avec brutalité comme si j'étais une véritable criminelle. La chasse. Ce mot avait changé de sens au cours des dernières années. Depuis quelques années il désignait la pire sentence de notre système judiciaire.
Après quelques minutes, durant lesquelles je m'étais perdue dans de terribles pensées, mon avocat me rejoignit. Je fus frappée par la lividité de son teint. Cette pâleur était vraisemblable due au seul fait que ce procès allait discréditer sa prestigieuse carrière. Maître Bouchard n'avait jamais eu un de ses clients condamnés. C'était notamment grâce à cela qu'il pouvait se permettre des honoraires exorbitants. À cause de moi tout allait changer pour lui. Je représentais son premier échec un fiasco monstrueux.
— Je suis allé voir le juge, m'annonça-t-il d'une voix hésitante que je ne lui connaissais pas.
Il n'osa même pas me regarder dans les yeux en prononçant ces mots. Son attitude était celle d'un homme peu sûr de lui et gêné. L'avocat plein d'assurance de ce matin avait disparu. Mon sang se mit à bouillir dans mes veines.
— Malheureusement il n'a rien voulu entendre. Vous allez donc être transférée en prison avant de...
Il s'arrêta net. Son regard bifurqua sur la gauche avant de se focaliser sur une des étagères emplies de dossiers. Il cherchait le mot juste comme pour ne pas m'offusquer. Maître Bouchard, avocat à la verve prodigieuse, n'existait plus. J'étais face à un jeune avocat timide et hésitant. Mon attention fut attirée par les gouttelettes de sueurs qui s'étaient accumulées sur son front. Cette vision me fit éprouver une certaine pitié pour lui.
— Vous lui avez dit pour la moto, demandai-je d’une voix tremblante. Elle m’a coupé la route. C’est à cause d’elle si j’ai perdu le contrôle et …
— … on a déjà eu cette discussion me coupa-t-il. Aucun témoin et des images de vidéosurveillance irrécupérables.
Son ton insensible me glaça. Il avait raison, mais il savait également que les images pouvaient être améliorées et exploitées si on nous avait laissé un peu plus de temps. Les larmes menacèrent de m’engloutir à chaque instant. Je n'avais plus rien pour me raccrocher. Sombrer étaient ma seule issue.
— Je peux voir mes parents, finis-je par demander avec un calme qui me surpris moi-même.
Il déglutit avant de se tamponner le front avec un mouchoir en papier. En levant les bras il me dévoila, sans le vouloir, les auréoles qui ornaient ses aisselles. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un d'aussi stressé. Son attitude me fit réaliser que j'étais dans une très mauvaise posture et que je devrais m'en inquiéter. Toutefois je n'y parvins pas. L'état de choc dans lequel j'étais me rendait incapable d'éprouver la moindre émotion. Ni panique ni angoisse ni peur ni bonheur. Rien. Le néant.
— C'est impossible, répondit-il en évitant toujours mon regard.
Comme pour se donner un peu de contenance il sortit un dossier de sa sacoche en cuir noir et le déposa d'une main tremblante sous ses yeux.
— Comme vous le savez les détenus désignés coupable de crime de gravité quatre sont lâchés dans la forêt pour être traqués par des chasseurs.
Sa voix avait retrouvé un peu d'assurance comme si ma passivité l'avait en partie soulagé. Il craignait que je le blâme, mais je n'en fis rien. Ça ne m'aurait servi à rien.
— Étant donné que vous allez être abattue vous devriez prendre des dispositions concernant vos biens et votre héritage.
0 commentaire